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Pourquoi Taïwan serait en danger avec la défaite de l'Ukraine

«Des avions de combat et des navires chinois tournent autour de Taïwan»

Taïwan demande à l'Occident de soutenir l'Ukraine, car si Poutine gagne, ça encouragerait la Chine à attaquer. Entretien avec David Huang représentant de l'île en Suisse.
30.04.2024, 14:1830.04.2024, 14:18
Francesco Benini / ch media
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David Huang critique la pression croissante de la Chine sur Taïwan. Le représentant de l'île en Suisse (il n'y a pas d'ambassade officielle) demande à l'Occident de soutenir l'Ukraine dans sa guerre contre la Russie. En effet, si Poutine l'emporte, le diplomate craint que cela donne des ailes à Pékin et pousse le régime à s'emparer de son pays.

En mai, Taïwan aura un nouveau gouvernement. Quelles sont vos attentes?
David Huang: La continuité. Le président élu a clairement indiqué qu'il maintiendrait le cap actuel de la politique étrangère. Il n'y a aucune raison de changer, car Taïwan bénéficie d'un grand soutien international.

Comment décririez-vous les relations actuelles entre Taïwan et la Chine continentale?
Elles sont comparables aux relations entre l'Union européenne et la Chine: nous sommes des partenaires économiques, des concurrents politiques et des rivaux systémiques. 36% de nos échanges commerciaux se font avec la Chine. Nous ne sommes pas en concurrence avec la Chine sur le plan stratégique, mais sur le plan politique.

«La Chine essaie d'étouffer l'espace international de Taïwan»

Nous devons élargir notre espace international pour survivre. Nous sommes une démocratie et nous respectons les droits de l'homme, alors que la Chine est un régime autoritaire. J'espère que la Chine deviendra un jour une démocratie. Mais nous assistons à des tensions croissantes avec Pékin.

David Huang, représentant de Taïwan en Suisse
David Huang à Zurich en 2019.Image: Ministère des affaires étrangères de Taïwan
David Huang
Le Dr David Huang est le représentant de Taïwan en Suisse depuis 2018. Il a étudié la diplomatie à Taïwan, puis les sciences politiques au MIT (Etats-Unis), avant d'obtenir son doctorat à Oxford au Royaume-Uni.

Quelles tensions?
Des avions de combat et des navires chinois tournent quotidiennement autour de Taïwan. Ils traversent la ligne médiane du détroit de Taïwan. Et il y a deux mois, la Chine a soudainement annoncé de nouvelles routes aériennes pour ses compagnies aériennes. Ils essaient de restreindre notre espace aérien. La Chine a également stoppé l'importation de certains produits agricoles taïwanais.

La majorité des citoyens taïwanais sont favorables au statu quo dans leurs relations avec la Chine. Est-ce également votre position?
Nous voulons défendre le statu quo, notre démocratie et notre liberté. Nous ne voulons pas nous soumettre à la Chine. Malheureusement, Pékin veut changer le statu quo.

Le président chinois Xi Jinping affirme que «la réunification est inévitable». Qu'en pensez-vous?
Taïwan est une démocratie, tout est possible. Les gens ont le choix. Le gouvernement veut le statu quo, mais c'est aux gens de décider. Toutes les options sont ouvertes.

L'indépendance est-elle aussi une option?
Nous sommes attachés au principe de la démocratie. L'indépendance, la réunification, le statu quo - c'est le peuple taïwanais qui en décide.

Quel est le degré d'acuité du risque d'une attaque militaire chinoise contre Taïwan dans les années à venir?
On peut attaquer Taïwan en lançant des missiles. Mais conquérir l'île est une autre affaire. Il faudrait que les Chinois traversent le détroit de Taïwan, large de 120 kilomètres. Ce n'est pas la même chose qu'une invasion russe en Ukraine. La Chine devrait effectuer un débarquement amphibie, puis maintenir une ligne de ravitaillement pour son armée. C'est une opération très difficile.

On dit que la Chine veut conquérir Taïwan d'ici 2049. Vous y croyez?
Non, je ne le pense pas. Je doute que le Parti communiste chinois soit encore au pouvoir en 2049.

«Il y a un déclin économique spectaculaire en Chine»

Par exemple, sur le marché de l'immobilier, l'économie chinoise montre des signes de faiblesse. Xi Jinping pourrait-il tenter de détourner l'attention de ces problèmes en adoptant une position de plus en plus dure à l'égard de Taïwan?
Le président Xi a déjà commencé à rejeter la faute sur d'autres. Des forces extérieures comme les Etats-Unis sont responsables des problèmes de la Chine. Je pense qu'il s'agit d'un prétexte pour renforcer le contrôle à l'intérieur du pays. On a déjà pu le constater pendant la pandémie.

Le commerce entre Taïwan et la Chine est très fort. Les relations économiques sont-elles un moyen d'éviter une nouvelle détérioration des relations?
L'interdépendance économique n'empêche pas forcément la guerre. Avant la Première Guerre mondiale, les échanges commerciaux entre les grandes puissances se sont multipliés. En Chine, Xi Jinping tente de prendre le contrôle total de l'économie.

«Il veut dominer tous les domaines, même sociaux, tous les aspects de la vie des Chinois. C'est une évolution dangereuse»

Si l'Occident ne soutient pas l'Ukraine face à la Russie, cela rendra-t-il la situation de Taïwan plus difficile?
Il est très important que l'Ukraine gagne cette guerre. L'Occident doit montrer que l'agresseur ne doit pas être récompensé. La Chine observe très attentivement le comportement de l'Occident. La Chine observe également les sanctions occidentales contre la Russie. Si un accord de paix devait être conclu, stipulant que Poutine peut conserver des parties du territoire ukrainien, ce serait un résultat terrible pour Taïwan. Cela pourrait encourager la Chine à lancer une attaque contre Taïwan.

