Pas de jet privé ni de limousine: c'est à pied que la figure de la jet-set russe, Ksenia Sobtchak, 40 ans, a traversé la frontière lituanienne ce mercredi. (Presque) incognito. Casquette vissée sur la tête et sweat à capuche extralarge.
Une silhouette à des kilomètres des looks pointus que la rédactrice de l'Officiel Russie partageait sur Instagram avec ses presque 10 millions d'abonnés, une semaine plus tôt.
Une fuite précipitée, mais pas inexpliquée. Mardi soir, l'arrestation de deux proches collaborateurs de la journaliste lui met la puce à l'oreille. Une intuition confirmée mardi, par les médias d'Etat russes, dont Tass et la chaîne RT, qui annoncent qu'elle est officiellement recherchée pour «extorsion de fonds». Sa luxueuse maison de Moscou est perquisitionnée. Ksenia Sobtchak risque jusqu'à 15 ans de prison.
Ajoutez à cela quelques ingrédients et vous obtenez une fuite digne d'un épisode de James Bond: un billet d’avion pour Dubaï, un autre pour Istanbul, une voiture pour quitter Moscou en pleine nuit (direction la Biélorussie), et finalement, un passeport israélien, afin de traverser la frontière avec la Lituanie en toute légalité.
Au terme de plusieurs heures de voyage, la journaliste est parvenue à quitter la Russie au nez et à la barbe des services de police. Une fuite audacieuse racontée à force de détails qui fait les gros titres de la presse moscovite et internationale mercredi.
Faire la Une des médias, Ksenia Sobtchak a l'habitude.
Après s'être constitué un petit pécule en rachetant à bas prix des entreprises d’Etat privatisées, la golden girl se fait connaître du grand public en animant des émissions de télé-réalité.
Cependant, celle qu'on présente comme une «ravissante idiote» a bien d'autres ambitions que de courir les shows télévisés. Elle bifurque dans le journalisme politique au sein de la chaîne indépendante Dojd, avant de se lancer elle-même dans l'arène.
La politique, Ksenia Sobtchak l'a dans le sang. Sa mère est sénatrice, son père le premier maire de Saint-Petersbourg élu démocratiquement. Anatoli Sobtchak est l'un des principaux mentors d'un certain Vladimir Poutine, qu'elle côtoie dès son plus jeune âge.
«Elle ne voit pas (Poutine) comme un être inaccessible ou hiérarchiquement supérieur, puisqu'il venait boire le thé à la maison. C'est quelque chose de tout à fait important, qui a conditionné sa vision de la politique», explique son stratège politique Vitali Shkliarov en 2018 à Libération.
Une proximité qui a longtemps valu à Ksenia Sobtchak la réputation d'être le «larbin du Kremlin» , mais qui ne l'empêchera pas de briguer le poste de présidente de la Russie, en se présentant aux élections de 2018 contre son «parrain».
Ces derniers mois, la candidate malheureuse à l'élection profite de son influence et de ses millions d'abonnés sur YouTube pour dénoncer l'invasion russe de l'Ukraine.
A-t-elle prononcé le nom de «guerre» ou la critique de trop? En tout cas, la «Paris Hilton russe» en est certaine: les accusations portées d'extorsion depuis cette semaine à son égard sont infondées.
Sur sa chaîne Telegram, elle dénonce une tentative de faire pression sur sa société de médias, Attention Media: «Il est clair qu'il s'agit d'une attaque contre ma rédaction, la dernière rédaction libre en Russie qui a dû être mise sous pression», ajoutant qu'elle espère qu'il s'agit d'un «malentendu».
Pour le politologue pro-Kremlin Sergey Markov sur sa chaîne Telegram, ces poursuites sont un signe pour l'élite russe: «S'ils sont prêts à arrêter pour une bagatelle, pour une simple extorsion, pour de l'argent, même la fille du professeur et mentor préféré du président Poutine, à qui tout le monde a pardonné pendant de nombreuses années, alors il n'y a plus d'intouchables». Nul Russe n'est plus à l'abri. Pas même la «filleule» de Poutine.