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Pourquoi «Poutine sera destitué» après avoir gagné la guerre

Pourquoi «Poutine sera destitué» après avoir gagné la guerre

Spécialiste de la Russie post-communiste, l'historienne Françoise Thom nous parle de la «logique paranoïaque» de Vladimir Poutine, des tentatives de manipulation en Occident et elle répond à la question du potentiel recours à la bombe nucléaire.
25.02.2024, 06:58
Stefan Brändle, Paris / ch media
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En tant que critique de Poutine, vous ne pouvez actuellement pas voyager en Russie. Qu'avez-vous pensé de l’entretien avec Tucker Carlson?
Poutine est complètement pris dans sa logique paranoïaque – il a même défendu Hitler en affirmant que celui-ci avait été contraint par la Pologne à envahir son pays en 1939. L'objectif de cette apparition était de renforcer le candidat américain Donald Trump et de se débarrasser des sanctions occidentales après une victoire sur une Ukraine à cours d'armes et de munitions. C'est pourquoi il se dit prêt à négocier. Pour Poutine, négocier signifie simplement déterminer les conditions de la capitulation de l’Ukraine.

Il semble certain que Poutine sera réélu en mars.
Oui, les gouverneurs ont apparemment reçu pour instruction de fixer sa victoire à un peu plus de 80%. Les Russes votent par voie électronique et ce processus prend trois jours – ce qui laisse suffisamment de temps pour obtenir le résultat souhaité.

«Mais en même temps, je crois que les jours de Poutine sont comptés»
Françoise Thom, spécialiste de la Russie post-communiste et l'historienne
Françoise Thom.Image: dr
Historienne de la Russie
Françoise Thom est l'une des historiennes de la Russie les plus réputées de l'Université Sorbonne à Paris. À 72 ans, cette spécialiste de l'Union soviétique a notamment publié, en 2022, le livre «Poutine ou l'obsession du pouvoir».

Comment ça?
J'ai l'impression que l'on assiste au début de la fin de son régime. Les Russes voient que les problèmes s’accumulent dans leur pays. De nombreux membres de l’appareil d’Etat pensent que le dirigeant fait fausse route, entraînant son peuple avec lui. A mon avis, une «dépoutinisation» est en marche à Moscou. Les circonstances me rappellent le déclin de Staline en 1953: déjà de son vivant, on cherchait en coulisses à le faire tomber.

Et ce n'est tout. À la fin de sa vie, Staline était tellement paranoïaque qu’il se préparait à une troisième guerre mondiale; il fit persécuter les intellectuels et les prêtres et poursuivit la militarisation de la société. Dans le même temps, les cercles les plus intimes du pouvoir préparaient sa chute en 1952. Ce qui s’est passé alors à Moscou pourrait se reproduire. De nombreux indices le laissent entrevoir.

Lesquels?
Regardez ce qui s'est passé quand Prigojine s'est rendu à Moscou. Il n’y avait personne pour défendre Poutine. Prenez Valery Solovei, un professeur proche du pouvoir qui déclare depuis longtemps que le président est gravement malade et qui commet des crimes de lèse-majesté les uns après les autres. Mais ce qui me surprend le plus, c'est qu'il soit toujours libre.

«Il doit être protégé par les plus hautes instances, sans quoi il aurait déjà écopé de 20 ans de prison»

Par ailleurs, le candidat présidentiel – muselé – Boris Nadejdine a sans aucun doute également le soutien d’une des «tours du Kremlin» , comme on appelle les différentes factions du pouvoir; sinon, il n'aurait pas pu discréditer Poutine pendant des semaines avec son programme de «dépoutinisation» totale. Il critiquait ouvertement la politique du président, qualifiait la guerre en Ukraine d'erreur et le tournant vers l'Est et la Chine de catastrophe. Qu'on ne laisse pas Boris Nadejdine se présenter aux élections, cela montre la peur qui règne au Kremlin.

