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Qui est Olga Skabejeva, la «poupée de fer» de la TV pro-Poutine

Olga Skabejeva est une présentatrice télé à la fois star nationale et propagandiste décriée, qui, entre deux selfies sur Instagram, n'hésite pas à user (et abuser) des mensonges et «infox» pour servir ...
Olga Skabejeva est une présentatrice télé à la fois star nationale et propagandiste décriée, qui, entre deux selfies sur Instagram, n'hésite pas à user (et abuser) des mensonges et «infox» pour servir la cause de l'Etat.image: instagram

Olga Skabejeva, la «poupée de fer de Poutine» qui secoue la TV russe

Belle, pétrie d'ambition, impitoyable et sans scrupules: la journaliste Olga Vladimirovna Skabejeva est l'un des piliers de la propagande pro-Kremlin. Portrait d'une tueuse à la gueule de poupée russe.
30.05.2022, 06:0330.05.2022, 08:36
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Ne vous laissez pas amadouer par ce visage poupon aux longs cils. Derrière ces traits délicats se cache une sinistre réputation. Parmi ses nombreux surnoms: la «propagandiste en chef», la «force des opérations spéciales», ou plus volontiers, «la poupée de fer de la télévision de Poutine».

«C'est un monstre»
Vasily Gatov, chercheur sur les médias russes, Business insider
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Elle, c'est Olga Skabejeva, 38 ans. Présentatrice télé à la fois star nationale et propagandiste décriée, qui, entre deux selfies sur Instagram, n'hésite pas à user (et abuser) des mensonges et «infox» pour servir la cause de l'Etat. En bref: un rouage indispensable à la propagande du Kremlin. Au point de figurer, début février, parmi les toutes premières personnalités ciblées par les sanctions économiques internationales.

«Tout ce qu'elle dit reflète la ligne officielle du Kremlin»

Il y a une dizaine de jours, cette «porte-parole de l'Etat» illustrait son légendaire patriotisme en s'en prenant sèchement à un invité de son talk-show, l'ancien militaire Mikhail Khodarenok, qui remettait en question le succès revendiqué de l'armée russe.

L'ambition chevillée au corps

Travail, rigueur et discipline de fer: les maîtres-mots que s'impose la future propagandiste dès sa (pas si) tendre enfance. Sa naissance par une nuit glaciale de décembre 1984, dans une ville industrielle de l'oblast de Volgograd, donne le ton et la température. Les journées sont minutées. Réveil à 06h30, avant que ne s'enchaînent ses cours dans une école soviéto-américaine, suivis de ceux de dessin et de gymnastique.

Un an avant la fin de ses études, la disciplinée Olga sait où ces efforts vont la mener: elle sera journaliste, sinon rien. Un choix qui ne convainc guère papa (ingénieur civil), qui préférerait un «vrai métier», ni maman (architecte) qui fantasme sur l'idée que sa fille suive ses traces. Mais dans la famille Skabejeva, on se fait confiance. Alors Olga, qui «vit pour ses objectifs», maintient le cap et le rythme effréné. Son mantra: «Tu dois travailler dur, sinon tu n'obtiendras jamais de résultats», explique-t-elle lors d'une interview.

«Je suis ambitieuse, je n'exclus pas la possibilité de me surestimer et j'ai confiance en mes capacités»

Bref, une conquérante, une «winneuse», une maniaque du détail qui ne se départit jamais de son sens de l'ironie, qu'elle considère comme une «qualité essentielle du journalisme».

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En 2003, bye bye la province: la jeune femme quitte sa famille pour intégrer la faculté de journalisme de l'Université d'Etat de Saint-Pétersbourg. En parallèle, la reporter en herbe taille sa plume acérée dans un média local, Week of the city. Première expérience, premiers prix: elle rafle notamment le titre de journaliste la plus prometteuse de l'année 2007. Suivi, l'année suivante, d'un prix dans la catégorie «enquête journalistique».

En 2017, la journaliste a posé les pieds à Lausanne.
En 2017, la journaliste a posé les pieds à Lausanne.image: instagram

La «poupée de fer» de Poutine

Fraîchement diplômée (avec mention, quoi d'autre?), Olga Skabejeva intègre la radio-télévision d'Etat de Saint-Pétersbourg, où elle forge sa réputation - principalement à coups de critiques acerbes de l'opposition et de fausses informations. Elle acquiert vite un surnom qui ne la quittera plus: la «poupée de fer de Poutine».

