Les Londoniens ont commencé à se rassembler devant le palais de Buckingham dans l'après-midi, suite aux informations préoccupantes et préoccupées sur l'état de santé de la reine. Après l'annonce officielle du décès, un chant s'est élevé de la foule:
Au premier abord, cela semble tout à fait logique. Charles a succédé automatiquement à sa mère et est devenu le nouveau monarque du Royaume-Uni. Pourtant, en entonnant «Vive le roi!», la foule a réaffirmé, probablement sans le savoir, un principe fondamental de la théologie politique du Moyen Age.
Si tout le monde a déjà entendu l'expression «Le roi est mort, vive le roi!», son origine est moins connue. Tout comme la raison expliquant pourquoi elle est énoncée quand un monarque meurt. Cette phrase est moins anodine qu'il n'y paraît. Avant de devenir une tradition, elle résumait toute une vision du monde et, plus spécifiquement, la conception moyenâgeuse de la personne et des charges royales.
Comme l'explique l'historien Ernst Kantorowicz dans son essai classique Les deux corps du roi (1957), on considérait au Moyen Age que le roi avait deux corps. A côté de son organisme physique, le souverain disposait d'un autre corps, de nature politique. Celui-ci représentait la communauté constituée par le royaume et, contrairement au premier, il ne pouvait pas mourir. Cette construction détachait et préservait le destin de la royauté de celui du roi et, plus spécifiquement, de son décès.
La fameuse phrase «Le roi est mort, vive le roi!», apparue lors de l'enterrement de Louis XII en 1515, exprime précisément ça: le corps physique du roi est mort, mais son corps politique est toujours en vie et sera incarné par son successeur.
C'est exactement ce que les Londoniens réunis devant le palais de Buckhingham ont fait jeudi soir. En chantant «Long live the king!», ils n'ont pas seulement répété une formule rituelle et quelque peu soulagé leur tristesse. Avec la seule petite différence liée au genre de la reine, ils ont réaffirmé que la royauté, et donc la communauté, allait survivre.