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«Mon enfant est-il en danger?»: notre journaliste à Moscou raconte

Evan Gershkovich se tient dans «l'aquarium», une cage de verre au tribunal de Moscou. Le correspondant du Wall Street Journal risque 20 ans de prison pour espionnage présumé.
Evan Gershkovich se tient dans «l'aquarium», une cage de verre au tribunal de Moscou. Le correspondant du Wall Street Journal risque 20 ans de prison pour espionnage présumé.

«Mon enfant est-il en danger ici?»: notre journaliste à Moscou s'inquiète

Depuis l'attaque russe contre l'Ukraine en février 2022, de nombreux journalistes russes indépendants ont quitté leur pays. Les quelques correspondants étrangers sont de plus en plus limités pour exercer leur métier.
13.05.2023, 16:2613.05.2023, 17:49
Inna Hartwich, moscou / ch media
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En Russie, la majorité des reportages diffusés concernent des procès. Les journalistes sont assis sur des bancs en bois dans des salles d'audience exiguës. Le juge lit son jugement. Dans ce qu'on appelle un aquarium, une cage en verre, l'accusé fait les cent pas, comme un animal dans un zoo.

Evan Gershkovich a vécu plusieurs de ces procès. Cet Américain est arrivé à Moscou il y a cinq ans en tant que reporter, des projets plein la tête. Ses parents ont quitté l'Union soviétique il y a des années. Dans leur nouveau foyer américain, où ils ont élevé leurs deux enfants, la culture russe a toujours été présente.

Le jeune homme de 31 ans, correspondant pour le Wall Street Journal, avait l'ambition d'apprendre, et de comprendre la Russie. Il était souvent sur la route, il a écrit sur les protestations dans les décharges, sur les langues en voie de disparition dans cet immense pays, et aussi sur plusieurs procès de dissidents.

En avril, Evan Gershkovich s'est retrouvé piégé dans l'aquarium d'un tribunal moscovite. Il était accusé d'espionnage par l'Etat russe. Une accusation qui pourrait entraîner une peine de 20 ans de prison, parce que le journaliste a enquêté, dans un pays en guerre qui ne reconnaît pas la situation actuelle comme telle.

Partir ou rester?

L'affaire Gershkovich concerne directement tout correspondant qui travaille en Russie. Chacun d'entre eux se demande tous les jours s'il ne valait pas mieux quitter le pays. Pour moi aussi, qui écris depuis plus de cinq ans depuis et sur la Russie, c'est mon deuxième séjour à Moscou en tant que correspondante.

Inna Hartwich est correspondante à Moscou pour CH Media dont watson fait partie.
Inna Hartwich est correspondante à Moscou pour CH Media dont watson fait partie.
«Est-ce que je peux continuer à travailler ici et à vivre avec ma famille? Est-ce que je mets notre enfant en danger? Est-ce que je mets encore plus en danger mes interlocuteurs»

Est-ce que je peux supporter la peur et le sentiment de culpabilité lorsque je vois l'enfant complètement figé sur un siège à l'aéroport, parce qu'il voit ses parents retenus par les services secrets qui veulent encore poser des «questions supplémentaires»?

Comment soutenir un enfant qui perd d'un seul coup des dizaines d'amis, alors que je suis souvent moi-même aux prises avec des émotions telles que la tristesse, la colère et l'impuissance? Les amis russes sont emmenés par leurs parents dans un autre pays parce qu'ils s'y sentent plus en sécurité, les amis étrangers sont expulsés avec leurs parents diplomates.

Les adultes aussi se sentent plus seuls, car de nombreux amis sont partis. Ceux qui sont restés ici sont devenus prudents lorsqu'ils parlent avec des correspondants occidentaux. De plus en plus de domaines deviennent inaccessibles - parce que l'Etat ferme ses portes aux correspondants ou parce que beaucoup de gens se taisent.

Une angoisse tous les trois mois

Et pourtant, les nuances de la vie, l'ambiance de la société, les plaintes, le mécontentement, les moindres changements: tout cela ne peut-être perçu que de l'intérieur. Pour tous les journalistes occidentaux, rester dans le pays permet de naviguer à vue.

Les journalistes issus des Etats qui supportent les sanctions de l'Occident contre la Russie ne reçoivent désormais leur accréditation du ministère russe des Affaires étrangères que pour trois mois. Il s'agit du permis de travail et de la base pour un visa. Parfois, le ministère ne délivre la nouvelle carte qu'un jour avant l'expiration de l'ancienne. C'est une angoisse qui se renouvelle tous les trois mois.

Dans l'histoire récente de la Russie, avant Evan Gershkovich, jamais un journaliste étranger accrédité auprès du ministère russe des Affaires étrangères n'avait été accusé d'espionnage. Avec son arrestation, la dernière correspondante américaine a également quitté la Russie. Les bureaux de correspondants européens réduisent leur travail, certains se délocalisent à l'étranger, en Géorgie, en Lettonie, en Allemagne.

Dans l'index de la liberté de la presse que Reporters sans frontières publie chaque année, la Russie est classée 164e sur 180, au même rang que le Pakistan, l'Afghanistan, la Corée du Nord et la Chine, où la situation est «très grave». Les journalistes russes indépendants se voient contraints de s'informer depuis l'étranger, car ils sont menacés de poursuites judiciaires à répétition dans leur propre pays.

Le journaliste russe Vassili Polonski est l'un de ceux qui continuent à couvrir l'actualité de Moscou.

«Les sales coups de l'Etat ne diminuent pas. Et pourtant, je pense qu'il est important d'être ici, dans un lieu où des choses fondamentales se passent»

Traduit et adapté de l'allemand par Anaïs Rey.

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