Vers 13h30 ce lundi, en pleine digestion du lunch, les sujets de sa majesté Elisabeth II connaîtront le nom de leur nouveau premier ministre, issu du Parti conservateur au terme d'une primaire interne. Le successeur du fantasque Boris Johnson, sera, selon toute vraisemblance (les sondages sont unanimes), une femme, Liz Truss, donnée gagnante face à son concurrent, Rishi Sunak. Le vainqueur sera investi demain, mardi, par la reine. Gouverner le Royaume-Uni, chaud bouillant sur le plan social, sera tout sauf de la tarte.
Née en 1975 à Oxford dans une famille de gauche, un père professeur d’université, une mère infirmière et enseignante, elle a milité chez les libéraux-démocrates avant de rejoindre les Tories, le Parti conservateur.
Face à son adversaire Rishi Sunak, elle est la favorite de tous les sondages, qui lui accordent une avance de 20 à 30 points. Entrée au gouvernement en 2014, elle a servi trois premiers ministres conservateurs, Boris Johnson le dernier en date. Cette brexiteuse tardive – elle était pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne lors du référendum de 2017 – s’est forgé une image de dure, à l’image de son modèle Margaret Thatcher, qui peut plaire à l’électorat conservateur.
Dans la guerre en Ukraine, comme ministre des Affaires étrangères, c’est elle qui a mis en œuvre les sanctions de son pays – peut-être le plus «belliqueux» d’Europe dans cette crise – contre la Russie. La presse de centre gauche lui reproche d’être transparente sur la condition des femmes, alors qu’elle a gardé dans ses attributions, en plus des Affaires étrangères, le portefeuille des Femmes et de l’Egalité.
Alors, Liz Truss, ce qui ferait d’elle la troisième femme à occuper le poste de premier ministre? Ou Rishi Sunak, né à Southampton en 1980, originaire d’Inde par ses parents, un père médecin, une mère pharmacienne.
Entré au gouvernement en 2019, Rishi Sunak est le Chancelier de l’Echiquier du royaume, le ministre des finances. Un portefeuille qui en impose et qui fait de son actuel titulaire un candidat au poste de premier ministre plus crédible, en tout cas plus expérimenté que Liz Truss sur les questions budgétaires.
Ce brexiter assumé, ex-banquier de Goldman Sachs est cependant apprécié des conservateurs modérés pour n'être pas rentré dans la course aux baisses d'impôts comme ses concurrents à la primaire, relevait le quotidien Les Echos en juillet. «Pour autant, note Alexander Seale, il fait face aux critiques de ceux qui, au Royaume-Uni, lui reprochent de ne pas avoir donné assez d’aides durant la crise du Covid.»
Côté style, il incarne une sorte de Kennedy comme il se doit tout à la fois moderne et «old school», issu d’une vieille colonie britannique, face à une concurrente « o British», arborant le carré blond des «executive women».
Le Royaume-Uni n’avait plus connu ça depuis des décennies – les grands mouvements sociaux sous Thatcher. Mi-août, le pays a été paralysé par une grève des transports qui s’est étendue à d’autres catégories professionnelles. La raison? Un pouvoir d’achat en crise.
«Le Royaume-Uni, ce n’est pas la France, ni même la Suisse, les gens, d’autant plus sous un gouvernement de droite, sont sommés de se faire face pour ainsi dire seuls lorsque surviennent des difficultés inattendues, comme les conséquences de la guerre en Ukraine», commente Alexander Seale.
Un mouvement de désobéissance civil du nom de «Don’t Pay UK», appelle à une grève générale pour le 1er octobre. Face au renchérissement, ils menacent de ne plus payer leurs impôts.
Face à cette situation potentiellement explosive, Liz Truss et Rushi Sunak ne peuvent pas demeurer droits dans leurs bottes budgétaires. « Elle et lui ont dit qu’ils aideraient les Britanniques à surmonter la crise. Le problème est qu’ils restent flous sur la manière dont ils comptent s’y prendre », explique le correspondant à Londres de LN24 et L-Post.
Liz Truss et Rishi Sunak parlent ici d’une seule voix. Ils sont opposés à la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, comme le demande le gouvernement d’Edimbourg, qui souhaite en organiser un en 2023 à titre consultatif. Lors du référendum de 2014, les électeurs de sa province avaient rejeté à 55% l’indépendance. Une sortie de l’Ecosse du Royaume-Uni précéderait son retour dans l’Union européenne – en 2017, les Ecossais ont voté à 62% pour le maintien dans l’UE.
«Pas avant une quinzaine d’années, et il faudrait pour cela le retour au pouvoir d’un gouvernement travailliste, estime Alexander Seale. Et puis, comme dans d’autres pays européens, il y a tout une frange de l’électorat de gauche, parmi l’électorat ouvrier, qui a voté pour le Brexit. Donc, le retour dans l’UE est le souhait caché de certains membres du Parti conservateur, ce n’est pas le moment pour eux de le faire savoir.»
Le plus populaire des Occidentaux chez les Ukrainiens, au point qu’une partie d’entre eux le verraient bien succéder à Volodymyr Zelensky, a gardé de nombreux supporters dans l’électorat britannique, qui l’apprécie pour son côté «hors normes». Boris Johnson, c’est de lui qu’il s’agit, sera peut-être le «Donald Trump», le sparadrap indécollable du prochain locataire du 10 Downing Street.
Mais les Britanniques sont aussi très à cheval sur l’éthique de leurs dirigeants. «Tant Liz Truss que Rishi Sunak, assure Alexander Seale, veulent tourner la page du Party Gate», ce scandale des fêtes privées données ou auxquelles a participé Boris Johnson pendant le Covid, quand il était premier ministre, en violation des consignes sanitaires.
Le 25 août, lors d’une réunion publique à Norwich, Liz Truss a-t-elle gaffé ou, au contraire, mis de son côté toutes les chances de gagner face à Rishi Sunak? Ce jour-là, comme on lui demandait de dire si le président français, Emmanuel Macron, est un «ami» ou un «ennemi» de la Grande-Bretagne, la candidate au poste de premier ministre, surfant sur la vague anti-frogs (grenouilles) des Britanniques certains jours, a refusé de répondre franchement, indiquant qu’elle jugerait Emmanuel Macron sur ses «actes». Rishi Sunak a sagement répondu «ami», quand Boris Johnson a assuré, en français, que Macron, c’est «un copain».