Des soldats en uniforme qui courent et tirent autour de la plus grande centrale nucléaire d'Europe, des combats autour du réacteur nucléaire, l'enlèvement ou le meurtre d'employés... Le scénario d'un film hollywoodien? Pas vraiment. Dans la ville ukrainienne d'Enerhodar, c'est la triste réalité depuis plusieurs mois.
Début mars, quelques jours après le début de l'offensive russe en Ukraine, la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia faisait les gros titres, après que l'armée russe a tiré des obus sur les bâtiments du complexe. Le monde craignait de voir un deuxième drame de Tchernobyl.
Depuis, la zone est définitivement passée sous contrôle russe. Environ 500 soldats de l'armée de Poutine sont déployés autour dans la zone et ont transformé une partie du complexe en base militaire. Une position stratégique qu'ils comptent bien tenir.
Car la centrale continue de fonctionner et, pour ce faire, doit laisser venir travailler ses employés qualifiés ukrainiens — sous le regard des soldats russes et de leurs fusils.
Nous avons retrouvé la trace d'une jeune ukrainienne, étudiante à l'université de Kiev et retournée au début de la guerre à Enerhodar auprès de ses parents, qui travaillent comme ingénieurs nucléaires à la centrale nucléaire de Zaporijia. Pour des raisons de sécurité, son nom ne peut pas être révélé. Voici son histoire:
... le 3 mars, dans l'après-midi. Je me souviens encore des mots du maire de la ville:
J'étais à la maison, mais mon père travaillait à la centrale. Mes mains sont devenues moites, je l'appelais toutes les dix minutes. Il était à son poste ce jour-là et des combats avaient lieu autour du complexe nucléaire.
Vers 16h30, j'ai appris via un groupe Telegram que les troupes russes avaient tiré sur la centrale. J'ai fondu en larmes, je ne pouvais pas comprendre.
Je me demandais ce que ces imbéciles avaient en tête pour tirer sur la plus grande centrale nucléaire d'Europe. Mais ils ont continué, bombardant le complexe et pillant les bâtiments.
Mon père avait arrêté de m'appeler pour ne pas être entendu. Il s'était couché par terre pour éviter d'être touché par un tir et écrivait des messages de temps à autre. Tard ce soir-là, il était toujours coincé dans la centrale alors que les combats continuaient.
J'ai essayé de toutes mes forces de me ressaisir et de rassurer ma mère, mais je ne pouvais plus retenir mes émotions.
À 8h le lendemain matin, les soldats russes ont laissé les employés quitter la centrale et revenir à la maison. Dieu soit loué, papa était en vie et n'était pas blessé. Mais il gardera à jamais le souvenir de ces longues heures d'horreur.
Nous ne pouvions pas quitter la ville. Pour ma famille, il n'était pas question de quitter leur patrie et d'utiliser les quelques moyens que nous avions à disposition pour survivre dans des conditions difficiles.
Pour éviter des fuites d'informations, les Russes ont interdit la présence des téléphones à cause de leurs caméras et parce qu'ils pouvaient se connecter à Internet.
Ce que je sais, c'est qu'environ 500 envahisseurs se trouvent sur la zone de la centrale et qu'ils y ont amené d'importants stocks d'armes et d'équipement.
Les prix dans les commerces ont explosé. Une bouteille de shampoing coûte désormais environ 300 hryvnia (réd: environ 8 francs), le savon 350 hryvnia. Les supermarchés sont fermés, l'argent liquide ne peut être retiré qu'en toutes petites quantités, car les automates n'ont pas été remplis depuis le 25 février. Dans ces conditions, la vie n'est pas facile.
Les envahisseurs se comportent de manière agressive, particulièrement envers les familles des soldats ukrainiens.
Ils mettent la population sous pression et la terrorisent. Dans la ville, certaines personnes préfèrent collaborer avec l'ennemi, mais on les compte sur les doigts d'une main.
Ma plus grande peur, c'est qu'un jour, mes parents ne reviennent pas de la centrale en vie. Personne ne sait ce qui peut se passer si les forces armées ukrainiennes reviennent dans la zone pour repousser les Russes.
Chaque jour, je prie pour que la guerre se termine aussi vite que possible et pour que le drapeau ukrainien puisse à nouveau flotter librement sur Enerhodar. Nous attendons le retour de l'armée ukrainienne...
Traduction et adaptation par Alexandre Cudré