Les Américains sont très alarmistes, les Russes affirment qu'une issue diplomatique est encore possible. Pourquoi ce décalage?
Daniel Warner: C’est en effet très bizarre! Cette crise est frappante par la manière dont sont utilisés les médias.
Ils ont affirmé que les Russes allaient envahir l’Ukraine pendant les Jeux olympiques et que tout le monde devait se tenir prêt. Alors que, dès le début, les Russes ont affirmé qu’ils n’allaient pas envahir l’Ukraine. Comme vous l’avez dit, les deux dialogues sont complètement différents. Du point de vue russe, on ignore totalement ce qu'envisage Vladimir Poutine. A-t-il envoyé 100 000 soldats pour faire pression? Probablement. Dans l'autre camp, pourquoi Joe Biden et le secrétaire d'Etat Anthony Blinken vont-ils aussi loin, en envoyant des troupes américaines en Europe?
En quoi est-il dans l’intérêt du président Biden, accusé dans son propre pays de faire preuve de faiblesse vis-à-vis des Russes, d’avoir tiré la sonnette d’alarme?
En effet, on dit toujours que les démocrates sont faibles d'un point de vue de la défense. Ils veulent peut-être montrer qu'ils ne vont pas céder sur l'affaire ukrainienne.
On le voit dans cette crise: le ton des Américains est nettement plus dur que celui des Russes. J'ai de la peine à comprendre pourquoi les Américains veulent à tout prix jouer ce rôle. C’est peut-être un moyen d'attirer l'attention sur d'autres sujets que la gestion de la pandémie, par exemple. Peut-être qu’il s’agit d’une stratégie pour les élections qui auront lieu l'année prochaine. Joe Biden veut démontrer sa force vis-à-vis des Russes, voire des Chinois.
Dans cette affaire, qui «bluffe» le plus: Joe Biden ou Vladimir Poutine?
L'image du poker est très adéquate. Dans une bonne négociation, il faut que ce soit du «win-win». Le problème, c'est que dans les trois sports américains les plus populaires (le basketball, le football et le baseball), le match nul n'existe pas.
Or, le plus important, ici, c'est de trouver une solution acceptable pour les deux camps. Les Déclarations de Bucarest de 2008 affirmaient que l'Ukraine et la Géorgie seraient membres de l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan). Comme il s’agissait du 23e point à l'ordre du jour, on voit que ça n'était pas une priorité. L’Otan n’a jamais envisagé que l’Ukraine puisse devenir membre dans un avenir proche. Poutine fait grand cas de l'Ukraine, car il veut être certain que ses frontières restent sûres après la prise de la Crimée.
Si, à la fin, les troupes de l’Otan ne sont pas sur la frontière russe ou que des missiles américains ne se trouvent pas juste à côté du territoire, ce sera déjà une victoire. En tout cas, il faut trouver une solution acceptable pour tout le monde. Affirmer que l'un ou l'autre a gagné, c’est un mauvais débat.
Le retrait d’Ukraine n’est donc pas un aveu de faiblesse de la part de Poutine? Ni une victoire pour Biden?
Je n'aime pas cette conception. Au lieu de considérer cette crise comme militaire, il est impératif de discuter diplomatiquement. Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, est un grand diplomate, de même que son homologue américain Anthony Blinken. Et ils sont en train de trouver une issue à cette crise. Il y a une certaine progression dans les négociations. Le fait que les troupes russes se retirent de la Mer noire, c'est un bon indicateur. Il ne faut pas surtout dire que Poutine commence à perdre, comme on peut déjà le lire dans les médias. Poutine a beaucoup d’ego.