«Quand je le vois à la télé, je me sens malade.» Ainsi débute le récit de cette mère de famille britannique. Un témoignage au ton dramatique, désespéré, publié le 7 juillet dernier dans les colonnes du tabloïd The Sun, qui fait bientôt l'effet d'une bombe dans tout le pays.
De «l'homme» en question, on ignore encore le nom. Si ce n'est, en guise de vague indice, qu'il est un «visage connu de millions de Britanniques» et vient d'être écarté de l'antenne. Le coup d'envoi aux spéculations les plus folles et hasardeuses.
Les accusations, en revanche, sont claires. Selon la mère de «l'enfant» aujourd'hui âgé de 20 ans, le jeune aurait perçu 35 000 livres sterling de la part du présentateur vedette pour des photos intimes et sexuellement explicites. Des images de «performances», selon la mère, «sordides» va jusqu'à commenter le Sun. L'argent gagné aurait servi à l'adolescent, 17 ans au moment des faits présumés, à alimenter son addiction croissante au crack.
La famille affirme que le présentateur de la BBC n'a jamais caché son identité, allant jusqu'à envoyer des photos de lui sur son lieu de travail. Le 19 mai, elle porte plainte auprès de la chaîne. Une plainte laissée sans suite, affirme la mère.
L'article provoque un tollé national. Les rumeurs enflent et prennent une tournure sauvage. Les réseaux sociaux se muent en tribunal public.
Au cours d'un «week-end pénible», comme le résumera sobrement l'une des animatrices radio de la BBC, les présentateurs les plus en vue de la chaîne deviennent la cible des soupçons. Les uns après les autres. En interne, alors que le journaliste est officiellement suspendu, son identité n’est qu’un secret de polichinelle.
Au point que Jeremy Vine, animateur de la BBC Radio 2, craque en plein talk-show mardi soir, pour enjoindre publiquement son collègue à sortir du silence.
La chaîne de service public est en crise. Accusée de laxisme pour mieux protéger son employé, la BBC est sommée de s'expliquer. Si son directeur général, Tim Davie, refuse de dévoiler l'identité du concerné, il confirme toutefois bien avoir reçu une plainte, le 19 mai dernier. Les allégations étaient «légèrement différentes» de celles publiées initialement dans le Sun, tient-il à préciser. Faute de caractère délictueux, la BBC avait alors décidé de ne pas en informer la police et de traiter le cas en interne, non sans «une enquête plus approfondie».
Pendant ce temps, alors qu'il est en route pour un sommet de l'Otan à Vilnius, le Premier ministre en personne est interpellé par des journalistes pour s'exprimer sur le cas.
Sait-il qui est l'homme impliqué? Après avoir promis une enquête «rapide et rigoureuse» sur ces accusations «choquantes», Rishi Sunak assure qu'il ne connaît pas l'identité du présentateur mis en cause.
Lundi, coup de théâtre. Le jeune «toxicomane» de 20 ans au centre du scandale sort du silence... et nie tout en bloc. L'article du Sun serait «absurde». Des «foutaises». Par l'intermédiaire de son avocat, il assure que rien «rien d'illégal ou d'inapproprié» ne s'est jamais produit entre lui et la star de la BBC. Il ajoute encore n'avoir jamais été contacté par le tabloïd pour fournir son témoignage, sa version des faits, ni même un simple commentaire. Le Sun n'inclura ce démenti sur son site internet que tard ce lundi.
A ce rebondissement viennent bientôt s'ajouter trois nouvelles accusations, à l'encontre du même présentateur de la BBC incriminé.
Une première personne, âgée d'une vingtaine d'années, affirme à BBC News qu'elle se serait sentie «menacée» par le présentateur. L'animateur l'aurait contacté anonymement via une application de rencontres et fait pression pour obtenir un rendez-vous. Après lui avoir opposé un refus et menacé de divulguer son identité, la jeune personne aurait reçu «plusieurs messages abusifs et injurieux».
S'en suit le témoignage d'un second individu, âgé de 23 ans, au Sun: le présentateur lui aurait rendu une visite d'une heure à son domicile en plein confinement, en février 2021.
A la suite de ce «bavardage», le présentateur aurait effectué au moins trois paiements sur le compte bancaire de l'individu, de 200 livres sterling chacun.
Enfin, mercredi, le Sun dévoile les messages privés entre une quatrième personne et le présentateur, en octobre 2018, sur Instagram. Au cours de l'échange, le mineur aurait reçu des emojis «coeur» et «bisous», avant d'être encouragé à postuler pour un programme destiné aux jeunes de la BBC.
Alors que l'enquête suit son cours, la pression augmente sur la BBC, qui jongle péniblement entre graves allégations d'inconduite, criminalité potentielle, devoir de diligence envers ses employés, loi sur la vie privée et intérêt public légitime.
Le Sun n'est pas en reste. Après la prise de parole de l'adolescent à l'origine de l'affaire, la ligne du tabloïd est remise en question. Plusieurs médias britanniques dénoncent une «chasse aux sorcières», voire crient au complot pour fragiliser sa grande rivale médiatique. Le Sun, propriété du milliardaire Rupert Murdoch, est en effet l'un des critiques les plus virulents de la BBC.
Mercredi soir, énième rebondissement dans le scandale: la vedette est finalement identifiée. C'est son épouse, Vicky Flind, qui crache le morceau et se fend d'un communiqué en son nom. L'homme n'est autre que Huw Edwards, 61 ans, l'un des présentateurs les plus connus au Royaume-Uni et le mieux payé de la BBC - plus de 400 000 livres sterling par année.
Le grand journal de 22h00, la mort de la reine le 8 septembre, les funérailles nationales, le couronnement du roi Charles III? Tout ça, les Britanniques l’ont vécu avec lui.
Le communiqué poursuit, laconique, que le journaliste souffre d'épisodes de «graves problèmes de santé mentale» et de «dépression sévère» depuis des années. Les événements des cinq derniers jours auraient provoqué une nouvelle crise, menant à son hospitalisation. «Une fois tiré d'affaire, il a l'intention de répondre aux histoires qui ont été publiées.»
Au même moment, la police déclare n’avoir pas trouvé d'éléments indiquant qu'une infraction pénale aurait été commise, en lien avec l’affaire des photos «sordides». Le point final de l'affaire? Loin de là. D'autres accusations de messages «inappropriés» ou «abusifs» envoyés par Huw Edwards à des employés se sont multipliées dans la presse, au cours des heures suivantes, rendues publiques par la BBC elle-même.
Quant au Sun, il jure n’avoir pas l'intention de publier d'autres allégations sur Edwards. Il a indiqué coopérer avec l'enquête interne de la BBC, momentanément suspendue le temps de l'enquête policière. Elle devrait bientôt reprendre le cours de son examen «minutieux» de son célèbre employé, toujours suspendu. Hier soir encore, le Sun consacrait sept pages de son édition quotidienne au scandale qui fait frémir le Royaume-Uni. A des miles de connaître son épilogue.