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La Suisse a-t-elle peur de sanctionner cet oligarque russe?

L'oligarque russe Andrej Melnitschenko a cédé son entreprise Eurochem à sa femme Aleksandra.
L'oligarque russe Andrej Melnitschenko a cédé son entreprise Eurochem à sa femme Aleksandra.dr

La Suisse a-t-elle peur de sanctionner cet oligarque russe?

Après le blé ukrainien, voici les engrais russes. Eurochem, l'une des plus grandes entreprises de production d'engrais au monde, ne semble pas être inquiétée par les sanctions de la Confédération. On vous explique pourquoi.
02.06.2022, 06:0202.06.2022, 12:06
Stefan Bühler / ch media
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La manœuvre était audacieuse. Mi-mars et juste avant d'être placé sur les listes de sanctions de l'Union européenne (UE) et de la Suisse, l'oligarque russe Andrej Melnitschenko a cédé son entreprise Eurochem à sa femme Aleksandra. L'entreprise, dont le siège est à Zoug, était ainsi exemptée des sanctions et les affaires pouvaient reprendre leur cours.

Andrej Melnitschenko n'est pas n'importe quel homme d'affaires, il est considéré par le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) comme faisant partie du cercle le plus influent des représentants économiques russes. Il était notamment présent lorsque Poutine a réuni les principaux oligarques au Kremlin le jour de l'invasion de l'Ukraine.

Lorsque le Tages-Anzeiger a rendu la manœuvre publique, l'indignation a été grande. Les présidents de parti n'ont pas tardé à se manifester: Thierry Burkart, président du PLR, s'est montré «très étonné» que le Département de l'économie accepte la manœuvre du patron d'Eurochem.

Le président du PS, Cédric Wermuth, a quant à lui dénoncé «des lacunes énormes dans le système suisse». Le chef du parti centriste Gerhard Pfister a tweeté que le Seco ne voulait manifestement pas empêcher le contournement des sanctions. Andrej Melnitschenko, qui réside officiellement à Saint-Moritz (GR), est devenu le symbole d'une application à demi-mot des sanctions par la Confédération.

Mais il s'avère aujourd'hui que l'affaire est plus compliquée. Le problème ne vient pas de fonctionnaires fédéraux prétendument laxistes - le problème est, une fois de plus, la dépendance de l'Occident vis-à-vis de la Russie. Après le gaz et le pétrole, il s'agit maintenant d'engrais. Et de la crainte d'une crise alimentaire mondiale.

Laxisme des Etats-Unis

C'est le ministre de l'Economie Guy Parmelin en personne qui a attiré l'attention sur ce point. Lors d'un entretien avec la télévision suisse au Forum économique mondial de Davos (WEF), il a fait remarquer que l'UE n'avait pas sanctionné la femme de Melnitschenko, pas plus qu'Eurochem. «Les Etats-Unis n'ont pas sanctionné Monsieur Melnitschenko», souligne le chef du Département de l'économie. Guy Parmelin continue et insiste: «Ils ne l'ont pas sanctionné. Et bien sûr, sa femme et son entreprise non plus». Le message: les Etats-Unis sont encore plus laxistes que la Suisse.

Lors de l'entretien, il a esquissé des raisons pour expliquer le cas de l'entreprise russe: si Eurochem n'est sanctionné ni par l'UE ni par les Etats-Unis, cela devrait être dû à un intérêt supérieur:

«Cette entreprise travaille pour le monde entier»
Guy Parmelin
Image

Guy Parmelin poursuit en racontant sa rencontre avec un ministre péruvien qui s'était plaint que le prix des engrais avait triplé.

L'interview, diffusée dans l'émission Rundschau la veille du long week-end de l'Ascension, n'a guère attiré l'attention. Les recherches montrent aujourd'hui que les allusions du Conseil fédéral reposent sur de réelles inquiétudes. La guerre en Ukraine menace l'un des plus importants greniers à blé du monde, dont les exportations fournissent de nombreux pays.

De plus, d'importantes voies d'approvisionnement sont bloquées. Ce seul élément fait craindre des crises alimentaires dans plusieurs régions du monde. En effet, imaginons que les récoltes futures d'un des plus grands producteurs comme les Etats-Unis soient moins importantes que prévu, notamment à cause de manque d'engrais, la crise d'approvisionnement mondiale risque encore de s'aggraver.

Normes de l'UE et dépendance Russe

L'oligarque Melnitschenko profite manifestement de cette situation critique: avec un chiffre d'affaires annuel de dix milliards de dollars, son Eurochem - ou plutôt l'entreprise de sa femme - compte selon ses propres indications parmi les cinq plus grands producteurs d'engrais azotés, phosphatés et potassiques. L'entreprise est donc, selon les initiés, d'importance systémique. En coulisses, plusieurs pays européens s'engageraient pour éviter qu'Eurochem ne figure sur une liste de sanctions.

Cette dépendance vis-à-vis de la Russie est encore aggravée par les réglementations environnementales de l'UE et de la Suisse: les engrais minéraux phosphatés contiennent également du cadmium, un métal lourd. Or, les valeurs limites pour le cadmium sont plus basses en Europe que dans de nombreuses autres régions du monde.

Elles sont si basses qu'elles ne peuvent être respectées que par les produits en provenance de Russie, qui présentent la plus faible teneur en cadmium. Selon Beat Röösli de l'Union suisse des paysans, un assouplissement temporaire de la valeur limite est donc déjà à l'ordre du jour, afin de permettre l'utilisation d'engrais phosphorés provenant par exemple du Maroc. Ceci dans le but de réduire la dépendance vis-à-vis de la Russie.

Economie d'engrais et faibles récoltes

Dans le commerce des engrais, la guerre accentue un goulet d'étranglement qui commençait déjà à se dessiner l'année dernière. Le prix des engrais azotés, dont la production est très gourmande en énergie, a été multiplié par quatre sur le marché mondial avec la hausse du prix du gaz à l'automne 2021. Selon Beat Röösli, le prix du phosphore a pris son envol plus tôt, suite à la pandémie. Et le prix du chlorure de potassium a explosé avec le déclenchement de la guerre.

Selon l'expert de l'Union suisse des paysans, cela a déjà des conséquences aujourd'hui: les agriculteurs des pays où les surfaces dédiées aux cultures sont nombreuses, mais où les engrais d'origine animale sont, eux, peu nombreux, adoptent une stratégie défensive, explique Beat Röösli.

«En raison des coûts élevés et des prix incertains des céréales, ils ont tendance à utiliser moins d'engrais et à accepter des récoltes plus faibles»
Beat Röösli, Union

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