Le président russe les a toujours maintenues soigneusement dans l'ombre. Bien tenté, mais manqué. Cette semaine, les projecteurs du monde entier se sont braqués sur Maria et Katerina, ses filles, toutes deux nées dans les années 80.
Raison de ce soudain regain d'intérêt? L'annonce par le Conseil fédéral et le reste du monde occidental de nouvelles sanctions économiques, qui ciblent directement les sœurs. Selon Washington, en effet, Poutine est susceptible d'utiliser ses filles comme prête-nom pour cacher une partie de sa fortune, lui permettant d'échapper ainsi aux sanctions par lesquelles il est déjà visé.
Sous couvert d'anonymat, un haut responsable de la Maison-Blanche s'est expliqué auprès de Reuters: «Nous pensons que de nombreux actifs de Poutine sont cachés chez des membres de sa famille, et c'est pourquoi nous les ciblons.»
Pourtant, pas une fois Vladimir Poutine ne s'est affiché en compagnie de ses enfants. Depuis vingt ans, il entretient son image publique aussi savamment que le secret sur sa vie privée. Lui-même constamment sous le feu des projecteurs, il a maintenu sa famille à l'écart de toute forme de publicité - au point qu'on s'est longtemps demandé s'il avait vraiment des enfants.
Il est désormais avéré que Poutine est père d'au moins deux filles. Même si les spéculations vont bon train en Russie sur le fait qu'il en aurait une troisième, issue d'une liaison de plusieurs années avec Svetlana Krivonogikh, une ancienne femme de ménage.
L'identité des deux filles «officielles», Maria et Katerina, n'a jamais été confirmée par le président russe, ni par le Kremlin. Aucune photo d'elles à l'âge adulte n'a été publiée officiellement.
En 2020, le président russe justifiait encore ce manque d'informations sur sa famille, en raison de «problèmes de sécurité».
Maria et Katerina sont nées du mariage de Vladimir Poutine avec Lyudmila, une ancienne hôtesse de l'air dont il a divorcé en 2013 (pour l'anecdote, il devenait ainsi le premier dirigeant russe à divorcer depuis Pierre le Grand, en 1698).
Lors d'une conférence de presse en 2015, le président russe a affirmé que ses filles n'avaient pas fui le pays, contrairement aux rumeurs: «Elles vivent en Russie. Elles n'ont jamais été éduquées ailleurs qu'en Russie. Je suis fier d'elles», avait-il assuré. A cette occasion, il avait encore précisé qu'elles parlent couramment trois langues européennes et qu'elles n'étaient «pas impliquées dans les affaires ou la politique».
Selon Business Insider, la famille s'est installée à Moscou en 1996. Les filles auraient été retirées de l'école et scolarisées à domicile lorsque Poutine est devenu président par intérim.
Paradoxalement, il n'a jamais été caché que le maître du Kremlin adore ses enfants. Son ex-femme, Lyudmila, a affirmé qu'il était un père extrêmement «affectueux». Si ce n'est trop: «Il les a toujours gâtées, alors c'était à moi de les discipliner.»
En 2017, Poutine a même confié qu'il était grand-papa. Lorsque le cinéaste, Oliver Stone, s'est enquis de savoir si Poutine jouait régulièrement avec eux, l'intéressé a répondu: «Très rarement, malheureusement.»
Malgré ces maigres informations, distillées ici et là depuis trente ans, plusieurs médias ont mené l'enquête pour tenter de faire la lumière sur les mystérieuses Maria et Katerina.
La cadette, Katerina Tikhonova, 35 ans, est née à Dresde en 1986, alors que Poutine travaillait comme espion du KGB en ex-Allemagne de l'Est.
On ne sait pas grand-chose des jeunes années de cette trentenaire, qui s'est imposée en quelques années comme une femme d'influence dans la nouvelle génération de l'élite moscovite.
Un blogueur russe, Oleg Kashin, a rapporté que la fille cadette du président a étudié à l'université de Moscou. A la même époque, elle a adopté le patronyme de sa grand-mère maternelle, Tikhonova, pour mieux préserver son anonymat.
D'après une longue enquête menée en 2015 par Reuters, Katerina, titulaire d'une maîtrise en physique et en mathématiques, a publié plusieurs articles scientifiques.
Mais la science n'a pas constitué son seul domaine d'activité. On peut en mentionner un autre, plus inattendu: le rock'n'roll acrobatique, une variante athlétique de boogie-woogie. En 2013, Katerina s'est positionnée à la cinquième place des championnats du monde de la discipline, à Winterthour.
