3400, c'est le nombre de civils victimes de la guerre en Ukraine jusqu'à ce jour. Mardi dernier, la mission d’observation des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU) a communiqué ce chiffre. Elle précise toutefois qu'en réalité, des milliers d'autres personnes auraient perdu la vie.
Jeudi, la Haute-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, s'est adressée au Conseil. Elle a évoqué des centaines d'exécutions dans la région de Kiev. Et 360 personnes, dont 74 enfants et 5 personnes handicapées, auraient été forcées par les Russes à rester 28 jours dans le sous-sol bondé d'une école de la commune de Yahidne.
L’ampleur des destructions à Marioupol est également choquante: «Le nombre de civils tués devrait se chiffrer en milliers, ce n'est qu'avec le temps qu'apparaîtra la véritable ampleur des atrocités, des victimes et des destructions».
La Haute-Commissaire s'est notamment appuyée sur les informations fournies par une mission d'observation du Conseil des droits de l'homme. Ses membres se sont rendus la semaine dernière dans les régions des villes de Kiev et de Tchernihiv, sous contrôle russe jusqu’à fin mars.
Bien sûr, des crimes de guerre ont aussi été commis par les troupes ukrainiennes, comme l’ont montré des publications de soldats russes tués et de prisonniers de guerre. Mais l'écrasante majorité des crimes a été menée par les soldats russes.
Punir les criminels de guerre est une tâche herculéenne. Il faut recenser tous les crimes présumés, élucider le contexte des actes, reconstituer les chaînes de commandement, identifier les auteurs et entamer les poursuites pénales.
Au niveau de la Confédération, ce sont la Direction du droit international public, ainsi que l’ambassadeur Simon Geissbühler et sa division Paix et droits de l'homme au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), qui sont responsables de poursuivre les criminels de guerre.
La division de Simon Geissbühler finance ainsi un projet de formation d'experts en médecine légale au Mexique. Elle participe à des projets visant à élucider des crimes de guerre en Syrie et soutient d'autres projets multilatéraux visant à promouvoir les droits de l'homme et à élucider des crimes de guerre.
Concernant le conflit ukrainien, la Suisse et 40 autres Etats ont chargé la Cour pénale internationale (CPI) d'enquêter. Pour renforcer son action, la Confédération envoie deux experts supplémentaires dans l'équipe du procureur en chef de la CPI. Un spécialiste suisse y travaille déjà pour élucider les transactions qui servent à financer les crimes de guerre et les violations des droits de l'homme.
Le département de Geissbühler soutient également des organisations ukrainiennes locales, qui documentent sur place les violations du droit international humanitaire et des droits de l'homme. Les diplomates suisses sont eux aussi actifs dans d'autres organisations internationales, dans le cadre de l'ONU ou de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Et depuis le début de la guerre, le Département des affaires étrangères a déjà convoqué à plusieurs reprises l'ambassadeur russe à Berne pour exiger le respect du droit international et des droits de l'homme.
Plusieurs parlementaires s'engagent également dans le contexte de la guerre en Ukraine en tant que membres du Conseil de l'Europe.
Le libéral-radical Damien Cottier a récemment été nommé président de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Il a été chargé de mener une «Fact finding mission», c’est-à-dire de collecter des informations sur les violations des droits de l'homme et les crimes de guerre. L'objectif serait de formuler des recommandations et des options d'action à l'attention du Conseil de l'Europe.
Le conseiller national PS Pierre-Alain Fridez s'est également rendu la semaine dernière en Ukraine, en Slovaquie et en Roumanie pour évaluer les besoins des personnes déplacées par la guerre. A son retour, il a fait état dans les médias romands d'hôpitaux bondés et d'une «situation d'urgence absolue».
Alfred Heer, rapporteur du Conseil de l'Europe sur l'Ukraine et conseiller national UDC zurichois, est quant à lui considéré comme l'un des meilleurs connaisseurs du pays. Il doit lui aussi se rendre en Ukraine. Pour cela, il lui faut toutefois un mandat clair et une mission, comme il l'a déclaré au Sonntagsblick fin avril.
A l'intérieur du pays, les forces de l'ordre se concentrent sur la collecte d'informations. Ainsi, la police fédérale (Fedpol) a développé, en collaboration avec le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM), un système permettant aux personnes déplacées par la guerre de soumettre d'éventuelles preuves telles que des vidéos, des enregistrements sonores ou des documents écrits. A ce jour, aucun rapport n’a été reçu.
De son côté, le Ministère public de la Confédération a mis en place une task force sous la direction du procureur général Stefan Blättler. Son objectif? Répondre de manière ciblée à de futures demandes d'entraide judiciaire, comme par exemple de la part de la Cour pénale internationale.
Cela représente une tâche de longue haleine, étant donné que les crimes de guerre ne se prescrivent pas.
Le professeur de droit international public genevois Marco Sassòli a rédigé un rapport sur les éventuels crimes commis durant les premières semaines de la guerre, du 24 février au 5 avril. Il l'a fait sur mandat de l'OSCE, en collaboration avec une experte tchèque et un expert autrichien.
Des signes clairs de violations du droit international humanitaire par les forces armées russes ont été constatés, mais les experts soulignent également les violations commises par les troupes ukrainiennes. Les violations commises par la Russie sont toutefois «beaucoup plus graves et importantes».
Marco Sassòli indique que le rapport ne fait que rassembler des faits et des indices de violations du droit international humanitaire et des droits de l'homme. Le fait que la Russie ait attaqué l'Ukraine ne doit pas être mélangé, «il n'y a aucune justification pour cela».
Il est toutefois faux de conclure que tout soldat russe qui tue un Ukrainien est un criminel de guerre. Les attaques contre des objectifs militaires, comme une maison défendue par des soldats ukrainiens, sont légitimes selon les lois de la guerre.
Par conséquent, les circonstances exactes d'une attaque ainsi que les responsables devraient être déterminés dans chaque cas individuel, afin qu'un jugement définitif pour crime de guerre puisse être prononcé. L'affaire Boutcha montre à quel point cela est difficile: «Malgré des indices apparemment clairs, aucun résultat d'examen médico-légal des victimes n'a été publié à ce jour», précise Marco Sassòli.
Les institutions étatiques de droit international et les organisations non gouvernementales collectent des preuves. Peut-être presque trop. Le professeur Marco Sassòli et l'ambassadeur Simon Geissbühler saluent cet engagement important. Mais ils mettent en garde contre un éventuel manque de coordination entre les organisations.
La solution? Elle est proposée par la Commission internationale de juristes. Les membres demandent la création d'une organisation qui rassemblerait toutes les indications et preuves recueillies sur les crimes de guerre et les violations des droits de l'homme, afin de les mettre à la disposition des autorités de poursuite pénale internationales et nationales.
Elle serait compétente dans le contexte de la guerre en Ukraine, mais aussi pour tous les autres conflits. L'Impartial and independent mechanism for Syria (IIIM), dont les efforts ont contribué à la condamnation de criminels de guerre syriens en Allemagne, servirait de modèle. Certains Etats semblent déjà intéressés par la mise en œuvre de cette proposition. (bzbasel.ch)