Des chars russes se dirigent vers la capitale moldave Chisinau. Des milliers de personnes fuient vers la Roumanie. Un avion transportant le gouvernement moldave est abattu par un avion de combat MiG.
Ces scènes sont tirées du roman Et demain les Russes seront là, de l'auteur moldave Iulian Ciocan. Au début de l'année 2022, le scénario du livre, qui a maintenant sept ans, menaçait de devenir réalité. Si les Ukrainiens n'avaient pas défendu leur pays avec autant de fermeté contre l'attaque russe, les soldats du Kremlin auraient sans doute poursuivi leur marche jusqu'à la République de Moldavie.
Ce danger existe toujours, même si la situation n'est pas critique. Sur le plan militaire, les Russes n'ont pour l'instant aucune possibilité d'offensive sur la Moldavie. Mais le président russe Vladimir Poutine ne lâche rien: tout laisse à penser qu'il maintient ses objectifs de guerre. Il semblerait même qu'il prépare déjà le terrain pour une future attaque.
Nous rencontrons l'auteur Iulian Ciocan à Chisinau. Assis dans un café aux allures françaises, l'homme de 55 ans pose sa tasse de thé.
D'après lui, Moscou serait prête à saisir n'importe quelle opportunité d'envahir son pays. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a d'ailleurs affirmé il y a à peine deux semaines que la Moldavie connaîtrait le même sort que l'Ukraine.
L’armée ukrainienne a jusqu’à présent empêché ce scénario. Tant que la ville portuaire d'Odessa – située à 60 kilomètres de la frontière moldave – reste sous le contrôle de Kiev, Chisinau ne devrait pas être envahie. La Moldavie a intérêt à ce que l'Ukraine gagne la guerre. Et que l'Occident la soutienne.
La France et la Moldavie ont récemment conclu un accord de défense. A Paris, on veut éviter que la petite république ne subisse le même sort que l'Ukraine. En effet, le gouvernement russe se présente comme le protecteur des russophones de l'espace post-soviétique et a justifié ainsi l'attaque contre l'Ukraine.
Comme l'Ukraine, la Moldavie est déstabilisée par une république séparatiste prorusse: la Transnistrie, une bande de terre à l'est du pays sur laquelle Chisinau n'a aucun contrôle. Jusqu'à 1500 soldats russes y sont stationnés, auxquels s'ajoutent 10 000 à 15 000 paramilitaires fidèles à Moscou.
Mihail Calarasan a grandi à Rybnitsa, une ville du nord de la Transnistrie. Sa langue maternelle est le russe. Au jardin d'enfants et à l'école, il se souvient avoir entendu que la Russie était l'amie et la Moldavie l'ennemie. «Quand tu vis là-bas, tu crois à ces conneries», dit-il en tirant sur sa cigarette roulée. Il porte une veste en jean, bien qu'il ne fasse que quelques degrés au-dessus de zéro.
Les camarades de classe de Mihail Calarasan sont tous partis étudier en Ukraine ou en Russie. Lui-même a de la famille moldave en dehors de la Transnistrie, et c'est ainsi qu'il est arrivé à Chisinau à 18 ans. A l'université, il s'est fait des amis et a commencé à comprendre comment sa vision du monde s'était construite. C'était il y a douze ans. Aujourd'hui, il travaille comme photographe documentaire.
Récemment, son travail a été exposé à Varnita, un village situé juste à côté de la frontière de facto avec la Transnistrie, qui longe le fleuve Dniestr. Mihail Calarasan a photographié des habitants des deux côtés du fleuve afin de montrer qu'ils se ressemblent, qu'ils sont citoyens du même pays. Aux yeux du régime transnistrien, c'est de l'extrémisme, selon les mots du photographe. C'est pourquoi il n'ose pas se rendre dans son ancienne contrée pour le moment.
L'industrie lourde de Moldavie est installée en Transnistrie, un héritage de l'époque soviétique. La frontière avec l'Ukraine est fermée depuis le début de la guerre; la seule voie pour les marchandises est de passer par le reste du pays. Le gouvernement moldave en a donc profité pour introduire des droits de douane au début de l'année. Il veut forcer la région sécessionniste à se réintégrer par une politique de pression maximale. Le régime transnistrien a rapidement demandé la protection de la Russie, un appel à l'aide d'une région qui se sent menacée.
Un bureau sobre dans une arrière-cour de Chisinau. C'est un jour férié, mais Valeriu Pasa, de Watchdog.md, travaille quand même. Le think tank citoyen s'est fixé pour objectif de créer un environnement favorable à la démocratie moldave. Mais les développements récents inquiètent Valeriu Pasa.
«Il veut garder toutes les options ouvertes afin de pouvoir occuper la Moldavie en cas de succès militaire dans le sud de l'Ukraine.»
Cela implique de tenir la Moldavie à l'écart de l'Union européenne (UE) et de l'Otan, de veiller à ce que le pays reste faible sur le plan social et militaire, de saper les institutions publiques et de renforcer les appuis de la Russie en Moldavie.
«Pour cela, Poutine a besoin de contrôler le pouvoir politique», explique Valeriu Pasa, qui conseille également le gouvernement moldave. L'échéance décisive sera les prochaines élections législatives, en juillet 2025. Des élections présidentielles sont aussi prévues avant la fin de l'année; le gouvernement prévoit en outre un référendum sur l'adhésion à l'UE.
Selon l'analyste politique, la Russie sponsorise des partis politiques, des médias, des influenceurs sur les réseaux sociaux et des canaux Telegram anonymes en Moldavie. A cela s'ajoutent les protestations payées, le soudoiement des électeurs et la corruption, notamment dans le système judiciaire. Récemment, la gouverneure de Gagaouzie, une région autonome de Moldavie, s'est rendue à Sotchi et a rencontré Vladimir Poutine.
L'écrivain Iulian Ciocan espère, deux ans après l'attaque russe sur toute l'Ukraine, que son roman restera une dystopie. «Quand je pense aux Ukrainiens, je me dis que nous avons eu de la chance», dit-il. Mais il est trop tôt pour pousser un soupir de soulagement.
Traduit et adapté par Tanja Maeder