La journaliste et blogueuse russe Iryna Shikhman (38 ans) a dû être très surprise. En fait, elle voulait seulement publier une vidéo «triste» de son projet «Devrions-nous parler?» sur Instagram et sur sa chaîne Youtube – et attirer ainsi l'attention sur la souffrance des proches des soldats tués dans la guerre contre l'Ukraine. Elle a alors essuyé, du moins en Occident, une véritable tempête de critiques.
La vidéo de Shikhman est centrée sur les proches d'un soldat russe du nom d'Ilya Vasilenko, mort dès le deuxième jour de l'invasion russe en Ukraine. Shikhman a rendu visite aux proches endeuillés de Vasilenko dans le village russe de Chunsky, situé dans l'oblast d'Irkoutsk, c'est-à-dire au fin fond de la Sibérie, à la sortie du lac Baïkal, à plus de 4500 kilomètres de la frontière ukrainienne.
Холодильник з гарантійною наклейкою українською мовою – десь в глибині Іркутської області РФ (Сибір, неподалік від Монголії, ~5000 км до України). pic.twitter.com/xyyEgaLuwP
— Букви (@Bykvu) July 18, 2022
Dans la vidéo, la mère adoptive du soldat russe tué se plaint de l'absence de compensation de l'Etat pour les survivants. C'est pourquoi le film s'intitule également: «Ils n'ont donné de l'argent que pour son cercueil et la pierre tombale. Comment une famille russe obtient-elle un dédommagement pour la mort d'un soldat?»
La journaliste explique ensuite, pendant le film, qu'en cas de décès d'un soldat pendant la guerre, les autorités russes ne paieraient que les parents, les enfants ou l'épouse du défunt, mais pas les parents d'accueil. Ces derniers n'auraient pas droit à un versement.
Lorsque des journalistes ukrainiens ont visionné la vidéo, ils ont remarqué que la famille du défunt avait tout de même été «récompensée» d'une autre manière. En effet, sur le film, on peut voir dans la cuisine de la mère adoptive endeuillée un réfrigérateur comme neuf, avec un autocollant «deux ans de garantie complète» en ukrainien. Le réfrigérateur doit donc provenir d'Ukraine et probablement volé par les troupes russes.
Pour les médias ukrainiens, le défunt Vasilenko est, désormais, un pilleur. Pendant ce temps, la blogueuse Shikhman intervient sur Instagram et a plusieurs explications: «Ilya Vasilenko est mort le 25 février. Il est peu probable qu'il ait eu le temps d'aller à la poste ou d'organiser quoi que ce soit», écrit-elle, précisant qu'il n'est pas obligatoire qu'il ait lui-même envoyé le réfrigérateur en Sibérie. Elle écrit ensuite:
L'accusation selon laquelle le réfrigérateur est un objet volé n'est, toutefois, pas absurde. Car la guerre d'agression russe en Ukraine est aussi un pillage sans précédent. Des organisations de défense des droits de l'homme comme Human Rights Watch ou Amnesty International accusent l'armée russe de pillage, parmi d'autres crimes de guerre.
Les militaires emportent pratiquement tout avec eux: sous-vêtements, nourriture, jouets pour enfants, ordinateurs portables, voitures, machines à laver - ou même des réfrigérateurs. Certains soldats envoient ensuite les objets volés au pays. On a également trouvé des biens volés tels que de l'argent liquide ou des bijoux provenant de territoires occupés sur des soldats russes abattus, comme l'a rapporté entre autres le média est-européen Nexta.
Fin mars, les services secrets ukrainiens (SBU) ont publié une conversation téléphonique interceptée entre un soldat russe se trouvant en Ukraine et sa femme. L'homme y raconte qu'il s'est emparé de produits cosmétiques et de chaussures de sport. La femme rappelle ensuite au soldat que sa fille a encore besoin d'un ordinateur portable.
Les Ukrainiens prennent la farce du réfrigérateur en Sibérie avec humour, du moins en ligne. Le blogueur et présentateur de télévision Ivan Marunych a écrit à ce sujet sur Facebook: «Quelle est la différence entre un réfrigérateur et un occupant? Le réfrigérateur dure plus longtemps». (aargauerzeitung.ch)