On parle ici de tout dispositif qui permettrait à un individu de prouver qu’il a été soit vacciné contre le Covid-19, soit qu’il dispose d’anticorps après qu’il a attrapé ou est guéri de la maladie, soit encore qu’il a effectué un test PCR ou antigénique très récent. Le dispositif pourrait aller de documents en papier émis par les gouvernements (une simple carte, une attestation) à une application numérique sur smartphone avec un code qui déverrouillerait toutes sortes d’accès, par exemple couplé avec une carte d’embarquement aérienne.
La conception de ce fameux document miracle promet en tous cas de belles foires d’empoigne: personne n’est d’accord, et les bases légales manquent. Le conditionnel est donc de rigueur car nous n’en sommes pour l’instant qu’aux hypothèses, à une exception près.
Israël. Le «Green Passport» lancé le 21 février est une application à usage interne dans le pays, qui a accompagné la sortie d’un troisième confinement sévère. Elle permet par exemple d’accéder aux fitness, à des lieux publics fermés comme des salles de concert – encore faudrait-il qu’il y en ait.
Dans l’esprit du gouvernement, elle est aussi un outil «pour encourager les gens à se faire vacciner en leur montrant que cela offre des bénéfices.» Mais si Israël a pu se permettre un tel geste, c’est d’abord parce que le pays est le champion du monde de la vaccination: plus de 85% des plus de 40 ans ont déjà reçu la double injection.
Et ailleurs? Le Danemark, le Royaume-Uni et les Etats-Unis étudient l’introduction d’un passeport vaccinal, ce qui soulève de nombreuses questions et oppositions. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a dit que l’UE travaillait aussi sur un dispositif commun éventuel pour l’été. Mais on est encore très loin du compte.
Chez nous pour l’instant, rien. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) s’est contenté de dire que la chose était «en discussion». En soi, ce n’est pas si grave: la Suisse ne sera pas exclue, ou ne s’exclura pas, de l’inévitable harmonisation des procédures européennes quand celles-ci seront mises sur pied, et ce n’est pas pour tout de suite.
D’abord parce qu’elle se trouve au milieu du continent, entourée de pays membres de l’UE, et qu’elle fait partie de l’espace Schengen. Ensuite parce que rien, depuis le début de la crise, n’a isolé la Suisse de ses voisins. Pratiquement, les frontières restent ouvertes, et il est possible de les traverser en respectant les conditions actuelles: test PCR négatif et motif impérieux de déplacement. Enfin, et c’est le plus important, tant que le taux de la population vaccinée ne sera pas plus élevé, il est parfaitement illusoire d’imaginer l’introduction d’un «passeport sanitaire», sauf à accepter un système qui accorderait des privilèges particuliers à une toute petite minorité de la population. En Europe (sauf au Royaume-Uni à 35%), moins de 10% des adultes ont reçu le vaccin.
Cet été, passeport vaccinal ou non, ne passeront que ceux qui pourront prouver soit qu’ils ont reçu les deux doses, soit qu’ils ont les anticorps après la maladie, ou encore qu’ils ont été testés peu de jours auparavant. Ce qui ne diffère en somme guère de la situation actuelle.
Quoiqu’il en soit, les destinations du sud de l’Europe rivalisent d’ardeur pour montrer qu’elles seront prêtes à accueillir des visiteurs, et certaines dès les vacances de Pâques. La Sardaigne communique ainsi depuis quelques jours pour souligner qu’elle est une zona bianca dans l'échelle transalpine qui attribue des couleurs aux régions en fonction de la contagion du virus. La valeur R est à 0,6 sur la grande île de la Mer Tyrrhénienne, qui ne décompte plus que 50 contaminations pour 100 000 habitants ces trois dernières semaines.
La Grèce, le pays de l'UE qui pousse le plus à l'institution d'un passeport vaccinal (on comprend bien pourquoi), réfléchit à un système qui permettrait aux bataillons de touristes anglais vaccinés d’accéder directement à ses plages grâce à un certificat spécial – et tant pis pour le fair play britannique vis-à-vis des ses voisins européens. Rappelons que le Royaume-Uni ne fait plus partie de l'Union européenne.
C’est toute la question. Couper le monde en deux entre vaccinés et non-vaccinés paraît assez illusoire. Par ailleurs, comme le souligne le New York Times, «pour le moment, les vaccins vont surtout dans les pays riches, et dans ceux-ci, c’est la tranche la plus âgée et la plus aisée de la population qui en profite le plus». Un passeport vaccinal risquerait encore d’aggraver les inégalités sociales. Nicole Hassoun et Anders Herlitz, deux éthologues, résument bien le dilemme dans la revue Scientific American:
En l’état, en tout cas dans les démocraties, il paraît exclu d’accorder des droits spécifiques à une population qui a eu la chance d’être vaccinée, tout en serrant la vis aux autres. En clair, le passeport vaccinal ne pourrait devenir une réalité que quand tous ceux qui le souhaitent auront eu l’occasion d’accéder au vaccin. Il sera ensuite de la responsabilité de ceux qui l’auraient refusé d’en subir les éventuelles conséquences.
Mais là aussi, ce n’est pas clair: pourquoi un individu ne souhaitant pas se faire vacciner serait-il privé de droits fondamentaux, quelle serait la base légale? Les juristes ont du pain sur la planche. D'un autre côté, il convient également de se souvenir que le «carnet de vaccination» est vieux comme le monde. Dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie du sud, la vaccination contre la fièvre jaune est toujours obligatoire. Preuve de cette épineuse question juridique: le Conseil national a été saisi le 3 mars d’une interpellation urgente de la députée Aline Trede (Verts/BE): «Le Conseil fédéral estime-t-il que la mise sur pied d’un passeport vaccinal nécessiterait la création d'une base légale explicite?» A suivre.