Si, par ces jours de canicule, l'idée d'une plage de Sicile au sable brûlant ou d'une piscine tiédasse, gorgée de chlore et de touristes suintants, vous donne envie de vous donner le tour, peut-être les étendues blanches, calmes, vides et glacées de l'Antarctique vous feront-elles davantage fantasmer.
C'est le cas d'une poignée d'ultra-riches, capables de débourser des milliers de francs pour s'offrir le luxe de quelques jours sur la banquise. Frissons et glace pillée à gogo garantis.
En y mettant les moyens, pas de paquebot rouillé ou de traîneau instable. L'an dernier, le voyagiste de luxe britannique White Desert a ouvert son dernier camp en date sur le continent blanc, ayant pour thème l'exploration spatiale.
Il faut accorder à ses créateurs que les petits dômes endormis du camp Echo, dispersés sur la glace, ont tout d'une base lunaire. Situés à une centaine de kilomètres à l'intérieur des terres, non loin d'une colonie de manchots empereurs, ils ne sont accessibles qu'en jet privé. La comparaison avec un vol spatial n'est donc pas totalement exagérée: il faut compter sept heures de vol entre le camp de vacances et l'un des lieux d'excursion, le point le plus au sud de la Terre.
Quand ils ne contemplent pas le paysage polaire dans le confort et la chaleur de leur capsule tapissée de fourrure, les clients VIP sont invités à explorer le continent en avion, motoneige, camion ou ski. Et comme le froid, ça creuse, la journée se conclut par un repas gastronomique, concocté par les soins d'un chef privé.
Quant aux ingrédients nécessaires à la cuisine de ce dîner 5 étoiles, ils sont acheminés par avion d'Afrique du Sud. Le prix d'une simple canette de Coca-Cola revient à 36,80 dollars. Pas étonnant, donc, que ce camp soit le plus cher du monde, et qu'il compte parmi ses clients des amateurs de sensations fortes, des PDG ou encore des têtes couronnées.
Tarif de base: comptez 104 000 dollars, pour une semaine et par personne.
Il faut bien cette somme, pour s'offrir les plaisirs de l'un des lieux les plus préservés et inhospitaliers de la planète. Notre septième continent, quasiment inhabitable et largement méconnu, demeure l'un des très rares du globe où il reste des endroits où les humains n'ont jamais posé les pieds. Une étude récente a révélé que près d'un tiers du continent est encore «vierge», sans aucune trace d'intervention humaine.
Imaginez: 14,2 millions de kilomètres carrés (près de 1,5 fois la taille de l'Europe) de terres froides et sauvages, dans un silence accablant. Plus facilement comparable à la Lune qu'à un pays, l'Antarctique diffère de tout autre lieu géographique sur la planète: elle est considérée comme un bien commun mondial.
Ce paradis blanc sans foi ni loi se trouve en très mauvaise posture: l'Antarctique se réchauffe trois fois plus vite que la moyenne mondiale. La banquise recule, avec des creux records enregistrés pour la deuxième année consécutive. D'où la soudaine bouffée du «tourisme de la dernière chance» chez les super-riches, et l'envie de profiter du lieu avant qu'il ne soit rayé de la carte.
Le tourisme en Antarctique, qui a commencé au compte-gouttes dans les années 1950, n'a pas cessé d'augmenter depuis. Voilà une quarantaine d'années qu'une poignée d'entreprises proposent aux plus aventureux des voyages maritimes et terrestres sur ces terres hostiles. Et bien que cette destination demeure exclusive et coûteuse, compte tenu de son éloignement et de la logistique impliquée, pas besoin de débourser 100 000 dollars pour en découvrir en les merveilles. L'option la moins dispendieuse reste la croisière.
Moyennant quelques milliers de dollars, les amateurs de grand froid peuvent observer glaciers et colonies de manchots du haut de leur promontoire, voire même d'un jaccuzzi.
Une expérience certes moins immersive que celle d'un camp perdu au milieu des terres. Car désormais, chaque été, une longue file d'attente de navires attendent leur tour pour se frayer une voie vers la côte. Au cours de la saison australe 2022-23, quelque 105 331 personnes ont vu l'Antarctique de leurs propres yeux. Et la tendance n'est pas près de s'inverser.
Pour le moment, ces croisières sont passablement réglementées. Les navires transportant plus de 500 personnes ne sont pas autorisés à accoster et doivent se contenter de naviguer au large des côtes.
Quant aux expéditions plus petites, les voyageurs sont soigneusement encadrés. Avant de pouvoir débarquer sur la terre ferme et se lancer dans des balades en raquette, ski de fond, kayak, paddle - ou même à pied - les participants sont contraints d'essuyer leurs chaussures. Il ne faut laisser aucune trace, et éviter absolument l'introduction d'espèces non indigènes dans cet environnement préservé.
Ce qui n'empêche pas l'empreinte écologique des croisières en Antarctique d'être très lourde: entre le vol en avion et le navire de croisière, on estime la production de carbone lors d'un voyage équivalente à la production d'un Européen moyen pendant un an.
Le problème? L'Antarctique n'appartient à personne. Aucun gouvernement n'a le pouvoir de fixer des règles. A mesure que la banquise disparaît et que la popularité du lieu augmente, la gestion du tourisme devient donc franchement délicate.
Pour le moment, la pratique est auto-régulée et encadrée par les voyagistes eux-mêmes, grâce à une association commerciale sur base volontaire, l'IAATO. Son but? Promouvoir «des voyages respectueux de l'environnement et responsables». Mais aussi, et surtout, faire des clients de futurs «ambassadeurs». Comment ça?
C'est en effet là que repose le principal argument marketing de ces voyages sur le fragile continent: le tourisme en Antarctique serait vital, car il sensibilise à l'urgence climatique. Une fois que les clients ont fait l'expérience directe de la vulnérabilité de ces terres sauvages, ils seraient plus enclins à mener une vie soucieuse de l'environnement.
Un postulat qui n'a jamais été prouvé, malgré des recherches entreprises par des scientifiques en 2010.
Depuis sa mise en place, dans les années 90, le groupe de voyagistes de l'IAATO collaborent sereinement.
Certains observateurs craignent toutefois que l'explosion du nombre de touristes ne pousse le système de tourisme actuel à un point de rupture. De quoi nous refroidir, peut-être, à l'idée d'acheter nos billets et de venir garnir les rangs des visiteurs toujours plus nombreux, lors du prochain été austral.