Ce qui aurait pu rester un ordinaire bastringue débridé pour le gratin de Moscou, se transforme doucement en affaire d'Etat. Le 20 décembre, bien loin des lignes de front (au propre comme au figuré), les stars du showbiz russe s'étaient donné rendez-vous au Mutabor, un club sélect de la capitale. L'ordre de marche, envoyée par la blogueuse Anastasia Ivleeva, paraissait pourtant banal: sex, drugs, rock'n roll et un minimum de fringues sur les peaux.
Alors que le DJ n'avait pas encore rangé ses platines, des photos et des vidéos considérées comme compromettantes ont été catapultées sur Telegram et... notamment sous le nez de députés conservateurs peu friands de ce type de joutes affriolantes (du moins publiquement). Si bien qu'avant l'aube, le Kremlin savait déjà qu'il se tramait un truc pas catholique dans la banlieue de Moscou.
Résultat, le ministre de l'Intérieur a chargé la police municipale d'aller faire un peu le ménage sur place et un convive, le rappeur Vacio, est aujourd'hui toujours derrière les barreaux pour s'être affiché avec une chaussette Balenciaga sur le pénis comme unique vêtement.
Grosso modo, cette affaire embarrasse tout le monde. Alors qu'une plainte collective a été déposée à l'encontre d'Anastasia Ivleeva pour tort moral, on dit le président fâché. Les stars russes présentes au Mutabor s'excusent les unes après les autres pour tenter de sauver leurs fesses. Parmi elles, la filleule présumée de Poutine, Ksenia Sobchak.
Une semaine après la fête, la polémique ne fait qu'enfler. Alors que le club a été mis sous séquestre, le temps de récolter «des preuves d'activités illégales» et le tribunal du district Khamovnichesky a accepté d'examiner le recours collectif.
On rappelle que la vingtaine de plaignants demande à l'organisatrice de verser l'équivalent de dix millions de dollars au fonds qui finance les troupes russes dans ce qui est toujours considéré comme «l'opération spéciale de Vladimir Poutine». Pour tort moral.
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Alors que la plainte a été initiée par l'acteur et cascadeur Alexander Inshakov, on trouve aussi «des personnalités culturelles, des personnalités du sport ainsi que des Russes ordinaires», selon l'avocat Vladislav Atamanyuk et le média The Insider. En clair, si Anastasia Ivleeva se retrouve un jour condamnée, elle pourrait être contrainte de financer la guerre contre l'Ukraine, qu'elle n'a pourtant jamais défendue. Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine, s'est montré très ironique en conférence de presse, mercredi soir:
Selon le média indépendant Baza, actif principalement sur Telegram, ces derniers jours, une vidéo dévoilant le porte-parole en train de regarder des séquences de cette soirée interdite a circulé parmi les troupes russes. Les soldats auraient «été les premiers scandalisés» par l'attitude du gratin moscovite. Le média, connu pour avoir ses entrées dans les services de sécurité de l'Etat, estime que «l'affaire de la soirée presque nue supplante désormais les articles sur la hausse des prix des œufs et l’inflation dans tous les médias russes».
Si les personnalités russes ont soudain retourné leur veste, c'est aussi parce que leur carrière est en danger. Depuis dix jours, les chanteurs et chanteuses du pays, de Lolita Milyavskaya à Philipp Kirkorov, en passant par Dima Bilan, s'excusent quotidiennement pour avoir participé à ce que les députés pro-Poutine appellent une «orgie intolérable».
Alors que les festivités du Réveillon sont dans leurs derniers préparatifs, plusieurs chaînes de TV ont annulé les prestations des convives de cette «Almost Naked Party».
Si Philipp Kirkorov a annoncé sur les réseaux sociaux qu'il n'est «plus autorisé à chanter pour Nouvel An», Lolita Milyavskaya, dans une interview donnée au média RBC, affirme que tous ses «concerts ont été annulés à cause de la fête».
Anastasia Ivleeva, qui n'avait jusqu'ici jamais regretté sa joyeuse sauterie, monte aujourd'hui dans le train des excuses, participant à ce que certains observateurs moscovites appellent «un étrange moment de flagellation exemplaire».
Si la star des soirées mondaines, âgée de 32 ans, est désormais bousculée par la justice, elle vient aussi de perdre quelques plumes financières. Selon ses dires, plusieurs marques ont rompu leur partenariat, comme la banque russe Tinkoff et l'opérateur mobile MTS.
Et puis, sur Instagram, si l'on en croit les centaines de commentaires qui affluent sous les vidéos d'explications, ses détracteurs sont en roue libre et ses groupies ne l'ont pas laissée tomber. Pour autant, la blogueuse n'a pas supprimé les photos de la soirée qui froisse bientôt tout le pays.
On notera encore que deux audiences ont déjà été planifiées pour fin janvier et début mars. D'ici là, les plaignants demandent à la justice d'interdire Anastasia Ivleeva «d’organiser des événements culturels et de masse en Russie jusqu’à ce que la décision du tribunal entre en vigueur», selon le média Meduza.