Les services de sécurité russes (FSB) ont annoncé le 30 mars l'arrestation du correspondant à Moscou du Wall Street Journal et ancien journaliste de l'AFP, alors qu'il était en reportage dans l'Oural.
Pour rappel, Evan Gershkovich, 31 ans, a été arrêté à Ekaterinbourg, à environ 1400 kilomètres à l'est de Moscou, par des agents du Service fédéral de sécurité (FSB). Accusé d'espionnage, une infraction passible de 20 ans d'emprisonnement, il est actuellement détenu à la tristement célèbre prison moscovite de Lefortovo, une première depuis l'époque soviétique.
Le Kremlin affirme qu'il a été pris «la main dans le sac», mais n'a fourni aucune preuve allant dans ce sens, indique l'ATS. Le Wall Street Journal, ainsi que le gouvernement américain, démentent les allégations portées à l'encontre du journaliste.
L'événement est loin d'être anecdotique. En effet, comme le spécifie le média Bloomberg, le président Poutine aurait personnellement approuvé l'arrestation d'un journaliste américain pour la première fois depuis la guerre froide.
🇷🇺 Poutine aurait personnellement approuvé l'arrestation d'un journaliste 🇺🇸, selon Bloomberg citant ce matin des sources anonymes. Evan Gershkovich, 31 ans, a été arrêté le 29 mars lors d'un reportage à Ekaterinbourg et n'a toujours pas obtenu l'accès aux services consulaires 🇺🇸 pic.twitter.com/PCqlMouliw
— Philippe Poigeaud 🇺🇦 (@DiogenedArc) April 13, 2023
Cette démarche reflète l'influence croissante des partisans de la ligne dure du Kremlin, qui poussent à une crispation irréversible des fronts avec Washington.
De son côté, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré que la décision n'appartenait pas à Vladimir Poutine lui-même, mais qu'elle relevait «de la prérogative totale des services spéciaux, qui font leur travail». Cependant, comme le précise Bloomberg, ces agences dépendent directement du président.
Alors que la guerre en Ukraine entre dans sa deuxième année, le Kremlin cherche de plus en plus à la présenter comme une lutte existentielle contre une Otan déterminée à détruire la Russie. Des mesures comme le mandat pour crimes de guerre contre Poutine délivré par la Cour pénale internationale le mois dernier n'ont fait qu'approfondir le sentiment des dirigeants qu'il n'y a pas de place pour reculer dans un conflit qui devrait durer encore des années.
A l'interne, le régime a d'ailleurs encore serré la vis sur la question de la mobilisation. En effet, cette semaine, le Parlement russe a adopté un durcissement des peines pour ceux qui cherchent à éviter le service militaire. La mesure, qui devrait être promulguée prochainement par Vladimir Poutine, a alimenté les craintes qu'une nouvelle mobilisation ne se produise plus tard dans l'année.
The @WSJ newsroom in New York stands with Evan Gershkovich. #IStandWithEvan
— WSJ Communications (@WSJPR) April 12, 2023
📸: Lucy Gilmour/WSJ (@LucyGilmour1) pic.twitter.com/HUfk8asxW3
L'arrestation d'Evan Gershkovich a suscité la colère des Etats-Unis et de ses alliés. Washington a formellement dénoncé lundi une «détention arbitraire» et a appelé à la libération immédiate du journaliste.
Le président Joe Biden s'est entretenu avec la famille de Gershkovich le 11 avril, l'assurant que «le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour le ramener à la maison le plus rapidement possible», a relayé la famille dans un communiqué.
Jusqu'à présent, la Russie n'a pas autorisé l'accès consulaire aux États-Unis, et l'ensemble du dossier est classé secret. «On examine la question», a répondu laconiquement le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, aux médias qui lui demandaient si le journaliste allait pouvoir recevoir la visite d'un représentant de son ambassade, près de deux semaines après son arrestation.
Sergueï Riabkov a en outre balayé la qualification américaine de «détention arbitraire», laquelle permettrait de confier le dossier à l'émissaire spécial américain pour les otages.
Compte tenu de l'attention portée par le public à cette affaire, les Etats-Unis pourraient n'avoir d'autre choix que de négocier, ce qui encouragerait d'autres prises d'otages de ce type, décrypte pour Bloomberg Alina Polyakova, présidente du Centre d'analyse des politiques européennes à Washington.
Pour la chercheuse, cet événement devrait être un véritable signal d'alarme, pas seulement pour les Etats-Unis, mais pour l'Occident au sens large: «cela indique que dans l'état d'esprit de Poutine, il n'y a pas de retour à une relation stable et fiable».
L'année dernière, la Russie et les Etats-Unis avaient procédé à deux échanges de prisonniers, notamment en décembre, entre la star de la WNBA Brittney Griner et le célèbre trafiquant d'armes Viktor Bout.
(avec agences)