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Ukraine: Poutine pourrait être condamné par la police française

Pourquoi Poutine pourrait être condamné grâce à des gendarmes français

Le président russe et ses acolytes feront peut-être un jour face à un tribunal international pour crimes de guerre en Ukraine. Les analyses, à Boutcha, d'experts français fourniront alors les bases de l'accusation.
30.04.2023, 16:3105.05.2023, 14:09
Stefan Brändle, Pontoise / ch media
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Il y a un an, les images du massacre de Boutcha faisaient le tour du monde: un homme gît dans la rue sous son vélo, duquel il a visiblement été abattu. Un autre, tué en revenant de ses courses, est allongé sur son cabas, un troisième corps a les mains liées dans le dos.

Ce sont des images terribles, mais François Heulard ne laisse rien paraître. «Nous, les militaires, devons savoir gérer les situations compliquées», explique ce colonel de la gendarmerie française, directeur de l'Institut de recherche criminelle (IRCGN). Celui-ci fait partie de l'armée française et est spécialisé dans les missions «compliquées».

François Heulard, colonel de la gendarmerie française, directeur de l'Institut de recherche criminelle.
François Heulard.Image: Stefan Brändle

L'IRC a une réputation qui dépasse de loin les frontières françaises: il est notamment intervenu lors du tsunami de 2004 en Thaïlande, dans des crashs d'avion en Afrique ou encore lors de l'attentat terroriste de Nice. Lorsque le président ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé l'utilisation du laboratoire d'ADN mobile du IRCGN dans la banlieue de Kiev, Emmanuel Macron a immédiatement accepté.

Il y a tout juste un an, le colonel de gendarmerie s'est rendu à Boutcha avec 20 scientifiques et un convoi d'une douzaine de véhicules afin de rassembler des preuves du massacre de la population civile. En cinq semaines, ils ont examiné 200 corps et ont prélevé des empreintes digitales, des échantillons d'os et de cheveux.

French forensics investigators, who arrived to Ukraine for the investigation of war crimes amid Russia's invasion, stand next to a mass grave in the Bucha, Kyiv area, Ukraine, April 12, 2022 (Pho ...
Les experts français, à Boutcha.Image: NurPhoto

Rassembler les faits, un travail compliqué

La mission consistait en premier lieu à identifier les personnes décédées, puis à déterminer les causes de leur mort. «Celles-ci étaient évidemment faciles à trouver lorsqu'il y avait un impact de balle», explique François Heulard au siège de l'IRC à Pontoise, au nord-ouest de Paris.

«Dans ce cas, c'était le calibre des armes à feu, l'axe de l'impact ou l'existence de traces de poudre qui nous intéressaient»
François Heulard, colonel de la gendarmerie française
Les gendarmes français à Boutcha.
Sur le terrain.Image: DR-PJGN

Ces données permettent de déterminer la distance de tir ou de détecter l'utilisation de bombes à fragmentation, proscrites par le droit international. Le Français précise:

«Mais dans notre expertise, nous ne décrivons que les traces laissées par les armes; l'interprétation de celles-ci incombe aux enquêteurs judiciaires. Nous sommes des scientifiques, nous ne faisons qu'assurer des faits objectifs.»

Un trou de 30 millimètres dans le mur, l'angle de tir et une tasse cassée permettent, par exemple, de supposer qu'un jeune homme à Boutcha était en train de faire la vaisselle lorsqu'un obus de char russe a transpercé le mur et son torse. Mais François Heulard souligne que son rapport ne mentionne que des faits. L'identité et la nationalité des auteurs des meurtres ne sont pas évoquées. «Nous ne faisons qu'enregistrer les données et écrivons ensuite un rapport pour le procureur de Kiev. Celui-ci le transmettra au Tribunal pénal international de La Haye.»

Enlèvement des corps à Bucha pour examen par les experts de l'IRCGN.
Enlèvement des corps à Bucha pour examen par les experts de l'IRCGN.Image: Keystone

Ou au tribunal spécial pour l'Ukraine réclamé par Zelensky? «Ceci est une question politique, nous n'avons donc pas à nous en occuper», répond le directeur de l'IRC. Il ne se prononce pas non plus sur la question de savoir si le président russe Vladimir Poutine doit être jugé par un tribunal international:

«Ce n'est pas notre travail. Ce sont les juges qui doivent s'occuper des tueurs, pas nous»

Les gendarmes de l'IRCGN avaient déjà assez à faire en examinant les centaines de morts de la morgue municipale et des fosses communes. Une tâche compliquée:

«Les corps déterrés étaient en très, très mauvais état. Certains portaient, en outre, des traces de torture ou de viol»

Une charge mentale énorme

Ce fut également difficile au niveau mental. Et pourtant, les examinateurs de l'IRC sont habitués à devoir travailler sur des scènes terribles – lors du crash de l'avion de Germanwings en 2015 dans les Alpes françaises, ils avaient dû assembler des morceaux de corps pendant des semaines.

BUCHA, KYIV PROVINCE, UKRAINE, APRIL 03: A family grieve for a missing relative in front of a mass grave in the town of Bucha, on the outskirts of Kyiv, after the Ukrainian army secured the area follo ...
A Boutcha, les familles cherchaient des réponses.Image: Anadolu

«A Boutcha, la charge mentale était aussi très élevée à cause de la guerre», se souvient le chef de l'IRC. Comme de nombreuses familles voulaient identifier les corps en décomposition, les Français ont également prélevé des échantillons d'ADN des personnes en quête de réponse pour pouvoir les comparer à l'ADN des victimes. Cela a encore renforcé l'aspect humain des analyses, autrement très froides. Le colonel, pourtant peu émotif, relate:

«Quand on reçoit un paquet de bonbons de la part de familles parce qu'elles avaient identifié un défunt qu'elles pouvaient enfin enterrer, ça nous touche»

Toujours actifs en Ukraine

Amaury Pussiau, responsable du laboratoire mobile IRC, de retour de Boucha.
Amaury Pussiau, responsable du laboratoire mobile IRC, de retour de Boucha.Image: Stefan Brändle

Dans le bâtiment de recherche de Pontoise, il montre le laboratoire mobile qui a été utilisé à Boutcha. Celui-ci permet de réaliser jusqu'à 45 tests ADN par jour. Un deuxième laboratoire est hébergé dans une camionnette et est actuellement en service à Izioum. Dans cette ville de l'est de l'Ukraine, aujourd'hui libérée, les forces russes avaient également massacré des civiles, tuant même des familles qui fuyaient, dont onze enfants.

Face à toutes ces horreurs, François Heulard se dit d'autant plus impressionné par la population ukrainienne:

«Au début de notre séjour à Boutcha, nous travaillions dans des conditions de guerre, ne sachant pas si nous allions nous-mêmes être attaqués. Lorsque notre mission s'est terminée cinq semaines plus tard, la reconstruction de la ville était déjà bien avancée; les employés municipaux nettoyaient les rues et plantaient même des fleurs.»

Actuellement, le laboratoire mobile de l'IRCGN prévoit une troisième mission en Ukraine, encore confidentielle. Les gendarmes se tiennent, en outre, prêts à intervenir si les Ukrainiens devaient reconquérir d'autres villes lors d'une offensive de printemps. «Qui sait», réfléchit le colonel Heulard, «ce qui sera encore révélé là-bas». (aargauerzeitung.ch)

Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci

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