Le 24 février en fin d'après-midi, heure suisse, la nouvelle tombait et faisait un peu plus pénétrer la guerre en Ukraine dans le royaume très malaisant d'une catastrophe surréaliste.
Après quelques heures d'un combat semble-t-il acharné, et comme prophétisé par certains observateurs il y a quelques semaines, les forces russes se sont emparées de Tchernobyl et de la zone d'exclusion radioactive qui l'environne.
BREAKING: Ukraine says it has lost control of the Chernobyl nuclear site after a fierce battle with Russian troops. Chernobyl was the site of the world's worst nuclear disaster in 1986. https://t.co/wYfZfjyNKS
— The Associated Press (@AP) February 24, 2022
Cette capture, qui laisse le sarcophage contenant la catastrophe de 1986 dans un état encore inconnu, s'accompagnerait d'une prise d'otages du personnel de la centrale et des installations environnantes, faisant fulminer Washington.
De son côté, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, n'hésitait pas à parler d'une déclaration de guerre à l'Europe tout entière, elle aussi prise en otage par cette capture russe d'un lieu qui n'est pas seulement le symbole éteint des dangers du nucléaire, mais qui reste celui de dangers actifs et indicibles pour le continent dans son ensemble.
Russian occupation forces are trying to seize the #Chornobyl_NPP. Our defenders are giving their lives so that the tragedy of 1986 will not be repeated. Reported this to @SwedishPM. This is a declaration of war against the whole of Europe.
— Володимир Зеленський (@ZelenskyyUa) February 24, 2022
«Si le dépôt était détruit par des frappes d'artilleries de l'adversaire, la poussière radioactive recouvrirait l'Ukraine, le Bélarus et les pays de l'UE», écrivait ainsi sur Telegram le conseiller du ministère de l'Intérieur Anton Guerachtchenko, selon BFMTV.
Mais comme le relate Motherboard, ces craintes n'ont rien d'une dramatisation de la situation par les autorités ukrainiennes destinée à pousser la communauté internationale à réagir. Elles sont largement partagées par certains experts, et vont bien au-delà du cimetière nucléaire de Tchernobyl.
Il est ainsi craint qu'au désastre humain et politique de l'invasion décidée par Vladimir Poutine ne s'ajoute une catastrophe environnementale de grande ampleur et peut-être permanente pour une partie du continent européen.
Ces peurs concernent Tchernobyl, bien sûr, mais également les quinze réacteurs nucléaires en service que compte l'Ukraine, la seconde plus grande puissance atomique civile européenne.
C'est la première fois qu'un tel conflit se déroule dans un pays où sont situées de telles centrales actives, comme celle de Zaporizhzhia, la deuxième plus grande en Europe, faisant naître de vives inquiétudes chez les cadres de l'Agence internationale de l'énergie atomique (Aiea).
Au-delà des centrales atomiques, les inquiétudes se concentrent également sur le Donbass, région fortement industrialisée, bourrée d'usines chimiques à hauts risques, d'installations métallurgiques remplies de déchets ou de vieilles mines de charbon problématiques que Bellingcat qualifiait déjà de «bombe à retardement toxique» en 2017.
Chemical factories, old mines, power plants: Donbas region of Ukraine is full of heavy industry. There's huge potential for an environmental catastrophe adding to the humanitarian crisis.
— Richard Pearshouse (@RPearshouse) February 24, 2022
Re-upping @bellingcat's 2017 rapid environmental risk assessmenthttps://t.co/Gc5L1CXePi pic.twitter.com/LOeFYm2Ork
Les mines abandonnées du Donbass en particulier inquiètent les experts: le Telegraph britannique n'hésite pas à parler de «second Tchernobyl» potentiel à propos de ces installations.
Délaissées par les séparatistes pro-russes gérant la zone depuis quelques années, ces mines se remplissent peu à peu d'eau et pourraient déverser dans les nappes phréatiques de vastes quantités de toxines et de produits hautement toxiques. Voire de substances radioactives: ancien site de tests nucléaires sous l'ère soviétique, la mine de Yunkom inquiète les observateurs depuis des années.
Richard Pearshouse, spécialiste de la question pour Amnesty International à Genève a prévenu:
Pire, cette catastrophe environnementale et potentiellement nucléaire, donc permanente, pourrait être volontairement provoquée par la Russie de Vladimir Poutine et faire partie de ses plans à long terme.
«Transformer l'Ukraine en une zone dystopique criblée de zones radioactives d'exclusion serait une méthode extrême pour obtenir la zone défensive que Vladimir Poutine semble souhaiter. La gestion d'une crise migratoire massive et d'un tel désastre environnemental paralyserait l'Europe pendant des années», prévenait ainsi dans Forbes, en décembre 2021 l'analyste Craig Hooper.
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original