La crise ukrainienne ravive des souvenirs douloureux - preuve en est les nombreuses comparaisons avec d'autres conflits historiques, qui fleurissent partout dans les médias et les discours politiques. Ces parallèles peuvent être utiles... mais, attention dans une certaine limite, avertissent deux spécialistes de l'histoire contemporaine.
La dernière crise diplomatique d'envergure mondiale est revenue à de nombreuses reprises. Par exemple, dans la bouche de la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock, qui a déploré vendredi dernier les «exigences datant de la Guerre froide» de la part de la Russie.
Mais ce parallèle ne tient pas la route, selon l'historien suisse Christophe Vuilleumier.
Un avis partagé par l'historien Laurent Tissot, pour lequel, la comparaison «n’est pas adéquate» - ne serait-ce que parce que les terrains géographiques ne sont pas les mêmes.
En revanche, les deux historiens effectuent plus volontiers un parallèle avec les Accords de Munich, conclus dans la ville allemande en 1938, à la veille de la Seconde guerre mondiale.
«Il y une forme de parallélisme dans les positions des uns et des autres», confirme Christophe Vuilleumier. Aujourd'hui, «l'’Europe est relativement faible face à Poutine, tout comme l’ont été les Français et les Anglais face à Hitler».
Autre parallèle intéressant relevé par le spécialiste: l'Ukraine suscitait également l'appétit du Führer à l'époque. «C'est un lieu stratégique, une région disputée depuis très longtemps».
En 1938, ajoute Laurent Tissot, «la plupart des gens pensaient que les Accords de Munich permettraient de trouver une issue diplomatique à la crise et d'éviter la guerre. Pourtant, d'aucuns ont mis en garde contre les objectifs d'Hitler. Malheureusement, ils ont eu raison». Dans le cas de l'Ukraine, «les espoirs et les craintes sont les mêmes: on espère que la diplomatie va l'emporter sur un conflit militaire».
Nous nous trouvons dans le même climat d'incertitude qu'en 1938: «Poutine va-t-il se contenter de ce qu’il a déjà pris ou va-t-il aller plus loin? Les Etats-Unis et Biden vont-ils se montrer plus agressifs?»
Dans l'histoire récente, on a pu observer des conflits de même nature, signale Christophe Vuilleumier. «Je pense par exemple à la guerre de Géorgie, aux tréfonds de l’Europe, en 1991. Cette guerre civile a été également largement instrumentalisée d’un côté comme de l’autre par les Russes, en jouant le chaud et le froid sur la région pour assurer leur domination.»
L'historien cite également la guerre de Yougoslavie, ainsi que celle de Tchétchénie, à la fin des années 2000. «Dans tous les cas, ces conflits sont des guerres de faction, des guerres civiles, parmi les plus sanguinaires qu’on puisse imaginer.»
«Évidemment, les Etats en jeu ne sont pas les mêmes. Ni les idéologies. Il faut tout replacer dans son contexte», prévient Christophe Vuilleumier.
De son côté, Laurent Tissot avertit sur le risque de coller des étiquettes aux uns et aux autres: «Certes, on se retrouve dans l'esprit des Accords de Munich, avec les Alliés d'un côté et les Nazis de l'autre. Mais...
«Ce qu'on peut retenir de l'Histoire, c'est qu'il y a des moments où tout nous échappe, tout s'emballe. Comme lors de la Première ou de la Seconde guerre mondiale, on perd la maîtrise de certains évènements.»
Si Christophe Vuilleumier se dit assez pessimiste face à la suite des évènements, Laurent Tissot conclut avec un sourire pragmatique: «Il faut espérer que la maîtrise des différents facteurs restent entre les mains des acteurs».