Vous avez raison. Depuis qu'il existe des T-shirts à l'effigie des Ramones chez C&A, c'est un peu facile de coudre une personnalité punk sur le moindre blouson en cuir qui pourrait parader dans un hémicycle. Surtout en Finlande, pays le plus béatement heureux du monde, où les groupes de heavy-metal parviennent à gagner l'Eurovision sans faire sursauter mémé.
Mais il fallait bien vous attirer jusqu'à ces lignes. Bon. Ce qui est foutrement punk (en réalité), c'est d'afficher crânement dix femmes dans son gouvernement et de défier Vladimir Poutine du haut de son pays «historiquement neutre». L'artiste aux commandes? Sanna Marin. Une première ministre qui a le cuir épais. Et pas seulement celui qu'elle est en droit de jeter sur une chaise en rentrant d'une longue journée. On peut d'ailleurs parier, sans risquer grand-chose, que les semaines de la Finlandaise de 36 ans pissent abondamment dans les marges de son Moleskine.
Depuis que le président du premier pays d'Europe à avoir autorisé les femmes à glisser un bulletin de vote dans l'urne (en 1906) a décidé qu'il était temps de toquer à la porte de l'Otan, le 12 mai dernier, la patronne du gouvernement a du Leipäjuusto sur la planche. Déjà, il fallait s'avouer prête à accompagner le processus officiel d'adhésion et, pour cela, déstabiliser (encore davantage) l'équilibre géopolitique mondial.
En clair, tendre un majeur bien ferme à la figure de Poutine. La Finlande partage non seulement 1300 kilomètres de frontières avec la Russie, mais aussi un passé un poil tendu. Après avoir longtemps joué l'arbitre entre l'Occident et le Kremlin, l'agression de l'Ukraine a fini de pousser le pays dans le grand bain de l'Alliance atlantique. Dernière étape encore chaude, le parlement finlandais qui a exprimé, mardi, un gros OUI à plus de 95% pour cette colocation stratégique occidentale. Un pas de géant qui n'est pas dénué de risques. Mais Sanna Marin semble avoir le bras assez long pour mesurer la menace.
A 34 ans, le 10 décembre 2019, Sanna Marin est devenue la plus jeune première ministre de la planète. Hop, un trophée sur la cheminée. Les amours du champagne de la victoire à peine savourées que le Covid-19 est venu sabrer l'allégresse. Il a fallu s'adapter. Vite. Il est d'ailleurs probable que la souplesse hardie de la dame, élevée par deux femmes, soit intimement liée à son existence particulièrement sinueuse. Sur sa route? Des petits-déjeuners un peu trop chiches, mais «remplis d’amour», un père agrippé au goulot et une famille maternelle inconnue, sa maman ayant décapsulé sa jeunesse dans un orphelinat. Voilà pour les nuages. Les seuls.
Oh, c'est vrai qu'elle a dû enchaîner les petits boulots pour être en mesure d'attraper sereinement son diplôme en administration publique et vendre des korvapuusti pour se payer des «cafés au centre paroissial de Pirkkala ou jouer au billard». Reste que son unique échec politique est, encore aujourd'hui, sa tentative, à 23 ans, de faire irruption au conseil municipal de la bourgade de Tampere en 2008. Mais douze ans plus tard, elle entrera dans le classement Forbes des 100 femmes les plus puissantes de la planète. Et hop, un deuxième trophée sur la cheminée.
Sanna Marin est cool. Pas moins et pas plus que les autres humains de sa génération, mais avec une volonté largement au-dessus de la mêlée. Et pas seulement pour s'être fait pincer, en décembre 2021, à guincher entre les postillons du virus, et en qualité de cas contact, dans une boîte de nuit d'Helsinki. Oui, Sanna Marin est cool. «Et la Finlande est cool aussi. Un Etat-providence nordique qui veut être climatiquement neutre d'ici 2035», qu'elle a balancé sur Twitter, quand Elon Musk en personne s'est moqué doucement des nuits légères de la première ministre. Il n'a pas été le seul à épingler la noce virale de l'élue: «Que vous ayez 30 ou 60 ans, que vous soyez fatiguée ou non, soit vous avez l’énergie pour diriger, soit vous démissionnez dignement.» Pas contente, l'éditorialiste finlandaise Erja Yläjärvi. Soupçonnée un peu plus tôt de dépenser chaque mois 300 euros (publics) pour le petit-déjeuner de sa famille (moins chiche qu'à l'époque), Sanna Marin nettoie les polémiques et continuer sa route.
— Elon Musk (@elonmusk) December 12, 2021
La présidente du Parti social-démocrate a mieux géré son #partygate que son homologue britannique Boris Johnson. Il faut dire qu'elle n'a jamais pris l'habitude de laisser la semelle d'autrui lui saloper ses lacets. Poussez-vous, j'ai une planète à sauver et un pays à mener. Une crédibilité qu'elle doit aussi à cette ambition toute moderne de faire le bien et qui n'est même pas écornée au moment d'afficher la robe archi-bobo «en satin éco-responsable» de son union avec le footeux Markus Räikkönen, en 2020. Sanna Marin est une gosse de son époque. Féministe conquérante, guerrière climatique, geekette ultra-connectée, avec cette petite couche d'impatience et de narcissisme assumée qui enduit les chemins de vie à l’ère des likes. Sur les réseaux sociaux, la première ministre dévoile tout: réunion politique, dernière trouvaille fashion, bouille de sa fille Emma et photos officielles. Sans filtre(s). Exemple probant d'ascension verticale au sein d'une génération qui aime bien tout mettre à l'horizontale.
En juillet 2021, celle qui fut aussi (brièvement) ministre des Transports, confiait au journal Le Monde que «si les citoyens sentent qu’ils sont délaissés, que quelqu’un leur impose des décisions d’en haut, cela ne marche pas. Nous devons nous assurer que les gens participent au changement et comprennent que nous voulons aussi rendre leur vie meilleure».
Rien n'est gagné pour autant. Etre une femme ministre, c'est parvenir à défier politiquement Vladimir Poutine un jour, et devoir justifier un décolleté plongeant le lendemain. Même en 2022. Même en Finlande. Même à 36 ans. Même en pleine guerre. Même en blouson en cuir.