Le cou est épais, le regard noir. Et il y a belle lurette que davantage de médailles militaires s'accrochent solidement à son uniforme que de cheveux à son crâne.
Sergueï Sourovikine, 55 ans, vétéran de la deuxième guerre de Tchétchénie et patron de l'expédition militaire russe en Syrie en 2017, est officiellement le nouveau «commandant du groupement combiné de troupes dans la zone de l’opération militaire spéciale». Un gradé hautement expérimenté qui remplace... un fantôme. Si tout le monde évoque Alexander Dvornikov, le «boucher de Syrie», le Kremlin ne l'a jamais explicitement confirmé. Les nominations publiques sont rares à Moscou.
Adorablement surnommé le «cannibale de Poutine» par ceux qui ont eu le malheur de croiser son chemin, Sergueï est un militaire formé dans et par la terreur. Dès son plus jeune âge. Médaille d'or sa formation à l'école supérieure de commandement interarmes d'Omsk, il n'avait alors que 20 ans, l'homme ne vit que pour garantir, à grandes salves de brutalité, la «prospérité de l'empire Russie». Pour avoir assuré le sale boulot en Syrie, Sergueï Sourovikine est d'ailleurs devenu officiellement un «héros de la Russie», récompense finale dans le grand jeu de l'allégeance au maître du Kremlin.
Cette nomination confirme d'ailleurs que la valse des généraux n'est pas terminée et que le ton monte chez les cadres de l'armée russe. Depuis quelques jours, Vladimir Poutine est sermonné par plusieurs hauts gradés pour sa tactique militaire brouillonne et il «semble vouloir faire porter le chapeau des échecs de l'invasion au ministre de la Défense Choïgou», selon une analyse, lundi, de l'Institute for the study of war (ISW). Le «cannibale» aurait donc été rappelé pour calmer le jeu en haut lieu et redonner un coup de fouet sur le terrain.
Officiellement général depuis l'été, ce Russe sorti de sa retraite et au tableau de chasse impressionnant est plus que jamais dans les petits papiers du patron du Kremlin. Alors qu'il dirigeait les troupes russes au sud de l'Ukraine, c'est en grande partie grâce à lui que la Russie a été en mesure de s'approprier plusieurs bouts de territoires majeurs. On lui attribue également des frappes particulièrement cruelles à Odessa, contre deux... camps de vacances. Un gentil nounours, qu'on vous dit.
S'il n'a jamais boudé les tranchées, c'est son côté pile qui lui a offert les lignes les plus controversées de son CV. Sergueï a une personnalité aussi sulfureuse qu'imprévisible. Il serait également «intraitable» et «impitoyable».
Durant son mandat en Syrie, en 2017, il a été accusé de crimes de guerre et, en 1995, de vol et de vente d’armes. Sa condamnation sera annulée dans la foulée, par un tour de magie dans les hautes sphères.
Deux ans plus tôt, lors du putsch manqué de 1991, c'est lui qui ordonne à son unité de foncer contre un bloc de manifestants pro-démocratie. Une charge qui fera (officiellement) trois morts. Sergueï croupira quelques mois en prison, mais sera libéré par Boris Eltsine en personne. Pourquoi? Il aurait simplement «suivi un ordre». (Son mantra, rappelez-vous.)
Sergueï Sourovikine est arrivé ce week-end à la tête du «groupement combiné de troupes dans la zone de l’opération militaire spéciale», comme le Kremlin l'a annoncé sur Telegram. Lundi, l'Ukraine s'est fait sortir du lit par un déluge de nouveaux bombardements. Si Poutine, par cette nomination en grande pompe, voulait faire passer un message, c'est réussi.
(fv)