Deux vidéos apparues samedi sur les réseaux sociaux, notamment sur X, montrent les exécutions, dans la rue, d’une balle dans la nuque, de deux femmes accusées de «corruption et de prostitution». Les faits se sont produits en 2015 dans la province d’Idlib, alors tenue par le Front Al-Nosra, alias Al-Qaïda en Syrie, qui allait devenir l’année suivante HTS, Hayat Tahrir al-Sham, l’actuel nom des islamistes radicaux qui ont renversé le régime de Bachar Al-Assad.
Ces images choquantes pourraient compliquer les affaires du pouvoir de transition en Syrie, dont le ministre de la Justice, Shadi Al-Waisi, n’est autre, apparemment, que celui qui énonce les sentences de mort des deux femmes.
Le site de fact-checking Verify-sy.com confirme sur son compte X que la personne se tenant à côté des deux femmes au moment de leur exécution est bien Shadi Al-Waisi, réputé pour son interprétation rigoriste de la charia.
#FactCheck A video claiming to show Syrian Minister of Justice Shadi al-Waisi reading execution sentences has circulated online. After thorough verification, including voice and facial matching, it was confirmed that the person in the video is indeed al-Waisi, who was a judge at… pic.twitter.com/0SbfhsTZ1e
— تَـأكّـدْ (@VeSyria) January 4, 2025
Une information également confirmée par le journaliste de la chaîne France 24 et spécialiste du djihadisme Wassim Nasr, qui a rencontré le 17 décembre à Damas avec d'autres journalistes étrangers le nouvel homme fort de la Syrie, Ahmed Al-Chareh, connu jusque-là sous son nom de guerre Abou Mohamed Al-Joulani:
#Syrie l’actuel ministre de justice de la transition a effectivement énoncé la sentence d’un comité et supervisé deux exécutions de femmes accusées de « prostitution » en 2015 dans deux localités d’Idleb sous la bannière du Front al-Nosra @VeSyria https://t.co/kpIG2sEIkn
— Wassim Nasr (@SimNasr) January 5, 2025
Les images, où les personnes mises à mort ne sont même pas des combattants ennemis, mais des femmes coupables du «péché de chair», ont quelque chose d’accablant pour le nouveau pouvoir.
Aussi ce dernier tient-il à contextualiser ces exécutions, qui remontent à neuf ans. Contacté par le site Verify-sy, un membre «haut placé» de la nouvelle administration a fait cette déclaration sous couvert d’anonymat. Nous la reproduisons intégralement:
En résumé, ce membre important du nouveau pouvoir assure que ce qui était juridiquement en vigueur il y a neuf ans dans un contexte particulier ne l'est plus aujourd'hui. Il n'exclut pas que certains jugements rendus alors fassent l'objet d'un examen critique.
La divulgation des images de ces exécutions de femmes suit de quelques heures, celles, tout à fait publiques, où l'on voit le nouveau dirigeant de la Syrie, Ahmed Al-Chareh, refuser de serrer la main de la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, en déplacement vendredi à Damas avec son homologue français Jean-Noël Barrot – les islamistes ne serrent pas la main des femmes.
Explications d'un spécialiste de la Syrie souhaitant garder l’anonymat:
Selon ce spécialiste, Ahmed Al-Chareh «serait conseillé par un cabinet de communication anglais». «Il y a un discours destiné à l’intérieur du pays et un autre destiné à rassurer les Occidentaux sur les intentions du nouveau régime issu des rangs islamistes. Les ministres des affaires étrangères français et allemand le savent bien, qui doivent composer avec leur opinion publique.»
A ce propos, la ministre allemande Annalena Baerbock déclarait après sa rencontre avec Ahmed Al-Chareh:
Le «problème», pour la réputation à l'international du nouveau pouvoir syrien, c’est que d’autres vidéos, semblables à celles des exécutions des deux femmes en 2015 dans la province d’Idlib, risquent de remonter à la surface, à l'initiative de pays ou groupes ayant intérêt à mettre HTS en difficulté.
Notre source, spécialiste de la Syrie, l'affirme:
La politique ayant horreur du vide, le renversement de la dictature de Bachar Al-Assad s’accompagne d’une prise en main idéologique de la Syrie. Les livres scolaires sont actuellement retouchés pour les rendre conformes à la vision islamiste. Le passé pré-islamique de la Syrie n'est ainsi plus mentionné.
Le site de TV5 Monde rapporte qu’une modification en particulier fait l’objet de vives critiques. Il s’agit du verset du Coran traitant dans les manuels d'histoire religieuse de «ceux qui ont provoqué la colère de Dieu». Ce verset a subi une réinterprétation, pointant du doigt la responsabilité des communautés juives et chrétiennes, protégées en terre islamique mais inférieures aux musulmans dans l'ordre hiérarchique. Ces communautés sont à présent jugées comme «égarées», car n'ayant pas fait leur le message de Mahomet. Cette modification, qui rend compte, là encore, d'un point de vue islamiste, sera-t-elle maintenue?