Vladimir Poutine contribue-t-il à plonger complètement le monde dans le chaos? Au vu des événements au Proche-Orient, la question peut d'abord irriter. Les liens entre les actes odieux des terroristes du Hamas et les massacres continus de civils par les soldats russes en Ukraine semblent lointains, et pourtant...
L'attaque des terroristes palestiniens contre Israël n'a pas moins de potentiel d'escalade que la guerre d'agression de la Russie contre son voisin, qui est contraire au droit international. Ici comme ailleurs, il existe un risque réel que des conflits qui semblent d'abord régionaux puissent déclencher une conflagration mondiale.
C'est également l'avis du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Il a mis en garde, lundi, contre une nouvelle guerre mondiale et a rappelé que les conflits mondiaux précédents avaient également eu des déclencheurs plutôt discrets. «Les guerres mondiales du passé ont commencé par des agressions locales», a déclaré Zelensky dans son message vidéo quotidien, en faisant référence aux attaques des militants du Hamas contre Israël. Il a insisté:
Même dans le cas d'une guerre imminente entre Israël et les Palestiniens, Vladimir Poutine pourrait se retrouver au bout de la mèche et jouer avec une allumette.
We have data very clearly proving that Russia is interested in inciting war in the Middle East. So that a new source of pain and suffering would erode global unity and exacerbate cleavages and controversies, helping Russia in destroying freedom in Europe.
— Volodymyr Zelenskyy / Володимир Зеленський (@ZelenskyyUa) October 9, 2023
We can see Russian… pic.twitter.com/TLW94hKc9e
Selon les experts, l'explosion de la poudrière du Proche-Orient tombe à pic pour l'autocrate de Moscou. Le monde a désormais les yeux rivés ailleurs, et non plus sur l'Ukraine, où les troupes de Poutine terrorisent depuis plus de 19 mois tout un pays et sa population. La question que se posent donc les analystes politiques, et pas seulement, est la suivante: dans quelle mesure le dirigeant russe est-il impliqué dans les récents conflits?
Il existe bel et bien des indices qui montrent que Moscou est plus impliquée qu'elle ne veut pas l'admettre, aussi bien dans le Caucase, en Afrique, dans les Balkans et désormais au Proche-Orient. Soit par une présence directe dans les régions concernées (troupes russes dans le Haut-Karabagh, mercenaires de Wagner au Niger), soit par de très bonnes relations avec les parties en conflit respectives (le président serbe Alexander Vučić est un allié de longue date de Poutine et le Hamas entretient, lui aussi, d'excellents contacts avec le Kremlin).
Poutine n'est pas responsable de tous ces conflits, mais le dirigeant de Moscou sait comment utiliser politiquement et géostratégiquement le chaos au Proche-Orient, en Afrique ou dans le Caucase pour son propre agenda anti-occidental.
Il n'était donc guère surprenant que le régime de Poutine rende immédiatement l'Occident responsable de la terreur du Hamas islamique radical.
Par exemple le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Celui-ci a rencontré lundi le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, et a profité de l'occasion pour pointer du doigt les Etats-Unis et leurs alliés qui, selon lui, échouent depuis des décennies à régler le conflit au Proche-Orient. Aujourd'hui, ils vont recevoir la facture de cet échec.
Dans le même temps, Lavrov s'est montré apparemment préoccupé par le bien-être de la population civile et a insisté pour que l'on mette fin à l'effusion de sang israélo-palestinienne.
Quant à ceux qu'il juge aptes à parvenir à une paix durable au Moyen-Orient, Lavrov a également déclaré:
La Russie en tant que faiseur de paix? La démarche diplomatique de Moscou peut étonner. Non seulement Lavrov s'engage pour la paix au nom des victimes civiles en Israël et en Palestine, alors que son pays a blessé et tué des dizaines de milliers de civils en Ukraine par des bombardements systématiques et continue de le faire chaque jour.
La Russie est également considérée comme l'un des principaux acteurs de ce conflit israélo-palestinien que Lavrov propose aujourd'hui si généreusement de résoudre.
Selon le ministère russe des Affaires étrangères, la Russie entretient depuis des années déjà les meilleurs contacts avec l'organisation radicale palestinienne Hamas. Ainsi, le représentant du Kremlin pour le Proche-Orient, le vice-ministre des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov, s'est entretenu à plusieurs reprises cette année avec des représentants du Hamas - par téléphone et lors de rencontres personnelles à Moscou. La Russie aurait également livré des armes occidentales au Hamas en Ukraine.
Les médias russes ont fait état mardi d'une visite prévue du président palestinien Mahmoud Abbas en Russie. «Il a été convenu que Monsieur Abbas se rendrait à Moscou», a déclaré l'ambassadeur palestinien à Moscou, Abdel Hafiz Nofal, cité par l'agence de presse russe RBC. Les deux parties sont «en contact quotidien». Abbas avait rencontré Poutine pour la dernière fois en marge d'une conférence au Kazakhstan.
