Notre histoire commence le 7 octobre 1952, au sein d'une modeste famille ouvrière de Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Des trois fils de Maria Ivanovna et Vladimir Spiridonovitch, le petit Vladimir est le seul survivant.
Au cœur de la Léningrad des années 50 et 60, alors aux mains de la pègre, le chemin du jeune Poutine, élève «médiocre et bagarreur», selon sa propre biographie, semble tout tracé. Les règles de conduite qui régissent ce milieu mafieux lui forgent toutefois caractère et discipline de fer. Pilier du futur leader de la Russie? Le sport. Une passion qu'il conservera toute sa vie. Selon des sources, il s’imposerait encore une séance quotidienne d’une heure et demie.
Adolescent, Poutine se rêve espion. Fantasme contrarié par son échec à intégrer le KGB à l'âge de seize ans. Il poursuit donc des études de droit à l'université de Leningrad, où il se révèle être l’un des meilleurs élèves. Malgré un diplôme obtenu en 1975, Vladimir ne sera jamais avocat: la porte des services secrets s'ouvre enfin.
En 1982, Vladimir Poutine rencontre Lyudmila Alexandrovna Chkrebneva, jeune hôtesse de l'air qu'il épouse l'année suivante. De cette union naissent deux filles: Maria, en 1985 et Ekaterina, en 1986. Deux femmes qui rayonnent aujourd'hui par leur absence de la scène médiatique.
Poutine fait preuve d'une discrétion maladive quant à sa vie de famille. «Peut-être parce qu’il les voit (sa femme, ses enfants) comme des vulnérabilités», analyse Vladimir Fédorovski, diplomate, historien et écrivain, interviewé par Le parisien.
Deux autres femmes, au moins, vont marquer la vie sentimentale de Poutine: Svetlana Krivonogikh (qui donne naissance à leur fille Elizaveta en 2003). Elle sera suivie de la gymnaste, Alina Kabaeva, de 30 ans sa cadette, et avec laquelle il aurait eu trois enfants.
Après un passage par l'Allemagne, Poutine, désormais trentenaire, retourne en Russie à la fin des années 80. Survient alors la chute de l’Allemagne de l’Est. Un évènement historique qui est vécu comme un traumatisme par le futur chef de la Russie:
Les services secrets derrière lui, Poutine tisse sa toile politique pour devenir l’une des personnalités les plus influentes de la municipalité - récemment rebaptisée - de Saint-Pétersbourg. Une période charnière durant laquelle l'ex-espion de 37 ans bâtit autour de lui un véritable «modèle de corruption», dont les plus fidèles éléments le suivront jusqu'au Kremlin.
Tout s'accélère lorsque Poutine est nommé premier-adjoint du maire de la ville, Anatoli Sobtchak, auprès duquel il joue à merveille le second «docile, fidèle, inoffensif, sur qui l’édile peut compter».
L'ascension se poursuit, calme, discrète, inexorable. En mars 1997, fort du soutien d'influents oligarques, Vladimir intègre l’administration du président de la Russie: un certain Boris Eltsine qui patauge en pleines difficultés. Soupçons de corruption, scandales à répétition, vidéos sulfureuses avec des jeunes femmes et sondages d'opinion en berne sont l'apanage de ce chef d'Etat impopulaire.
On murmure que le scandale qui met un terme définitif à la carrière de Boris Eltsine n'en était pas un. Selon le média Correctiv, le coup fatal aurait été fabriqué de toutes pièces par jeune Vladimir Poutine avide de mettre la main sur le système judiciaire russe.
En trois ans, le «pantin» désigné par les oligarques enchaîne les promotions: responsable de la sécurité, chef des services secrets et finalement, premier ministre.
Un supérieur dont Poutine ne veut rien apprendre: ses abus d'alcool et le manque de poigne politique dégoûtent le jeune ministre. Son agacement transparaît jusque dans les conférences de presse, lorsqu'il arrache des mains le micro de son patron:
Une phrase choc plus tard et le voilà propulsé à plus de 40% d’opinions favorables. Sitôt débarrassé de l'encombrant Boris Eltsine, qui démissionne pour raisons de santé, Poutine s'empare du poste de président de la Fédération de Russie, dès le premier tour de l'élection présidentielle, avec la complicité de quelques milliardaires.
Gouverneurs, oligarques et médias sont mis au parfum le soir de la fête de la victoire:
Dès le début de son mandat, Poutine engage des réformes socio-économiques et politiques d'envergure qui transformeront radicalement son pays. Ses mots d'ordre? Verticalité du pouvoir, renforcement des services de renseignements, de la police et de l'armée, relance de l'économie, lutte contre la mafia et les fraudes des oligarques, réformes fiscales, contrôle et pression sur l'information de masse.
Le 11 septembre 2001, lorsque les tours du Wall Trade Center et que la confiance du monde occidental s'effondrent, Poutine est en pleine séance de sport. Pour lui, c'est l'occasion inespérée de replacer durablement la Russie sur la scène internationale. Il s'empare de son «téléphone rouge» pour offrir son soutien inconditionnel à George W. Bush.
