Der Spiegel, The Insider et l'émission 60 minutes de la chaîne CBS ont passé de longues années à compiler des informations sur le mystérieux mal qui touchait des fonctionnaires et des diplomates américains.
L'équipe de journalistes a compilé de nombreuses informations et témoignages sur ces maux de tête, ces vertiges, ces acouphènes et tout le tintouin. Les personnes qui en étaient victimes vivaient une torture qui les «neutralisait», selon les dires d'un responsable militaire américain interrogé. Face à la menace et aux dégâts physiologiques, tous les collaborateurs de l'ambassade américaine à Cuba ont été évacués par Donald Trump en septembre 2017.
Sauf que ce syndrome de La Havane s'est propagé, touchant des dizaines d'autres employés américains. En Chine, en Australie, en Allemagne, en Russie et aussi à Washington, ces fonctionnaires de l'Etat ont découvert les affres de cette étrange maladie, qui provoquerait même des aveuglements.
Les victimes ont expliqué sentir leur cerveau se faire compresser. Un ancien agent américain expliquait à l'émission «60 minutes»: «Imaginez enfoncer un coton-tige trop loin et bien rebondir sur votre tympan. Ou imaginez prendre un crayon bien aiguisé et piquer dedans».
D'autres témoignages sont recueillis et décrivent l'ampleur de la douleur ressentie. Mark Polymeropoulos, agent de la CIA, a lui aussi été frappé par ce même syndrome dans sa chambre d'hôtel, au Marriott de Moscou, en 2017. D'autres fortes douleurs lui ont pourri la vie lors de son séjour, spécialement lors d'un repas au célèbre café Pouchkine.
Autre détail troublant, comme le révèle l'enquête, plusieurs membres du 29155 étaient présents lorsque des fonctionnaires américains sont tombés mystérieusement malades.
Un autre témoignage vient corroborer l'enquête menée par les trois médias. Une femme d'un diplomate basé à Tbilissi, en Géorgie, a amené une preuve que la Russie serait derrière tout ça.
En automne 2021, alors qu'elle se trouvait dans la buanderie, elle entend une sonnerie stridente la tordre de douleur. Elle accourt vers son mari avant qu'elle ne découvre, sur les images de caméra surveillance, qu'un véhicule noir de la marque Mercedes, stationnait devant la maison. Et là, en zoomant sur les photos, ce n'est autre que le fils d'Andrey Arveyanov, le commandant fondateur de l'unité du service de renseignement militaire russe (GRU) 29155, Albert Arveyanov.
L'enquête amène d'autres éléments sur le rôle du fils dans cette entreprise pour déstabiliser les fonctionnaires américains. Quelques années à peine avant d'obtenir son diplôme de l'Université d'Etat de Moscou en 2019, Albert était déjà entraîné par le paternel, très tôt, à l'âge de 16 ans, pour prendre la tête de l'unité 29155.
Autre indice très intéressant, Albert s'est officieusement «formé» à Genève sous la supervision du colonel Egor Gordienko, 45 ans, qui était alors en poste dans la ville sous couverture diplomatique en tant que deuxième représentant commercial de la Russie auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le syndrome de La Havane tire son nom d'un premier rapport concernant un employé de la CIA, en poste à La Havane en décembre 2016, touché par ces fortes douleurs et ces nausées violentes. Il a été le premier cas recensé et annoncé officiellement.
Selon l'enquête, dans les cercles gouvernementaux américains, on estime que seuls 150 cas peuvent être attribués au syndrome de La Havane.
Or les dégâts physiologiques sont graves. Par exemple, la femme de Tbilissi traine encore des séquelles depuis l'épisode de la buanderie. Elle a eu l'oreille interne perforée et a subi deux opérations pour la pose de plaques en métal. A ce jour, elle est encore victime de pertes d'équilibre.
Les origines du mal seraient l'oeuvre d'une arme des services secrets russes, capable de cibler un ennemi à distance et lui rendre la vie impossible, qui aurait été utilisée par l’unité 29155 des services de renseignements de l’armée russe (GRU). Les bruits et les ondes traverseraient les murs. Pire, elle pourrait blesser à distance; c'est une arme acoustique non identifiée.
L'unité aurait travaillé avec une autre équipe de contre-espionnage des services de sécurité fédéraux russes (FSB), connue sous le nom de FS-9. The Insider s'est procuré un document de comptabilité, qui pointe une prime versée à un officier de la faction 29155 à propos d'un travail sur «les capacités potentielles des armes acoustiques non-létales».
Les armes dites énergétiques sont élaborées et testées par les membres de la 29155. Le programme, toujours selon les informations compilées, a été lancé en 1984, dans un laboratoire de l'Ukraine sous l'ère soviétique, à Kharkiv.
Un document obtenu par les trois médias démontrent que l'opération, désormais classifiée et dont le nom de code est «Reduktor», ou «Gearbox», portait sur des expériences de «rayonnements électromagnétiques pour influencer le comportement et les réactions des objets biologiques, [y compris] des personnes».
Si les autorités américaines qualifiaient «d'hautement improbables» le rôle d'une puissance étrangère dans cette affaire de maladie inconnue, il y a une année, cette thèse a désormais du plomb dans l'aile. Greg Edergreen, un ancien militaire envoyé par le Pentagone, pour faire la lumière sur l'affaire du syndrome de La Havane, assure qu'à chaque fois qu'un agent américain a été touché, «il y avait un lien avec la Russie», confiait-il à l'émission de la CBS.
D’après cette enquête stupéfiante du Spiegel, The Insider et 60 minutes, le tout premier cas remonte à 2014. Un fonctionnaire américain en aurait fait les frais à Francfort, en Allemagne. L'incident s'est déroulé quelques mois avant l’annexion de la Crimée. Le syndrome de La Havane aurait donc pu également s’appeler le syndrome de Francfort, comme l'écrivait Le Courrier International.