La situation est digne d'un film d'action: mardi, avant l'aube, des camionnettes roulent lentement à travers un quartier de villas chics au sud de Stockholm. D'un coup, tout s'accélère: deux hélicoptères Blackhawk de l'armée arrivent et tournent au-dessus d'une des propriétés. Plusieurs personnes en équipement de combat descendent et pénètrent dans une habitation.
Au même moment, des policiers d'élite sortent en trombe des camionnettes, passent devant un voisin interloqué qui déblaie la neige et encerclent la maison. Et peu de temps après, un couple est emmené: l'«opération Speer» est terminée. Les personnes arrêtées, âgées de plus de 60 ans selon les médias suédois, auraient largement pratiqué l'espionnage depuis près d'une décennie.
L'intervention n'a même pas duré une minute, a déclaré plus tard fièrement le porte-parole de la police Stefan Hector. Car la rapidité est décisive pour préserver les preuves:
Les services secrets accusent l'homme et la femme de «graves activités de renseignement» depuis 2013, contre la Suède ainsi que contre un autre Etat. Le couple a mené une vie discrète et retirée. Selon leurs avocats, ils nient toutes les accusations.
Selon les médias suédois, le couple est originaire de Moscou, mais vivait à Stockholm depuis les années 1990. Deux enfants, aujourd'hui adultes, vivent également en Suède. Le couple a géré plusieurs sociétés d'importation et d'exportation d'électronique – peut-être une couverture.
Selon l'acte d'accusation, les deux Moscovites sont accusés d'avoir pratiqué l'espionnage via des «contacts commerciaux». Cela pourrait indiquer, a déclaré Tony Ingesson, chercheur en services de renseignement, que les accusés voulaient soutirer des informations à leurs partenaires commerciaux, par exemple des fournisseurs de l'armée ou des connaissances industrielles. Ou alors ils essayaient peut-être de recruter de nouveaux agents.
Ce type d'espionnage est typique des agents dits «dormants» qui se déguisent en civils et qui, contrairement aux officiers de renseignement, n'ont aucun lien avec l'ambassade. Ils exercent souvent discrètement et pendant des années une sorte d'activité auxiliaire pour les services secrets. Selon Ingesson, le fait que la police et l'armée déploient maintenant autant d'efforts pour procéder à des arrestations indique qu'il existe des soupçons très concrets.
Il s'agit de la deuxième affaire spectaculaire en Suède en peu de temps. Jeudi s'ouvre le procès de deux frères iraniens arrêtés l'année dernière. L'accusation a été rendue publique il y a deux semaines: espionnage pour la Russie pendant des années. Le plus fou là-dedans, c'est que les hommes, âgés de 42 et 35 ans, ont occupé plusieurs postes au sein des services secrets suédois et d'autres administrations.
Ils auraient ainsi eu accès à des rapports secrets et auraient photographié des documents, dont une liste de personnes du service de renseignement de la police. Ils ont ensuite remis ces données à un contact russe du nom de «Rasski» en les plaçant dans un placard des toilettes publiques.
Mais les frères étaient prudents: il a fallu des années avant que les services secrets suédois ne réunissent suffisamment de preuves pour les inculper. Parmi celles-ci, un disque dur écrasé que l'un des Iraniens avait jeté dans une poubelle dans la rue, et une caméra en forme de clé de voiture.
Fin octobre, un chercheur prétendument brésilien soupçonné d'être russe et de travailler pour les services secrets de Poutine a été démasqué en Norvège. Il travaillait à Tromsö dans un groupe universitaire menant des recherches sur la guerre hybride et la désinformation.
Parallèlement, des drones ont été aperçus à plusieurs reprises ces dernières semaines au-dessus de champs pétrolifères norvégiens et danois ainsi que de centrales électriques suédoises. En Norvège, plusieurs pilotes de drones russes soupçonnés sont en détention provisoire. Tout cela n'est pas une coïncidence, affirment les experts. Dans le contexte tendu de la guerre en Ukraine et des discussions sur l'Otan au nord, les services secrets veulent plus d'informations: ils prennent plus de risques, explique le chercheur Ingesson.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder