Les scènes qui se sont déroulées dans la nuit de vendredi dernier à Olenivka ont dû être terribles. Un incendie ou une explosion a causé la mort d'au moins 50 soldats ukrainiens détenus par les séparatistes prorusses dans la banlieue de Donetsk. Des images vidéo de la zone touchée montrent des corps carbonisés gisant dans un dortoir détruit.
Selon les informations russes, 73 autres prisonniers de guerre auraient été blessés. Il n'y aurait en revanche pas eu de blessés du côté russe.
Il n'y a aucun doute: un crime de guerre atroce a eu lieu à Olenivka. La question est de savoir ce qui s'est réellement passé cette nuit-là. Et qui est responsable de ce massacre. Car sur ce point, les explications de la Russie et de l'Ukraine divergent fortement.
Le ministère russe de la Défense affirme que le camp de prisonniers a été attaqué par les forces de Kiev avec le système de lance-roquettes Himars. Les Ukrainiens auraient voulu intimider leurs propres soldats «pour qu'ils ne se rendent pas». Pour Moscou, cela ne fait pas de doute:
L'explication du ministère ukrainien de la Défense est tout autre. Les prisonniers de guerre auraient été tués par des mercenaires russes du groupe Wagner. Ils auraient ainsi voulu effacer les traces de torture. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a parlé d'une «attaque terroriste perpétrée par des monstres inhumains».
Qui a raison? Aucune enquête indépendante n'a encore été menée sur place. Toutefois, les six points suivants remettent sérieusement en question la version russe.
De nombreux prisonniers détenus à Olenivka sont originaires de Marioupol, qui a été prise par la Russie en mai. Parmi eux se trouvent des combattants d'Azovstal qui ont opposé pendant des mois une résistance acharnée à l'occupant russe. La Russie accuse les soldats du régiment Azov d'être des «nazis» d'extrême droite.
Les prisonniers n'ont pas passé la majeure partie de leur captivité dans le baraquement où s'est produite l'explosion. Ils n'y ont été transférés que récemment, comme le montre l'analyse d'images satellites par Oliver Alexander, un spécialiste des données. Il a examiné des images vidéo de juin prises dans une autre partie du camp.
I have found videos from June 2th that provide further evidence that the PoWs at Olenivka Prison were housed in a completely separate area of the camp from where the explosion happened. Shown here on the @Maxar images pic.twitter.com/ANL91h6JZ4
— Oliver Alexander (@OAlexanderDK) July 31, 2022
Le Washington Post parvient à la même conclusion après avoir parlé avec trois personnes qui ont été emprisonnées pendant une centaine de jours à Olenivka et qui ont été libérées récemment. Le bâtiment dans lequel a eu lieu l'explosion se trouve dans la «zone industrielle» du complexe. Il n'y a jamais eu de prisonniers dans cette zone, expliquent-ils au journal.
Alors pourquoi les prisonniers ont-ils dû changer de bâtiment juste avant l'explosion?
Les services secrets ukrainiens ont publié la semaine dernière une conversation interceptée entre deux occupants. L'un d'eux, qui était apparemment sur place, a émis l'hypothèse que des explosifs avaient été placés auparavant dans la baraque et qu'ils avaient ensuite été déclenchés dans la nuit de jeudi à vendredi. Il n'y a pas eu d'impact de roquette, raconte l'homme.
Les publications des services secrets ukrainiens doivent bien sûr être considérées avec prudence, d'autant plus qu'ils sont eux-mêmes des belligérants.
L'analyse de l'expert militaire Thomas C. Theiner suggère également que le bâtiment n'a pas été touché par un missile tiré par Himars. Il argumente entre autres sur ces quatre points:
Revenons à l'analyse des images satellites. Celles-ci montrent en effet des tombes présumées situées en bordure du camp de prisonniers.
Les analystes de données ont découvert que les tombes ont été creusées entre le 18 et le 21 juillet. C'est-à-dire avant le massacre des prisonniers de guerre. Le lendemain de l'explosion, une partie des tombes a été recouverte, écrit Oliver Alexander. Cela indique que la mise à mort des prisonniers de guerre était prévue.
@Maxar image from the Olenivka Prison where 50 PoWs were killed seems shows possible graves dug near the north wall.
— Oliver Alexander (@OAlexanderDK) July 30, 2022
The possible graves appear to be open and recently dug on the 27th (2 days prior to the explosion) and covered on the 30th (1 day after). https://t.co/XAnG4HnDzh pic.twitter.com/sLvzae0RMQ
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a demandé l'accès à la prison peu après l'explosion. Mais selon le CICR, les Russes n'ont pas encore réagi à cette demande. Le comité écrit sur son site web:
Le ministère russe de la Défense affirme en revanche avoir invité le CICR à lui rendre visite.
«La troisième Convention de Genève donne au CICR le droit de se rendre partout où se trouvent des prisonniers de guerre et de les interroger,» explique le CICR sur son site Internet. Toutefois, il faut pour cela l'accord formel de la partie qui détient les prisonniers de guerre.
Quelques heures après l'explosion dans le camp de prisonniers, l'ambassade russe en Grande-Bretagne a partagé une citation de civils prétendument pro-russes de Marioupol, qui souhaitent une «mort humiliante» aux combattants d'Azovstal. Cela va à l'encontre des Conventions de Genève, qui prévoient un traitement digne des prisonniers de guerre.
Le tweet a fait l'objet d'une enquête, car il enfreint les règles de Twitter. La plateforme a toutefois déclaré qu'elle le laissait en ligne pour des raisons d'intérêt public.
💬#Azov militants deserve execution, but death not by firing squad but by hanging, because they’re not real soldiers. They deserve a humiliating death.
— Russian Embassy, UK (@RussianEmbassy) July 29, 2022
A married couple from #Mariupol tell how they were shelled by 🇺🇦forces from #Azovstal. #StopNaziUkraine https://t.co/jyQGEOJFYz
Après la capture des combattants d'Azovstal, l'ambassadeur russe à l'ONU, Vassili Nebenzia, a annoncé: «Le traitement humain des prisonniers de guerre est la norme dans les forces armées russes».
Mais tout le monde ne semble pas partager cet avis dans ses rangs. Pour l'instant, tout porte à croire que les troupes russes ont commis un nouveau massacre à Olenivka.