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«Je ne pensais pas tuer»: Alina raconte l'horreur de Marioupol

Alina s'est battue à Marioupol, et a ensuite été emprisonnée par les Russes.
La combattante d'Azovstal Alina Panina ne voulait à l'origine que se rendre à Mariupol en tant que garde-frontière. Puis la Russie a attaqué.Image: ZVG

«Je ne pensais pas pouvoir tuer»: Alina raconte l'horreur de Marioupol

Alina Panina est l'une des huit femmes qui ont tenu bon jusqu'au bout à Azovstal, à Marioupol. De retour dans sa ville natale après une détention en Russie, elle raconte l'enfer du siège de l'aciérie.
20.02.2023, 06:0808.05.2023, 10:53
Stefan Schocher, Novovolynsk / ch media
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Elle est de retour à la maison, à Novovolynsk, dans l'ouest de l'Ukraine. Elle est assise dans un café de sa ville natale et boit un café au lait: un uniforme, des bottes à lacets, un insigne sur le bras (une croix verte avec une couronne d'épis de blé et le trident ukrainien au centre). Alina Panina est fonctionnaire dans les troupes frontalières. «Ce que nous faisons, c'est de veiller à ce que rien d'illégal n'entre dans le pays», dit-elle en souriant. En ces temps difficiles, cela signifie qu'elle est une soldate.

Lorsqu'elle a quitté Novovolynsk, le monde était différent. Il n'y avait pas encore eu d'invasion russe à grande échelle. Son mari était encore à ses côtés. Elle avait deux chiens. C'était il y a plus d'un an.

Son mari n'est pas là aujourd'hui. Ses deux chiens sont quelque part dans l'est de l'Ukraine. Et l'année qui s'est écoulée derrière elle a été un véritable voyage à travers la guerre. Durant cette année, le destin a voulu qu'elle revienne dans sa ville natale.

Novovolynsk est un nid. Une petite ville entourée de champs, de forêts et de mines de charbon à l'ouest de l'Ukraine. Deux feux de signalisation, des magasins, un marché hebdomadaire. La Pologne n'est qu'à un pas, en traversant le fleuve Bug. Et quand Alina Panina y boit un café et parle de la guerre, elle donne l'impression de faire un reportage.

Elle donne des dates et des points de repère, parle de la manière dont elle a été attachée et déplacée, les yeux bandés, comme s'il ne s'agissait pas d'elle. Entre les deux, elle commande une pizza et ne fait des pauses que lorsqu'elle parle de la puanteur des bunkers, de l'odeur de la viande en décomposition et des gardiens masqués.

Marioupol, la fin du monde

Marioupol aurait dû être un changement. Un changement professionnel: elle devait y contrôler des bateaux avec son mari, au lieu de voitures faisant la queue. Travail, promenades avec les chiens au bord de la mer, c'était le plan. Mais cela n'a pas été le cas.

«Je ne pensais pas être capable de tuer un homme, mais à un moment donné, je n'ai plus ressenti de remords. Quand on veut vivre, on est prêt à tout»
Alina Panina

Dans la nuit du 23 au 24 février 2022, elle était de service. Aucun navire n'est arrivé cette nuit-là. Des missiles sont arrivés. «J'ai pensé que c'était la fin du monde».

En mai 2014, à Marioupol, les tentatives de la Russie de s'approprier l'ensemble de l'est de l'Ukraine ont échoué. L'artillerie russe a bombardé Marioupol, mais la ville a tenu bon. Dans l'année qui a suivi, Marioupol est restée une ville de front.

Quand il y avait des tirs sur la ligne de front vers les territoires occupés par les Russes, on les entendait à Marioupol. On voyait parfois des colonnes de fumée. Et quand on quittait Marioupol vers l'est, en passant devant les aciéries et les zones industrielles, les premiers villages après la ville étaient déjà désertés.

Ce sont précisément ces gigantesques complexes industriels qui constituaient la défense de Marioupol contre l'Est: Azovstal, Illich et Azovmash. Une chaîne d'industries allant d'Azovmash au nord à Illich au centre et à Azovstal au sud sur la côte: des usines aussi grandes que des villes. Des usines avec des bunkers qui pénètrent huit étages sous terre, car c'est ici que l'on produisait des armes à l'époque soviétique.

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L'aciérie Azovstal, bombardée par l'armée russe en mai 2022.Image: sda

Alina Panina les connaît toutes. A Azovmash, elle a combattu. A Illich, c'était son mari. Le 12 avril 2022, il l'avait appelée de là-bas pour lui dire qu'ils devaient abandonner. C'était la dernière fois qu'elle l'avait entendu. Illich avait été envahi par les Russes. A ce moment-là, il était alors clair qu'Azovmash devait également être évacué.

Ils se sont emparés de quelques voitures, y ont peint les lettres Z et sont partis vers Azovstal. A l'époque, la ville était déjà encerclée par les Russes. Ils ont même été contrôlés par des soldats russes devant l'usine, mais n'ont pas été reconnus, raconte Alina Panina.

«Ils nous ont pris pour des Russes et nous ont laissé passer»
Alina Panina

De l'enfer d'Azovstal à la prison

À ce moment-là, il était clair que l'armée russe allait bombarder Marioupol. La dernière équipe de médias internationaux avait quitté la ville. Le théâtre, qui avait servi de bunker civil, avait été bombardé un mois plus tôt. Mais il y avait l'espoir et la promesse d'un désengagement, l'espoir d'une évacuation.

Les morts, il y en a eu tellement, raconte Alina Panina. Au moins 1000 soldats ukrainiens sont tombés pendant le conflit à Azovstal, raconte-t-elle. Elle travaillait dans les bunkers en tant qu'assistante sanitaire. Mais il n'y avait pas grand-chose à faire, comme elle le dit: pas de médicaments, pas de pansements, pas de nourriture.

Le 17 mai 2022, il était clair que le coup de pouce promis ne viendrait pas, qu'il n'y aurait pas de pont aérien. Ils ont abandonné.

Elle a été emmenée dans une ancienne prison à Olenivka, dans l'est de l'Ukraine, en territoire occupé par les Russes. Elle raconte: six femmes par cellule, deux femmes par couchette, les toilettes dans la cellule, dix minutes d'air frais par jour, de l'eau polluée à boire et la même chose à manger chaque jour: du sarrasin, des pommes de terre, du poisson.

A la radio russe: l'Ukraine n'existe plus, des parties ont été occupées par la Pologne, Kiev est tombée. Le message de leurs gardiens: «Il n'y a pas d'endroit où tu peux retourner». Et des interrogatoires: Encore et toujours la question de savoir si elle était tireuse d'élite. Qu'elle l'admette enfin. Dans l'armée russe, les femmes sont avant tout des tireuses d'élite. De plus, on leur propose constamment de changer de camp.

La prison était surveillée par des Russes et des gardes de la DNR. Les hommes de la DNR auraient fermé les yeux sur l'une ou l'autre chose, et auraient même parfois laissé transparaître quelque chose comme des «indices de sympathie», raconte Alina Panina. En revanche, elle a seulement vu les Russes avec un masque. Ils l'auraient traitée comme des animaux.

Et puis, le 29 juillet 2022, une caserne a explosé à Olenivka. Au moins 53 détenus ukrainiens sont morts. La Russie a affirmé que le camp avait été touché par un missile ukrainien, mais n'a pas laissé les enquêteurs internationaux se rendre sur place. Kiev a déclaré que la Russie avait elle-même fait exploser l'une des casernes du camp contenant des prisonniers de guerre. Les observateurs internationaux sont parvenus à la même conclusion sur la base des images disponibles.

«J'ai vu le bâtiment», dit Alina Panina, «et je connais la différence entre un bâtiment qui a explosé de l'intérieur et un bâtiment qui a été touché par un missile». Elle en est convaincue: «Ce n'était pas un tir de roquette ou d'obus».

Des semaines «très dures» en Russie

En automne, elle a finalement été emmenée en Russie. Encore des interrogatoires, encore des questions, encore des prélèvements d'ADN. Elle ne veut pas dire grand-chose sur les semaines passées en Russie. Les conditions y étaient «très dures». Silence.

Alina Panina ne sait toujours rien de précis sur l'endroit où se trouve son mari.
Alina Panina ne sait toujours rien de précis sur l'endroit où se trouve son mari.Image: ZVG

Puis, un jour, elle a été réveillée à cinq heures du matin. C'était le 17 octobre 2022. «Ils nous ont donné des vêtements, nous ont mis dans un avion». Où allaient-ils? Elle n'en savait rien. Attachés et les yeux bandés, ils ont été chargés dans des camions.

Et là, sous le bandeau, elle a vu un panneau routier indiquant Tchonhar, une ville à la frontière entre la péninsule de Crimée et le pays ukrainien. Puis d'autres panneaux: Zaporijia, Kherson... C'est là qu'elle a compris:

«Ils nous emmènent vers le nord»

Elle a été échangée.

Cela fait trois mois. Elle a retrouvé un emploi à l'un des points de passage vers la Pologne et travaille avec son nouveau chien, un cocker nommé Chelsea. Elle est chez elle dans sa ville.

Mais rien n'est plus comme avant. Tout ce qu'elle sait de son mari, c'est qu'il est probablement en vie. Des Ukrainiens qui étaient dans le même camp russe que lui et qui ont été échangés le lui auraient dit. Elle n'a pas de contact direct. Elle a essayé de retourner à l'Est pour aider sur le front, mais on lui a dit de rester là où elle était. «Les gars se battent là dehors», dit-elle en hochant la tête vers la rue principale derrière la fenêtre.

Traduit de l'allemand (nva)

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