Son pitch, fidèle à la posture du Kremlin, ne varie pas d'un iota. Toujours, la Russie campe le rôle de grande nation maltraitée, droite dans ses bottes, résistant tant bien que mal face à un Occident débauché et diabolique.

«Le reste du monde est présenté comme affreux et décadent. Et nous, la grande nation de la Russie, représentons le dernier bastion de la morale»
Vasily Gatov, chercheur sur les médias russes

Le script est grossier, mais il marche. Surtout auprès d'une catégorie de la population plus âgée qui s'informe principalement via les programmes d'info diffusés le soir par la télévision étatique.

La ferveur patriotique et les coups d'éclat nationalistes d'Olga Skabejeva lui valent d'être repérée par les collègues moscovites qu'il faut. Elle intègre bientôt la chaîne fédérale Russia 1, l'une des plus regardées du pays.

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Dès lors, la carrière de cette grande adepte des thèses abracadabrantes est rythmée par les scandales successifs. Que ce soit pour ses propos ouvertement homophobes ou en 2018, quand elle spécule que l'empoisonnement d'un ancien agent du renseignement russe, Sergueï Skripal, relève d'un «complot britannique élaboré pour salir la Russie». Ces sorties choc, c'est quand elle n'invente pas carrément des informations: comme après la fusillade du lycée de Kertch, en Crimée, lorsqu'elle interviewe une soi-disant «témoin oculaire» nommée Alina Kerova... alors que cette dernière est décédée dans l'assaut.

Olga Skabejeva est brutale. Au sens philosophique et physique du terme. Peu importe s'il s'agit de rentrer dans les muscles d'un agent de sécurité pour se frayer un chemin vers la personne qu'elle veut interroger - ou se faire mettre à la porte manu militari par son interlocuteur quand elle pose des questions trop insistantes.

Un style tranchant, agressif, voire outrageant, qui divise même au sein de la société russe. Selon Sarah Oates, professeure de journalisme à l'Université du Maryland interviewée par le Business insider, c'est précisément le but recherché:

«Elle est délibérément provocante, dans l'exagération»

Constat partagé par Vasily Gatov, chercheur sur les médias russes:

«C'est une personne controversée, scandaleuse, qui polarise»

Rien qui ne freine son irrésistible ascension. En 2016, la fidèle supportrice du régime d'Etat russe se voit proposer d'animer le tout nouveau talk-show de Russia 1, 60 minutes.

Olga Skabejeva sur le plateau de 60 minutes.
Olga Skabejeva sur le plateau de 60 minutes.image: instagram

Principe de l'émission: combiner reportages et discussions sur un thème d'actualité brûlant, au cours desquels les invités s'affrontent sous les yeux de l'impitoyable animatrice et de son partenaire.

Un couple de killers atypique

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Soixante minutes, c'est une affaire de couple. Depuis son lancement, Olga présente le talk-show aux côtés de son confrère et mari, Yevgeny Popov.

Ce couple «atypique», fusionnel et au bling-bling assumé, a fait connaissance à New York. Ils sont tombés amoureux au fil de leurs appels sur Skype, ont reporté leur mariage à trois reprises pour des urgences professionnelles et s'unissent finalement entre deux reportages à l'étranger, avant de s'établir à Moscou.

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Parents en 2014 d'un petit garçon, Zakhar, le duo de la jet-set moscovite assure ses vieux jours en se bâtissant une petite fortune dans l'immobilier de luxe. Et comme le pouvoir financier et médiatique ne suffit pas à ce couple d'ambitieux, Monsieur se lance en politique. Il devient membre de la Douma pour Russie unie, le parti de Vladimir Poutine.

Il n'en fallait pas plus pour que la petite «famille de propagandistes» tape dans l'œil de la fondation anti-corruption Navalny, qui lui consacre en 2021 une longue enquête. Les conclusions ne s'avèrent, évidemment, pas tendres.

