La bataille la plus «sanglante, cruelle et brutale» de la guerre russo-ukrainienne, comme elle a plusieurs fois été décrite, continue de faire rage. Les deux belligérants ont jeté dans le «hachoir à viande» de Bakhmout des forces et des ressources considérables. Indépendamment de l'issue de la campagne, le prix payé par les deux belligérants est énorme. Bilan après neuf mois d'affrontements.
La première considération est d'ordre purement chronologique: après neuf mois de combats, les résistants tiennent toujours. La bataille de Bakhmout est, de loin, la plus longue de ce conflit.
Après avoir bombardé la ville une première fois en mai, les forces de Moscou ont lancé des attaques terrestres massives contre des localités situées au sud, le premier août. C'est le début de la bataille, selon le ministère russe de la Défense.
Aucun des deux belligérants n'arrive à s'imposer nettement sur l'autre. Les forces russes entament un exténuant travail de grignotage territorial autour de la ville, en capturant plusieurs petites localités voisines.
Cette bataille de positions, caractérisée par une forte présence de l'artillerie, s'intensifie à partir du mois de novembre. La Russie y concentre de plus en plus d'efforts et augmente encore la pression en janvier 2023. Au début du printemps, Moscou parvient à réaliser des avancées, mais au prix d'importantes pertes humaines.
Les pertes, justement. Pendant ces neuf mois de combats, elles ont été énormes. Les deux belligérants ne communiquent que rarement à ce sujet, mais les estimations occidentales brossent une image impressionnante.
Lundi, le porte-parole du Conseil national de sécurité des Etats-Unis, John Kirby, a déclaré que la Russie a perdu plus de 100 000 hommes à Bakhmout, morts et blessés confondus. Et ce, depuis le mois de décembre seulement. Le nombre des soldats tués s'élèverait à 20 000. La moitié d'entre eux appartiennent au groupe Wagner, a précisé Kirby. Et d'ajouter:
Kirby fait référence à la stratégie utilisée par Wagner à Bakhmout, consistant à envoyer des recrues inexpérimentées, pour la plupart des anciens détenus, contre les défenseurs, dans le seul but de repérer leurs positions. Très peu de combattants déployés lors de ces «vagues humaines» survivent.
Des chiffres avancés par l'ONG russe «Rus Sidyashchaya» vont encore plus loin: des 50 000 détenus russes qui se sont portés volontaires pour rejoindre les rangs de Wagner, seuls 10 000 combattraient encore. Tous les autres, soit 80% des effectifs, ont déserté, se sont rendus ou ont été tués ou blessés.
Comme les dernières estimations américaines ne comprennent que les six derniers mois, on peut supposer que le bilan global de la bataille soit encore plus élevé.
Côté ukrainien, la situation est moins claire, les Etats-Unis refusant de s'exprimer publiquement sur la question. Les informations en provenance du front indiquent toutefois un bilan élevé.
Fin janvier, une source au sein des services secrets allemands révélait au Spiegel que les forces ukrainiennes subissaient quotidiennement des pertes «à trois chiffres». Selon un reportage du New York Times, l'hôpital de Bakhmout soignait 240 soldats ukrainiens blessés par jour en novembre. Avant que la situation ne se détériore encore plus.
Si la bataille a fait autant de victimes, c'est également en raison de l'intensité des combats. Qui n'ont pratiquement jamais faibli. Un volontaire interviewé par le Kyiv Post a par exemple raconté que les Russes couvraient Bakhmout de tirs sans interruption, «24 heures sur 24, 7 jours sur 7».
A titre d'exemple, le 3 décembre, le porte-parole du commandement opérationnel ukrainien, Serhii Cherevatyi, rapportait que les Russes avaient mené 261 attaques d'artillerie au cours de la seule journée écoulée.
Selon des informations du Washington Post, les Ukrainiens tirent actuellement 7700 obus par jour, soit environ un toutes les six secondes. Moscou en utiliserait jusqu'à trois fois plus. Ce rythme a un coût: les deux belligérants ont dû rationner les munitions.
La fréquence des attaques terrestres est également très élevée. Au moment culminant de la bataille, les assaillants lançaient jusqu'à 100 assauts en l'espace de 24 heures, rapporte le centre de réflexion «Institute for the Study of War».
Et puis il y a les traces que la bataille a laissées sur la ville elle-même. Fin décembre, les autorités ukrainiennes ont déclaré que plus de 60% des infrastructures de Bakhmout étaient endommagées ou détruites.
«Bakhmout est une nouvelle ville du Donbass que l'armée russe a transformée en ruines brûlées», a dénoncé le président Volodymyr Zelensky. Des 80 000 personnes qui y vivaient avant la guerre, seuls «quelques milliers» ont refusé ou n'ont partir.