Leurs photos ne passent pas inaperçues: depuis le début de l'invasion russe, des images de combattants ukrainiens arborant des symboles nazis sont massivement partagées sur les réseaux sociaux, provoquant toute sorte de réactions. Pour Moscou, qui ne cesse d'affirmer que l'objectif de son opération est de «dénazifier l'Ukraine», c'est la preuve que sa guerre est légitime.
Contrairement à d'autres rumeurs qui circulent sur le conflit, ces images (ou du moins une partie d'entre elles) représentent une réalité authentique: il s'agit du régiment Azov, un groupe armé d'extrême droite qui se bat effectivement aux côtés des forces ukrainiennes. Moscou a donc raison? C'est un peu plus compliqué.
Appelé à l'origine «bataillon Azov», ce groupe paramilitaire nait dans le contexte chaotique de la guerre du Donbass, en mai 2014. Il est composé de volontaires et se bat contre les séparatistes pro-russes. Son nom fait référence à la mer du même nom, sous le joug de la Russie depuis l’annexion de la Crimée.
Son allégeance néonazie est réelle. Le fondateur du groupe est le néonazi Andreï Biletsky, ancien repris de justice, suprémaciste blanc et antisémite. Originaire de Kharkiv, il a fait partie de groupes hooligans et de l’organisation paramilitaire ultranationaliste Patriotes d’Ukraine, rapporte Libération.
Depuis le début, le groupe attire aussi de nombreux combattants étrangers. Il est perçu comme un eldorado pour toute sorte de suprémacistes blancs, antisémites et militants d'extrême-droite américains et européens. Il faut dire qu'Azov ne cache pas son idéologie, par ailleurs très visible sur son logo:
Le symbole présent en premier plan représente une combinaison des lettres I et N, pour «Idées de la Nation». Il reprend le vieux logo du parti d'extrême droite ukrainien Svoboda, à son tour inspiré par l’emblème de la division SS Das Reich. Derrière, on peut voir le soleil noir, un autre symbole nazi.
Les liens d'Azov avec l'Etat ukrainien sont tout aussi réels. En septembre 2014, alors que l'armée régulière peine à s'imposer face aux combattants séparatistes, le groupe est intégré à la garde nationale ukrainienne, l’équivalent de la gendarmerie nationale en France. Il prend alors le nom de «régiment d'Azov».
Un rapprochement qui interroge, d'autant plus que le groupe s'oppose aux accords de Minsk, signés en 2014 entre Kiev, Moscou et les séparatistes pour mettre fin aux combats au Donbass.
Autre détail important: dès son intégration dans la garde nationale, le groupe est financé et armé par le ministère de l'Intérieur ukrainien.
C'est également vrai que le régiment d'Azov participe activement à la guerre en cours depuis le 24 février. Ses soldats se battent dans différentes régions, dont Kiev, Kharhiv et Marioupol.
Une participation qui n'a pas échappé à Moscou, qui s'en sert activement pour promouvoir son discours officiel concernant la prétendue «dénazification de l'Ukraine».
Dernier exemple en date: jeudi, la Russie a été accusée d'avoir bombardé un hôpital pédiatrique à Marioupol. Des allégations balayées sur Twitter par l'ambassade russe à Londres, qui, citant le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, soutient que l'hôpital était en réalité utilisé comme base par le «bataillon néonazi Azov». Le tweet a été supprimé par la plateforme.
Plus largement, le régiment Azov est souvent pris comme exemple sur Internet pour illustrer le discours de la propagande russe, rapporte RTBF.
En Occident aussi, la présence d'Azov est souvent pointée du doigt, notamment sur les réseaux sociaux. Beaucoup d'utilisateurs ont par exemple repéré le logo du groupe sur les uniformes de certains soldats au front:
Voilà à quoi l'#OTAN distribue des armes, voyez en bas à droite le joli logo AZOV sur la manche de ce salopard. pic.twitter.com/hrwZlrrlpP
— Viktor Shavarov - Виктор шаваров (@ShavarovG) March 9, 2022
Le régiment Azov est également brandi par les milieux prorusses qui, ne souhaitant pas condamner l'invasion, justifient ainsi l'opération militaire russe.
Tout cela laisse supposer que les accusations de la Russie ne sont pas, au fond, si erronées. La réalité est, comme d'habitude, plus compliquée. Pour comprendre la portée réelle de ces informations, il faut les mettre en perspective.
Tout d'abord, le régiment Azov ne représente qu'une petite portion des troupes ukrainiennes: il compterait entre 3500 et 5000 hommes, contre un total de 250 000 militaires. Autrement dit, il s'agit d'un phénomène très minoritaire au sein du pays, comme l'affirme Franceinfo.
L'échec du parti politique Corps national, créé en 2016 par le fondateur du régiment d'Azov, en est la preuve. Lors des élections de 2019, la formation, associée avec d'autres groupes politiques d'extrême droite, n'a totalisé que 2% des votes.
Parler de l'Ukraine en se basant uniquement sur ce groupe est donc très réducteur. D'autant plus qu'il est utilisé de manière ambiguë par le récit officiel du Kremlin. D'un côté, Moscou ne cesse d'en faire un exemple pour justifier son invasion. De l'autre, son objectif est, en vérité, beaucoup plus large.
Selon Poutine, «tous les Ukrainiens qui résistent à la Russie sont des nationalistes fascistes. Donc, quand il parle de dénazifier l’Ukraine, il parle de renverser le gouvernement et d’éliminer toute la classe politique ukrainienne. Ça n’a absolument rien à voir avec des groupes d’extrême droite comme Azov», explique dans le média canadien 24 Heures Dominique Arel, professeur à Ottawa.
Il est dernièrement intéressant de remarquer que certaines des photos qui ont réapparu ces jours-ci sur les réseaux sociaux datent d'avant le début de la guerre. Cette image montrant des soldats posant avec une croix-gammée remonte par exemple à 2014:
Aujourd'hui, les combattants d'Azov se montrent plus discrets, note Libération. On peut néanmoins en voir plusieurs arborer ostensiblement des soleils noirs nazis sur leurs équipements. Dans certains canaux d’échanges, moins visibles depuis l'extérieur, les références nazies fusent. Ce faisant, ces défenseurs autoproclamés de l'Ukraine font, paradoxalement, le jeu de l'ennemi.