«Popov et Skabejeva ne sont pas des journalistes, des personnes ayant une opinion. Ce sont des criminels. Ils incitent à la guerre et à la haine et lavent le cerveau de millions de Russes», résume l'équipe de Navalny. La méthode?

«Chaque jour, ou plutôt deux fois par jour, ce couple insensé apparaît sur l'écran de télévision et ment. C'est leur travail. Sans un pincement de conscience, ou plutôt, même avec diligence et plaisir, ils scandalisent, lorgnent, crient des injures»

En bref: «Zombifier, créer une réalité parallèle pour les téléspectateurs crédules de l'émission fédérale». Aïe.

Le couple est un grand adepte des selfies d'ascenseur - lesquels ont permis à la fondation Navalny de situer leur appartement dans une luxueuse tour de Moscou.
Le couple est un grand adepte des selfies d'ascenseur - lesquels ont permis à la fondation Navalny de situer leur appartement dans une luxueuse tour de Moscou.image: instagram

Cette (mauvaise) presse n'est évidemment pas du goût du couple Skabejeva-Popov, qui s'indigne des accusations de corruption politique et autres révélations embarrassantes sur leurs revenus (26 millions de roubles par an).

«Non, ce ne sont que des mensonges, nous ne sommes pas payés autant et, en général, ce ne sont pas vos affaires», affirment-ils à un journaliste. Circulez, il n'y a rien à voir.

L'Ukraine dans le viseur

Bien avant le début de la guerre, la propagandiste numéro une du pays s'est faite une ennemie de l'Ukraine. L'année dernière, déjà, elle lâchait, ses yeux verts de chat rivés sur la caméra:

«Ce qui se passe en Ukraine est un génocide perpétré par les mêmes agents de la CIA qui ont d'abord détruit l'URSS, puis se sont livrés à une privatisation illégale sous le président russe Boris Eltsine et ont cherché à démanteler la Russie»

Et puis, survient ce fatal 24 février. Quatre jours plus tard, la poupée de Poutine vient garnir la liste des personnalités médiatiques, hommes d'affaires et autres oligarques influents sanctionnés par l'Occident.

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Raison de plus pour l'animatrice belliqueuse de poursuivre son méticuleux travail de désinformation et démolition des ennemis de la Russie. Le jour même, le 28 février, elle annonce pompeusement:

«Au cinquième jour de l'opération spéciale de dénazification de l'Ukraine, l'aviation russe a assuré la suprématie totale de l'air sur l'ensemble du territoire ukrainien»

Depuis, cet indéfectible pilier du régime russe enchaîne les éditions spéciales.

En avril, dans son dos, les téléspectateurs voient défiler les images du massacre de Boutcha. Des cadavres sciés par un long bandeau rouge estampillé «fake». Des vidéos glaçantes qu'Olga commente froidement: «Il n'y a aucune preuve de victimes, mais l'Ouest n'a pas besoin de faits».

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Les potentiels crimes de guerre commis par la Russie ne sont pas cachés au peuple russe. Lequel a sous les yeux les mêmes images glaçantes que nous. Sauf que la réalité et les faits s'inversent. Les victimes deviennent coupables.

Boutcha se mue en chef-d'œuvre de mise en scène, orchestré par d'habiles comédiens ou des néonazis dont l'objectif est d'empêcher les négociations de paix. Peu importe si la propagande se prend régulièrement les pieds dans le tapis: l'essentiel est de multiplier les versions, de brouiller le message.

Un pouvoir qui s'érode

Aujourd'hui, il s'agit pour les propagandistes russes de ne pas faillir dans le bras de fer médiatique engagé par Poutine et Zelensky. Un combat presque perdu d'avance? Selon la professeur Sarah Oates, ce recours systématique à la rhétorique antinazie et cette position de déni risquent de s'essouffler.

«Les Russes ne sont pas idiots»
Sarah Oates

«Ces messages propagandistes finiront par s'effriter lorsque les spectateurs commenceront à avoir des doutes ou des craintes quant à leur avenir, ou lorsque les Russes ordinaires commenceront à subir les conséquences économiques désastreuses de la guerre»

En 2018, Olga Skabejeva se classait dans le top 10 des journalistes jugés les plus dignes de confiance et les plus respectés par les Russes. A voir si la guerre finira par faire rouiller la poupée de fer.

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