Début 2007, Poutine hausse le ton dans ses relations avec l'Occident. Il renonce à une adhésion à l’Otan, qu’il avait pourtant envisagée d'intégrer sous la présidence de Bill Clinton. Le 4 juin, à la veille du sommet du G8 à Rostock, il brandit la menace de l'arme nucléaire si les Etats-Unis se déploient aux frontières russes.
La même année, le maître du Kremlin est nommé personnalité de l'année par le Time.
Malgré ses promesses de ne pas modifier la Constitution russe pour briguer un troisième mandat, il n'est pas contre la perspective de conserver un certain pouvoir. C'est le début d'un tour de passe-passe politique astucieux avec son premier ministre Dmitri Medvedev.
L'année 2013 permet à Poutine de renforcer le rôle de son pays sur l’échiquier politique international: l'affaire des écoutes révélée par le lanceur d'alertes Edward Snowden et manœuvres diplomatiques autour de la Syrie sont toutes deux gérées d'une main habile par le maître du Kremlin.
Dans le même temps, le président russe prend des décisions qui lui valent quelques critiques occidentales: l'instauration d'une loi prohibant la «propagande homosexuelle auprès des mineurs» ou encore la dissolution de l'agence de presse officielle RIA Novosti, au profit d'un nouvel organisme pro-russe, Rossia Segodnia.
En février 2014, Poutine veut faire des Jeux olympiques de Sotchi le symbole d'une Russie moderne et toute puissante. Une véritable opération de séduction qui implique un investissement colossal - le plus lourd jamais alloué pour accueillir une compétition olympique.
Les accusations de «système de dopage d'Etat» concernant les athlètes russes ne sont pas la seule contrariété politique à laquelle doit faire face le président russe en cette année 2014. Il en est une qui le remue bien davantage: le soulèvement inattendu du peuple ukrainien contre son dirigeant prorusse, Viktor Ianoukovitch.
Poussé dans ses retranchements, désireux de mieux camoufler sa défaite, Poutine enterre pour toujours l'idée d'une paix avec les Occidentaux et envoie des troupes pour annexer la Crimée. L'Ukraine ne sera jamais le trait d’union entre la Russie et l’Occident dont avait rêvé Poutine.
Entre l'annexion de la Crimée et l'intervention militaire en Syrie, la Russie endosse définitivement le costume de vilain petit canard de l'Occident. Une désapprobation générale qui n'entame guère la cote de popularité de Vladimir Poutine dans son propre pays: en 2017, elle se situe autour de 85%.
L'année suivante, la popularité jusqu'ici incontestée du dirigeant russe fait un plongeon brutal de 20 points: réforme des retraites et baisse du pouvoir d’achat ternissent la cote de Poutine plus efficacement que les contestations et les théories du complot dénoncées par l’opposition.
N'en déplaise aux 40% de citoyens russes «insatisfaits» de leur président, il brigue un quatrième mandat. «Le chef de l'Etat est un homme fort», aime-t-il à l'affirmer lui-même dans sa campagne électorale de 2018. Son credo?
Cette image d’homme puissant, sportif, charismatique et imposant, il la travaille au corps. «Il veut être l’antithèse des "faiblards" qu’étaient Gorbatchev et Eltsine, qu’il méprise», analyse Vladimir Fédorovski au Parisien. «Il reste pour les Russes leur plus grand dirigeant, un symbole d’anti-corruption.»
Sur fond d'opposition et de dénonciations d'irrégularité électorale, de «bourrages d'urnes» et de «manipulation du vote en ligne», Poutine est réélu. Ce qui ne l'empêche de préparer la suite: 2036, pour être précis. Année jusqu'à laquelle il peut rester au pouvoir grâce à une révision de la Constitution qu'il a lui-même proposée.
Le 24 février 2022 au cours d'une allocution télévisée désormais mondialement célèbre, Vladimir Poutine décrète l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Quelques minutes après cette déclaration, les forces armées de la Fédération de Russie pénètrent sur le territoire ukrainien. De son titre d'«homme de l'année», décerné quinze ans plus tôt par le magazine américain Time, il passe à «criminel de guerre» dans la bouche de Joe Biden.
Depuis sept mois comme depuis 70 ans, le monde entier se casse le nez à tenter de se mettre dans les méninges de Vladimir Poutine. Au fond, qui est-il, ce septuagénaire qu'on présume mourant un jour, prêt à détruire l'humanité le lendemain? Un autocrate autoritaire, un politicien génial, un espion opportuniste, un criminel manipulateur?
«Dieu vous a placé au pouvoir», a lancé le patriarche orthodoxe russe Kirill ce 7 octobre 2022, en guise de vœux pour l'anniversaire du président russe. Dieu? Pas sûr. Sa position actuelle, enviable ou pas, Vladimir Poutine ne la doit qu'à lui-même.