Les pilotes américains ne sont pas de complets étrangers pour leurs homologues ukrainiens: les deux ont plusieurs fois déjà croisé le fer lors d'exercices communs, ce qui a permis aux premiers de se faire une bonne idée de la grande qualité des seconds.
Pas surprenant donc qu'un petit groupe de membres de l'US Air Force ait voulu apporter son aide et son appui à leurs camarades, dès le début de la guerre, afin d'aider une armée de l'air ukrainienne très largement dépassée en nombre à faire front face à l'envahisseur russe, qui peine à imposer sa supériorité aérienne.
L'unité en question, à laquelle l'excellent Nolan Peterson consacre un article dans Coffee or Die, s'est elle-même nommée la «Grey Wolf Team», en hommage à Oleksandr «Grey Wolf» Oksanchenko, pilote légendaire volant sous les couleurs jaune et bleu, tombé au combat dès les premiers jours de la guerre.
«Nous existons parce qu'il y a un groupe de personnes motivées qui veulent aider», explique à Peterson l'un des membres de la Grey Wolf Team ayant réclamé à conserver l'anonymat:
Basée à Rammstein en Allemagne, la Grey Wolf Team est composée de pilotes, de managers de vol et tacticiens ou encore de techniciens. Tous sont décidés à appuyer à distance leurs homologues ukrainiens, en analysant leurs capacités et besoins matériels, en leur transmettant leurs connaissances tactiques et techniques.
Ayant un accès à du renseignement classé secret-défense, ils cherchent notamment pour leurs camarades des solutions «low tech et disruptives», capables d'aider Kiev à renverser le cours des choses face à Moscou, ou du moins à ne pas se faire totalement renverser. Le pilote interrogé par Coffee or Die précise:
Très libre de ses réflexions, travaillant dans une mentalité de start-up nécessitant agilité et adaptabilité, la Grey Wolf Team fait également la charnière entre ce qu'elle comprend des besoins ukrainiens et les bureaux du Pentagone ou législateurs américains qui peuvent chercher des solutions concrètes.
«C'est le boulot le plus bizarre que j'aie eu en tant que militaire», confie le pilote américain anonyme, qui a volé sur F-15 et F-16. C'est une sorte de "Choisis ta propre aventure" C'est aussi une montagne russe d'émotions car, d'un côté, nous sommes libres de faire tout ce que nous voulons, mais de l'autre nous sommes assaillis de sentiments comme "Et si j'avais loupé quelque chose?"»
Un pilote ukrainien parfaitement anglophone, qui a connu le feu du combat depuis le 24 février, a été détaché sur la base de Rammstein, où il est chargé de faire la liaison avec la Grey Wolf Team et de faciliter les échanges entre deux forces aux matériels et philosophies différentes.
«Nous devons faire vraiment très attention en leur disant comment faire les choses. Parce que je ne sais pas comment leurs systèmes fonctionnent, comment leur armée fonctionne, et je ne veux pas leur raconter n'importe quoi», explique le pilote américain à propos de ce «gentleman» chargé de fluidifier la communication.
La différence de doctrine trouve sa source dans la technique. Abreuvés d'informations dans leurs cockpits, les pilotes américains sont considérés comme les ultimes décisionnaires de leurs actions, quand leurs homologues ukrainiens, sans être autant soumis à leur hiérarchie que les pilotes russes, dépendent beaucoup plus de ce que le commandement au sol leur transmet.
Drew Armey, un pilote américain basé en Californie ayant volé par le passé avec des camarades ukrainiens expose:
«Notre management de la bataille aérienne, nos AWACs me fournissent des informations me permettant de prendre ma décision. Généralement, ils ne me disent pas quoi faire. C'est plus compliqué dans un cockpit ukrainien, leur avionique est limitante, il y a une raison physique qui explique pourquoi ils doivent faire les choses un peu différemment de nous.»
Proches de leurs camarades ukrainiens, Armey et certains de ses collègues se sont très vite mis en branle pour les aider, comme ils le pouvaient, notamment en leur envoyant certains matériels basiques, puis en montant cette Grey Wolf Team.
Il y a parfois quelques frictions, quelques fiertés froissées, mais les échanges sont nombreux et utiles, observe Nolan Peterson dans Coffee of Die. Drew Armey comment pour sa part:
«Quelle que soit l'information qu'on leur transmet – et nous ne pouvons pas toujours transmettre grand-chose – ils en font un usage immédiatement très utile en combat.» Il ne tarit pas d'éloges sur les pilotes de Su-24, leurs vols à raser les pâquerettes destinés à échapper aux défenses russes, et leur efficacité pour soutenir l'action des troupes au sol.
How low can you fly a plane?
— marqs (@MarQs__) May 8, 2022
Ukrainian Su-24: Yes.pic.twitter.com/OBbAUOnZE6
Prenant pour exemple Marioupol, que les Russes ont été libres de tapisser de bombes et d'obus 24 heures sur 24 grâce à une supériorité aérienne acquise dans la zone, Drew Armey explique que se défaire des défenses antiaériennes ennemies est la condition sine qua non pour que les aéronefs ukrainiens puissent avoir un quelconque impact sur la campagne en cours dans le Donbass.
«Si l'Ukraine perd cette capacité à contester l'espace aérien, la campagne au sol se passera mal», analyse l'Américain:
Comme au sol, où les armes à longue portée comme les lance-roquettes M270 promis par l'Occident peuvent faire une différence vitale dans une bataille du Donbass où la Russie semble prendre l'avantage, des armes aériennes à plus longue portée pourraient aider les forces aériennes ukrainiennes à frapper plus fort, plus loin.
La Grey Wolf Team cherche donc, en ce moment même, des solutions pratiques à cette question, sachant que l'incompatibilité des systèmes occidentaux et ex-soviétiques ne rend pas la tâche facile. De leurs propositions découleront peut-être beaucoup de choses.
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original