Sous la présidence de Biden, les Etats-Unis ont livré des armes à Taïwan - mais pas autant que sous la présidence de Trump. Les Etats-Unis pourraient-ils faire plus pour aider Taïwan?
Les deux gouvernements ont fait beaucoup pour soutenir Taïwan. Les Etats-Unis ont clairement fait savoir qu'ils interviendraient si la Chine voulait conquérir Taïwan.

Les Etats-Unis n'ont pas dit clairement ce qu'ils feraient. Il n'est pas certain que l'armée américaine interviendrait.
Le soutien des Etats-Unis à Taïwan est énorme et partagé par les deux parties. Cela ne se limite pas à la vente d'armes, mais aussi au transfert de technologies. L'administration Biden a également fait un pas important pour rassembler les voisins de Taiwan: Japon, Philippines, Corée du Sud. C'est important pour la stabilité de la région du Pacifique.

Le président Biden dépense des milliards pour l'industrie américaine des puces électroniques. Les Etats-Unis se détachent-ils ainsi non seulement de la Chine, mais aussi de Taïwan?
Je ne vois pas comment la production de semi-conducteurs à Taïwan pourrait devenir superflue dans un avenir proche. Les fabricants de puces les plus avancés se trouvent toujours à Taïwan.

«Par rapport à d'autres fabricants, nous avons des années d'avance»

Dans un discours que vous avez prononcé en mars à Zurich, vous avez fait une comparaison entre le régime chinois et la dictature nazie en Allemagne. Les deux choses sont-elles vraiment comparables?
Bien sûr, nous ne parlons pas de la même chose. Je faisais référence à la concentration du pouvoir sur un seul homme. Une nation, un parti, un chef - c'était le cas dans l'Allemagne nazie et c'est le cas dans la Chine moderne. Les régimes autoritaires tentent de conserver leur pouvoir en faisant les mêmes choses: ils mentent. La Chine affirme que son économie a connu une croissance de 5,3% au premier trimestre de cette année.

C'est beaucoup.
Oui, mais les exportations chinoises, exprimées en dollars, ont diminué de 17%. Comment la Chine peut-elle donc avoir une croissance économique aussi forte? La consommation intérieure chinoise est également faible. Dans mon discours, j'ai également parlé de la menace de la violence.

«Si vous critiquez Xi Jinping ou le Parti communiste, vous pouvez être amené à disparaître»

L'assassinat systématique des Juifs était quelque chose de singulier.
Combien de millions de Chinois sont morts lors du «Grand Bond en avant»? Combien sont morts pendant la Révolution culturelle? Des gens ont été tués, ils sont morts de faim. Qu'en est-il de la persécution des Ouïghours à l'heure actuelle? Comment les Tibétains sont-ils traités?

Taïwan n'était pas une démocratie lorsqu'elle s'est séparée de la Chine.
Nous avons lutté pour la démocratie. Le processus de démocratisation à Taïwan est parti de la société civile. Des groupes de défense des droits des femmes et de l'environnement se sont réunis pour réclamer un changement. La pression américaine a également été un facteur important. Les Etats-Unis ont dit qu'ils ne pouvaient pas soutenir Taïwan si le même système que celui de la Chine continentale y était en vigueur. Chiang Kai-shek a donc accepté que des élections locales soient organisées à certains endroits.

Comment voyez-vous le principe chinois «un pays, deux systèmes»?
Il a été introduit par Deng Xiaoping pour Taïwan, pas pour Hong Kong. Mais lorsque Hong Kong est revenue à la Chine en 1997, ce principe aurait dû servir d'exemple pour Taïwan. Que s'est-il passé? Hong Kong a perdu son autonomie. Elle doit suivre les règles de Pékin. C'est un pays, un système.

La Suisse ne reconnaît pas Taïwan comme une nation souveraine. Quels sont vos contacts avec le gouvernement suisse et les autorités suisses?
Nous avons des contacts avec plusieurs ministères, mais pas au niveau des secrétaires d'Etat. La Suisse s'en tient à sa politique d'une seule Chine et n'entretient pas de contacts officiels avec Taïwan. Nous coopérons dans les domaines de l'économie, des finances, de l'éducation et de la culture. Nous pouvons contribuer à l'élaboration de la politique, mais nous ne participons pas à la prise de décision.

La Suisse devrait-elle changer d'attitude vis-à-vis de Taïwan?
La Suisse va dans la bonne direction, mais elle pourrait aller plus vite. La Suisse pourrait séparer les préoccupations politiques vis-à-vis de la Chine de la coopération technique avec Taïwan.

«Je pense qu'il y a une crainte que des contacts plus étroits avec Taïwan puissent irriter la Chine»

Cela pourrait être un problème pour la mise à jour de l'accord de libre-échange entre la Chine et la Suisse. Ceci mis à part, nous apprécions beaucoup le soutien de la Suisse à Taïwan.

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

Le séisme qui a frappé Taïwan en images
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Le séisme qui a frappé Taïwan en images
Un puissant séisme a frappé Taïwan mercredi 3 avril 2024.
source: sda / daniel ceng
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Les drones navals ukrainiens sont impitoyables
Video: watson
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