Avant de commencer, sachez que Thierry Ardisson est une merde. Oh, c'est pas nous qui le disons. L'animateur et producteur français s'était infligé une petite carotte d'audience pour sa nouvelle émission. «Si je fais 7% de part de marché, je suis une merde. Si je fais 10, je suis le roi du monde. Si je fais 12, je suis demi-dieu.» C'est finalement à 6,8% que l'homme en costard noir a fait irruption dans son «Hôtel du Temps» sur France 3. S'il doit être en train de se donner deux ou trois gifles devant le miroir, qu'il se rassure. Son ovni cathodique nourrit les réseaux sociaux depuis lundi soir. C'est simple: tout le monde en parle.
Assez bluffé car en plus d'être bien foutu c'est extrêmement bien documenté #hoteldutemps
— Topher (@Chris_Langlet) May 2, 2022
Une chose est sûre, à 73 ans, Thierry Ardisson fait toujours du Thierry Ardisson. Inventer des trucs, les incarner avec une gourmandise que d'autres n'ont pas à 20 ans, et croire très fort que la France entière va adhérer. Et c'est pour ça qu'on aime le détester.
Désormais, le papy du PAF et gourou du talk-show US à la sauce béchamel fait causer les morts.
Pour de vrai.
Et lundi soir, la morte, c'était la star Dalida.
De prime abord, la mise en scène d'«Hôtel du Temps» est celle d'un entretien télé tout ce qu'il y a de plus banal. L'animateur Ardisson face à la chanteuse Dalida. Un décor d'hôtel barbouillé de moulures et de dorures. Des questions, des réponses. Le reste? Tout est faux. Ou presque.
Prenez le temps de voir ou de revoir "#HôtelDuTemps".
— Thierry Ardisson (@T_Ardisson) May 3, 2022
Retrouvez #Dalida interviewée par Thierry Ardisson
35 ans après sa mort.
Si-si. pic.twitter.com/x7sxhRbuw8
Grâce à l'intelligence artificielle, Ardisson (et surtout son équipe) a redonné des couleurs à Dalida, décédée le 3 mai 1987. Et la technologie utilisée pour ressusciter la star est certes très populaire, mais habituellement plutôt controversée: le deepfake. (Officiellement «Face Retriever».) Le principe, vous le connaissez: recréer artificiellement les mouvements, les mimiques, les attitudes, les tics et le timbre de voix d'une personne, par le truchement d'un algorithme et d'un autre être humain.
Travaux pratiques:
A gauche, l'actrice Julie Chevallier. A droite, l'actrice Julie Chevallier en Dalida après avoir été «mangée» par la machine.
Contrairement aux deepfakes malveillants qu'on dégotte sur internet, ici, le résultat frise la perfection. Le téléspectateur a véritablement l'impression d'observer Dalida répondre aux questions de Thierry Ardisson. Pour l'anecdote, l'animateur en a également profité pour s'effacer deux ou trois rides sur la tronche, histoire de coller à l'époque (et à son invitée). Un exploit technique indéniable, même si petits bugs, il y a eu. Quand la chanteuse se met soudain à pleurer ou quand Claude François, foutrement mal deepfaké, vient faire coucou sur l'écran comme un mauvais emoji dessiné à main levée.
Si le boulot est propre, il faut savoir que les hommes derrière l'exploit ne sont pas des touristes. Deux mois d'efforts ont été nécessaires à la société française Mac Guff pour que Dalida soit présentable. Mac Guff? C'est eux qui ont, par exemple, dessiné et animé les personnages du célèbre blockbuster Moi, Moche et Méchant.
Une fois Dalida reconstituée, il fallait lui donner de la répartie. A disposition de Thierry Ardisson, des années d'archives, d'interviews, d'anecdotes, de moments marquants qui garnissent plus de trente années de carrière. L'animateur est aussi allé piocher dans les souvenirs des proches de la star. Et, au passage, attraper leur autorisation amicale pour utiliser son image et ses mots.
Là, tout est vrai. Ardisson assure que tout ce qui a été récité par l'actrice Julie Chevallier a été réellement prononcé par Dalida. Quelques exceptions cependant. Des exceptions qui ont, à elles seules, fait pousser le malaise.
Au total, une heure et quarante minutes d'entretien qui, dans l'ensemble, se laisse allègrement grignoter. Si la technique fait beaucoup, Ardisson aussi. Il n'y avait que lui, l'homme aux célèbres questionnaires provoc' et préfabriqués de «Tout le monde en parle», pour s'asseoir aussi peinard dans un fauteuil d'animateur bardé de technologie. Et il n'y avait aussi que Thierry Ardisson pour se masturber l'ego au passage: «Vous êtes toujours aussi cash Thierry», que balance soudainement Dalida pour une raison passablement désagréable pour le téléspectateur. L’insistance de l'animateur: «Vous avez couché avec Alain Delon?» La chanteuse, privée de réelle liberté de parole et de réponse à ce moment précis de l'émission, subit l’assaut.
Enfin, celle qui a mis fin à ses jours le 3 mai 1987 a raconté en détail (mais en deepfake) sa première tentative de suicide. Avec, notamment, cette phrase tristement célèbre:
Il faut être définitivement un peu mégalo pour vouloir (et parvenir) à s'entretenir avec des stars décédées, sans leur consentement. Le principe de déterrer des paroles, les arracher d'un contexte, pour les déposer ensuite sur des lèvres qui n'appartiendront jamais à la personnalité piochée sur le volet, dérange tout au long de l'émission. Si Thierry Ardisson considère que c'est la «première fois que le deepfake est utilisé de manière positive, noble et culturelle», nous serons toujours bel et bien face à un deepfake. Aussi parfaitement réalisé soit-il. Après le documentaire et le très innocent biopic, le saut éthique et quantique, ici, semble passablement risqué.
Détail qui n'en est pas un: Netflix et Amazon Prime ont refusé de produire la petite folie d'Ardisson. Même le studio Mac Guff a longtemps hésité avant de s'embarquer finalement dans l'aventure. «Si "Hôtel du Temps" ne marche pas, j'arrête tout», a confié l'animateur avant la première, lundi.
Seconde chance, bientôt, avec la princesse Diana. Pour sûr: tout le monde en parlera.
Cette scène de fin… bluffé ! Bluffant !
— Josselin HR (@jo_redachef) May 2, 2022
Bravo @3eOeilProd et @T_Ardisson
Foncez en replay https://t.co/RqY3DCctIT#hoteldutemps #Dalida pic.twitter.com/nRRLNloP9M