Les images de cette compétition, comparées à des photos du site internet de l'Université d'État de Moscou, ont permis d'établir pour la première fois que Katerina est bien la fille du président russe.
La même année, la jeune femme a épousé Kirill Shamalov, le fils de Nikolai Shamalov, un proche confident de Poutine et copropriétaire de la Rossiya Bank, institution financière que le gouvernement américain a décrite comme la «banque personnelle» des hauts responsables du Kremlin.
Moins de deux ans après le mariage, le jeune Kirill Shamalov se hisse, à 32 ans, dans le classement «des plus jeunes milliardaires de Russie» du magazine Forbes. Titre raflé après qu'il eut acquis une participation de plusieurs centaines de millions de dollars dans la société Sibur, entreprise privée de traitement du gaz et de produits pétrochimiques.
Selon l'enquête de Reuters, des analystes financiers ont estimé que les actifs du couple s'élevaient alors à plus de deux milliards de dollars. Parmi leurs nombreux biens: une prestigieuse villa de quatre étages avec piscine, au bord de la mer, à Biarritz, d'une valeur estimée à environ quatre millions de dollars.
Le couple s'est séparé en 2017, lorsque Kirill Shamalov révèle sa liaison avec Janna Volkova, «séduisante mondaine» russe installée à Londres. Prononcé en 2018, le divorce a permis à Katerina Tikhonova de rafler, d'après les estimations de Bloomberg, près de 40% de la fortune de Kirill Shamalov – soit la somme rondelette de 600 millions de dollars.
D'après la BBC, Tikhonova a poursuivi sa carrière depuis dans le milieu universitaire et les affaires. Elle a fait une brève apparition à la télévision d'État russe en 2018 pour parler de neurotechnologie, ainsi qu'à l'occasion d'un forum d'affaires en 2021.
Dans les deux cas, sa relation avec le président n'a pas été mentionnée.
La fille aînée de Vladimir Poutine, Maria, a maintenu les médias plus à distance encore que sa cadette. On sait qu'elle est née le 28 avril 1985 et qu'elle a étudié la biologie à l'université de Saint-Pétersbourg, puis la médecine à l'Université d'État de Moscou. Une fois diplômée, elle a entamé une carrière en endocrinologie.
En 2013, Maria Vorontsova a épousé l'homme d'affaires néerlandais d'origine russe, Jorrit Joost Faassen. L'intéressé travaillait alors pour Gazprombank, un grand prêteur ayant des liens étroits avec l'élite autour de Poutine.
Sous le nom de famille Faassen, Maria a poursuivi une carrière biomédicale spécialisée dans le système endocrinien et publié plusieurs ouvrages scientifiques.
Le couple, désormais séparé, a vécu pour un temps dans le penthouse d'un immeuble d'Amsterdam. En 2014, certains voisins néerlandais ont exigé que Maria soit expulsée du pays après la chute du vol MH17 par les forces pro-russes au-dessus de l'Ukraine, indique le Guardian.
Récemment, un groupe d'Amstellodamois l'a interpellée personnellement à plaider auprès de son père pour mettre fin à l'invasion de l'Ukraine.
#avemariaputin, #Molenkade27 #Duivendrecht #Netherlands #Akeldama, #TheKillingfields, pic.twitter.com/YVNVIg4nPU
— Adrie Streefland (@stryber2017) March 8, 2022
Selon la BBC, des proches de Maria, qui ont été en contact avec elle depuis l'invasion de l'Ukraine, affirment qu'elle soutiendrait son père et qu'elle a mis en doute les reportages internationaux sur le conflit.
De ces informations, il ressort une chose: les filles de Poutine sont plutôt bien loties. De son côté, le président russe affirme qu'il est resté un homme modeste.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré en février que les sanctions prises à l'encontre de Poutine lui-même étaient inutiles. «(Poutine) est tout à fait indifférent. Les sanctions contiennent des allégations absurdes concernant certains actifs», a déclaré Peskov. «Le président n'a pas d'autres actifs que ceux qu'il a déclarés.»
Se montrera-t-il moins indifférent à l'égard des sanctions décidées contre sa progéniture? La BBC affirme, pour sa part, qu'aucune des deux femmes ne passerait beaucoup de temps avec leur président de père.
Ce sujet a déjà été publié sur watson.ch/fr le 7 avril. Il a été actualisé suite aux décisions du Conseil fédéral