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Comment Poutine pourrait-il être remplacé?
Au Kremlin, il faut des révolutions de palais pour modifier l'équilibre des pouvoirs. La question est de savoir quand interviendra la prochaine. A mon avis, tant que l’est de l’Ukraine ne sera pas fermement aux mains de la Russie, Poutine restera en place. Ses successeurs n'ont pas envie de faire eux-mêmes le sale boulot. Mais une fois cela réglé, Poutine sera destitué, ne serait-ce que pour plaire à l'Europe et tenter de surmonter les sanctions.

Poutine a-t-il donc un intérêt personnel à prolonger la guerre?
Il veut bien sûr rayer l’Ukraine de la carte, comme Staline l'a fait en provoquant la famine pour anéantir deux générations d'Ukrainiens. A Moscou, tout le monde s'accorde sur ce point. Poutine n’est pas critiqué parce qu’il fait la guerre, mais parce qu’il s’y est mal pris dès l'invasion et a bâclé le début du conflit. Mais la guerre et la militarisation du pays le confortent en même temps dans position.

Qu'en est-il du soutien populaire? Les Russes croient-ils à la désinformation constante qui fait de Volodymyr Zelensky un «nazi» et de la Russie une «nation menacée de l’extérieur»?
Oui, je pense que la plupart des gens y croient: tous ceux qui regardent la télévision sont complètement submergés par la propagande. La majorité est convaincue que l’Occident veut détruire la Russie.

«Seule une petite élite urbaine se rend compte qu’il s’agit de purs mensonges et de désinformation»

L’Europe est également tombée sous le charme de Poutine. Un aveuglement naïf?
Oui, mais pour des raisons différentes. Il existe un lobby russophile en Allemagne depuis le traité de Rapallo de 1922. L’économie dirigée par le chancelier Schröder est restée ainsi pendant de nombreuses années encore. De plus, Poutine a très bien su exploiter le sentiment de culpabilité des Allemands depuis la Seconde Guerre mondiale. En France, en revanche, les intellectuels étaient plutôt russophiles, par pur anti-américanisme.

En Suisse, mais aussi ailleurs, certains milieux ont une certaine affinité avec le régime russe malgré les crimes de guerre. Cela vous surprend?
La Suisse intéresse Moscou. Les tentatives d'espionnage russes en Suisse remontent à la Seconde Guerre mondiale. Les pays neutres comme l'Autriche et la Finlande ont toujours intéressé Moscou parce qu'ils constituent des plaques tournantes. Pendant la guerre froide, ces pays ont également permis de contourner le contre-espionnage américain et même d’effectuer des importations parallèles.

Contrairement aux pays de l’UE, la Suisse n’interdit pas les chaînes de propagande telles que Russia Today (RT) ou Spoutnik. Comprenez-vous cela?
C'est comme si la guerre en Ukraine n'avait pas suffi à éveiller les consciences en Suisse. Ces médias se livrent à de la pure propagande et à de la subversion; et ils engagent des sympathisants du pouvoir, des idiots utiles parce qu'influençables. Cela est clairement contraire aux intérêts de la Suisse.

En Suisse, on trouve également des cercles conservateurs de droite qui voulaient autrefois se débarrasser de leurs opposants d'obédience communiste, mais qui voient aujourd'hui Poutine comme un leader emblématique contre la décadence occidentale. Curieux, n'est-ce pas?
Il est temps de prendre conscience de l’efficacité et de l’influence de la propagande russe. Après vingt ans de discours haineux, l’état moral de la Russie est absolument catastrophique. Et pourtant, certains en Europe continuent de considérer Poutine comme le gardien des valeurs occidentales.

Pensez-vous que Poutine pourrait recourir à l'arme nucléaire un jour?
Je ne pense pas. Poutine se comporte comme un méchant qui attaque lorsqu’il se sent en position de force, mais qui se révèle finalement lâche et craintif. Il sait que les armes nucléaires constituent une ligne rouge et obligeraient l’Occident à réagir. Ce n'est pas ce qu'il cherche.

(Adaptation française: Valentine Zenker)

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