
L’ONU a attendu le creux de l’été pour se la jouer lanceuse d’alerte. Et sur un sujet qui fait peur à tout le monde: le feu nucléaire.
Réagissant à une mise en garde du secrétaire général de l'ONU contre le déclenchement du feu nucléaire, le spécialiste militaire suisse Alexandre Vautravers pointe du doigt le «chantage» russe et rappelle sur quoi s'est bâti l'«équilibre de la terreur».
03.08.2022, 06:0304.08.2022, 18:08
On avait un peu oublié l’ONU. L’Organisation des Nations unies a attendu le creux de l’été pour se la jouer lanceuse d’alerte. Et sur un sujet qui fait peur à tout le monde: le feu nucléaire. Son secrétaire général, le Portugais Antonio Guterres, a trouvé les mots qui font mouche. Dans un discours prononcé lundi à l’ouverture d’une conférence des 191 pays signataires du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui se tient jusqu’au 26 août à New York, il a dit ceci:
«Aujourd'hui, l'humanité est à un malentendu, une erreur de calcul de l'anéantissement nucléaire»
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU
Le secrétaire général a mis en garde contre la «poursuite» de la dissémination de l’arme nucléaire dans le monde, mais il en a profité aussi pour pointer du doigt «l'agression non provoquée et illégale de la Russie contre l'Ukraine», appelant Moscou à respecter ses engagements internationaux et à «cesser sa rhétorique nucléaire et son comportement irresponsable et dangereux».
Ignazio Cassis tire aussi l'alarme
Se souvenir d'Hiroschima et Nagasaki
A quelques jours de l’anniversaire de l’explosion de la première bombe atomique larguée par les Etats-Unis sur le Japon le 6 août 1945 à Hiroshima (la deuxième, le 9 à Nagasaki), Antonio Guterres tenait visiblement à faire passer un message aux oublieux:
«Nous avons été extraordinairement chanceux jusqu'à présent. Mais la chance n'est pas une stratégie, ni un bouclier pour empêcher les tensions géopolitiques de dégénérer en conflit nucléaire.»
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU
Le président de la conférence, l’Argentin Gustavo Zlauvinen, n’était pas en reste: «La menace posée par les armes nucléaires (...) est revenue au même niveau que pendant la Guerre froide.»
Ajoutant:
«Si nous avons appris quelque chose de la pandémie, c'est que les événements à faible probabilité peuvent se produire, avec un préavis réduit ou sans préavis, avec des conséquences catastrophiques pour le monde. C'est la même chose pour les armes nucléaires.»
Gustavo Zlauvinen, président de la conférence des pays signataires du TNP
L’humanité serait en train d’oublier les «leçons terrifiantes» menant à l’embrassement nucléaire. Mais de quoi parle-t-on quand on évoque ce qu’il faut bien appeler un risque d’apocalypse? «Près de 13 000 armes nucléaires sont stockées dans les arsenaux à travers le monde», a rappelé le secrétaire général de l’ONU.
Deux faces d'une même pièce
Le nucléaire est comme une pièce à deux faces: l’une proscrit l’usage de l’arme nucléaire tel un interdit divin – et c’est le sens de cet interdit que nous aurions tendance à oublier, selon le secrétaire général des Nations unies. L’autre règle, si l’on peut dire, les conditions de son utilisation.
- «Il y a d’une part l’équilibre de la terreur, autrement dit la dissuasion, au cœur même du concept de guerre froide, cette période de l’après-Seconde Guerre mondiale faite de deux blocs antagonistes, l’Ouest démocrate emmené par les Etats-Unis et l’Est communiste sous la coupe de l’ex-URSS, rappelle Alexandre Vautravers, spécialiste des questions de sécurité et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse, joint par watson. La crainte d’être anéanti par le feu nucléaire de l’adversaire au moment même où on l’utiliserait contre lui dissuadait d’y avoir recours.»
- Sauf que la dissuasion, c’est aussi l’arme du fort vis-à-vis du moins fort. Un pays détenteur de l’arme nucléaire (officiellement les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France et la Grande-Bretagne, officieusement, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël) peut user de la menace du recours à l’arme nucléaire contre un Etat qui l’attaquerait frontalement, quand bien même celui-ci ne disposerait pas de cette arme.
D'où la question:
A partir de quand un Etat détenteur d’ogives nucléaires peut-il s’estimer en droit d’en faire usage?
«La doctrine, là-dessus, est assez claire. Quand cet Etat est lui-même attaqué par l’arme nucléaire, mais aussi lorsqu’un ennemi cherche à détruire ses vecteurs nucléaires, autrement dit ses missiles porteurs d’ogives, ou lorsqu’il tente de détruire son système d’alerte, de saboter sa sonnette d’alarme, si l’on veut bien, par des moyens cyber ou autres, tel l’espionnage.»
Alexandre Vautravers, spécialiste des questions de sécurité et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse
«Une forme de chantage»
Dans son rapport à l’Ukraine, ex-république soviétique qui a transféré son arsenal nucléaire à la Russie dans les années 90, conformément à un accord passé à l’époque entre les parties avec le concours des Etats-Unis, la Fédération de Russie exerce une «forme de chantage», relève Alexandre Vautravers.
«Faire planer, comme un certain pays s'y emploie, la menace nucléaire, alors même qu’il est l’agresseur dans l’affaire, peut déjà s’apparenter à un crime contre l’humanité»
Alexandre Vautravers, spécialiste des questions de sécurité et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse
«Déployer une partie de ses armes, comme le fait la Russie, dans des centrales nucléaires, sachant que les Ukrainiens ne viseront pas ces centrales par crainte des conséquences en termes de radioactivité, participe de ce chantage, ajoute Alexandre Vautravers. Précisons que dans la centrale de Tchernobyl occupée par les forces russes, l’équipe technique en charge du site touché par la catastrophe de 1986, est ukrainienne.»
En attendant l'explosion «accidentelle»
Le danger exposé par le secrétaire général de l’ONU en ouverture d’une conférence des pays signataires du TNP (ne l’ont pas signé: Israël, l’Inde, le Pakistan et le Soudan du Sud, la Corée du Nord s’en est retiré) est celui de la dédramatisation de l’emploi de l’arme nucléaire, de sa banalisation. Il suffirait de l'explosion «accidentelle» d’une bombe nucléaire pour entraîner une réaction en chaîne…
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Video: watson
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