En outre, la Russie a conclu une sorte de partenariat stratégique avec l'Iran au cours de la guerre en Ukraine. Les mollahs de Téhéran fournissent à Poutine des drones en masse pour sa guerre contre le pays voisin, en contrepartie la Russie aide sans doute la République islamique à développer son programme nucléaire. Tous deux sont unis par la haine de l'ennemi commun: les Etats-Unis et l'Occident.
Un embrasement au Proche-Orient - en fonction de la durée du conflit qui s'est déclenché entre Israël et le Hamas - signifie pour le Kremlin une pause politique. Le soutien de l'Occident à l'Ukraine, qui s'est déjà effrité récemment, pourrait désormais diminuer encore davantage, les ressources politiques et militaires étant liées. Sans parler de l'attention mondiale.
«Nous espérons que cela (réd: le conflit israélo-palestinien) n'aura pas de conséquences dramatiques sur le soutien à l'Ukraine», a déclaré un diplomate européen au magazine Politico. Il ajoute:
Ce qui est un test de résistance diplomatique et sécuritaire pour l'UE semble être une aubaine pour Moscou: plusieurs crises en même temps. Il est donc plus probable qu'une initiative de paix sérieuse de la part de Moscou que la Russie ne souhaite pas du tout mettre fin rapidement à une guerre au Proche-Orient, mais plutôt détourner l'attention de la guerre en Ukraine, qui a tenu la communauté internationale en haleine jusqu'à présent.
Du point de vue des experts américains, c'est précisément le plan de Poutine. Comme l'écrit l'Institut d'études de la guerre (ISW) à Washington dans une analyse détaillée, la Russie tente déjà de discréditer l'Occident en le désignant comme responsable de la flambée de violence entre les Palestiniens et Israël par une campagne de désinformation ciblée.
Tant sur le plan de la politique intérieure que sur celui de la politique extérieure, Moscou pourrait tirer profit de cette interprétation des choses. Elle s'inscrirait en outre parfaitement dans les schémas de communication déjà connus du Kremlin.
En effet, les propagandistes de Poutine sont passés maîtres dans la discipline de l'inversion rhétorique de la culpabilité, une discipline exercée depuis des décennies. Ils ont ainsi réussi à convaincre les citoyens russes que ce n'était pas la Russie qui avait envahi l'Ukraine en violation du droit international, mais l'Occident qui avait déclenché la guerre avec la Russie.
Le récit semble désormais fonctionner de manière similaire dans le cas de la terreur du Hamas. Ce ne sont pas les islamistes soutenus par Téhéran qui ont semé la terreur sur le territoire israélien, mais l'Occident et sa politique de paix ratée qui en seraient responsables.
En conséquence, l'homme de main de Poutine, Dmitri Medvedev, a écrit sur Telegram que la violence entre le Hamas et Israël était prévisible. «Washington et ses alliés auraient dû s'en occuper», a déclaré l'ex-président et actuel vice-président du Conseil de sécurité nationale.
Les Etats-Unis sont un acteur clé dans le conflit entre Israël et la Palestine, a poursuivi Medvedev. Mais au lieu de s'occuper d'une solution israélo-palestinienne, ces «imbéciles» se sont immiscés dans les affaires de la Russie.
Après les attaques sanglantes menées par des extrémistes du Hamas contre des cibles israéliennes, l'Iran s'est empressé de revendiquer la paternité de cette vague de terreur sans précédent. Il est difficile d'imaginer que la Russie n'était pas au courant.
Le maître du Kremlin a déjà réussi à torpiller les efforts de l'Occident dans la région par une intervention brutale de l'armée russe. En 2015, il a soutenu le régime du dictateur syrien Bachar al-Assad par une intervention militaire et a contribué à réduire des villes entières en cendres.
Pour les Etats-Unis, sous la direction de leur président de l'époque Barack Obama, l'écrasement du mouvement de libération syrien a été une humiliation. Pour la Russie, c'est une occasion réussie de mettre en lumière les faiblesses manifestes de l'Occident.
L'attaque du Hamas contre des colonies israéliennes a d'ailleurs eu lieu exactement le jour où le Kremlin avait quelque chose à fêter. Le 7 octobre est l'anniversaire de Vladimir Poutine. Les connaisseurs de la politique russe parlent déjà d'un «cadeau d'anniversaire parfait» pour l'autocrate du Kremlin.
Le moment peut être une coïncidence. D'un autre côté, l'obsession de Poutine pour les dates historiques et les fêtes importantes est notoire. Peut-être que quelqu'un voulait lui faire un cadeau. Ou bien il se l'est offert lui-même.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)