L'actualité géopolitique a brutalement fait ressortir au grand jour des craintes que l'on avait pu croire d'une autre époque. Le contexte ukrainien nous rappelle ainsi que le risque d'une irradiation accidentelle n'est finalement pas négligeable.
Quelle que soit la source de l'irradiation, la survenue et la gravité des effets dits «radioinduits» obéissent à un grand principe: plus l'énergie absorbée par nos cellules est grande, plus l'effet biologique est important et donc plus les conséquences cliniques sont précoces et sévères.
Ceci est vrai pour une irradiation externe (la source de rayonnement étant à l'extérieur du corps) comme pour une irradiation interne (à l'intérieur du corps après ingestion ou inhalation de matières radioactives). La quantité d'énergie reçue s'appelle la «dose absorbée» et connaître la relation entre cette dernière et son effet biologique et clinique est la tâche majeure des radiobiologistes. Ce principe a deux corollaires.
Dans le cas d'une irradiation accidentelle, l'exposition aux rayonnements du corps humain est rarement homogène et n'est jamais mesurée en direct. Sa reconstitution à posteriori est donc souvent complexe et demande des approches combinées. Elle requiert à la fois des simulations qui tiennent compte du parcours des radiations et des matériaux qu'elles traversent, mais aussi de mesures sur échantillons biologiques.
La dose absorbée dans notre corps est exprimée en Grays (Gy), ou Joule par kg de tissu (J/kg). Voici quelques ordres de grandeur pour notre espèce:
Les choses ne sont, toutefois, pas si simples, car il n'existe pas une unique sorte d'irradiation. Selon la situation et la matière radioactive considérée, sont en fait émis différents types de radiation: rayon X, rayon alpha (émission d’un noyau d’Hélium), rayon bêta (émission d’un électron), émission de protons ou de neutrons, etc... Et ces rayonnements ne produisent pas forcément les mêmes effets biologiques pour une même dose absorbée.
Il a fallu introduire un facteur pour prendre en compte la nature des radiations. Cela conduit à la «dose équivalente», qui est la dose absorbée en Gy multipliée par le facteur de pondération (Wr) des radiations. L'unité est le Sievert (Sv) et est définie par convention en considérant comme référence les effets causés par les rayons X dont le Wr est de 1.
Par exemple, une dose de 1 Gy de rayons X correspond à 1 Sv alors que 1 Gy de particules alpha correspond à 20 Sv (le Wr des alpha est fixé à 20).
Comme les effets biologiques ne sont pas non plus les mêmes selon la nature des tissus, il a fallu introduire un second facteur de pondération (Wt) pour prendre en compte de façon spécifique leur sensibilité relative (la somme de tous les Wt est égale à un). Ainsi, pour chaque organe ou tissu, la dose équivalente est multipliée par le Wt adéquat. Par exemple, une dose de 1 Gy de rayon X au corps entier correspond à 1 Sv alors que si l'irradiation ne cible que les seins, la contribution est de 0.12 Sv (le Wt des seins est fixé à 0.12). L'ensemble des contributions de tous les organes exposés sont additionnées.
On obtient une nouvelle valeur, appelée «dose efficace», qui permet de combiner des irradiations différentes et, ainsi, de prendre en compte des irradiations complexes. C'est cette «dose efficace» qui a été utilisée par la Commission internationale de protection radiologique pour calculer le risque des expositions aux rayonnements lors d'observations épidémiologiques et notamment celles des survivants de Hiroshima et Nagasaki.
Connaître la dose de radioactivité reçue ne suffit toujours pas. La dose efficace ne renseigne que sur un risque global, mais ne permet pas de conclure sur la nature des conséquences de l'irradiation pour un individu donné. Pour les évaluer, il faut décrypter les différents effets radioinduits.
L'énergie absorbée par notre corps après une irradiation est d'abord ingérée par l'eau, principal constituant de nos cellules, à travers des réactions chimiques dites de «radiolyse». Il en résulte un stress oxydatif, l'eau oxygénée produite quelques millisecondes après irradiation pouvant casser l'ADN dans le noyau cellulaire.
Le devenir des cassures de l'ADN (qu'elles soient réparées, non réparées, mal réparées ou tolérées) conditionne alors la réponse au niveau cellulaire, puis tissulaire puis clinique, à travers une succession de réactions qui peuvent s'étendre de la première minute à plusieurs années après l'irradiation.
Il existe trois conséquences cliniques majeures d'une irradiation:
La gravité et la survenue de ces trois types de réactions radioinduites dépendent fortement de la dose de radiation absorbée. Plus la dose est élevée plus la probabilité de mort cellulaire est élevée. Cela est mis en oeuvre de façon contrôlée lors d'une radiothérapie.
Les cancers radioinduits sont plutôt rencontrés après des doses faibles et répétées de radiation. Le vieillissement d'un tissu, d'expression tardive, est lié à sa transformation progressive, par exemple, le cristallin (cataracte) ou le coeur et les vaisseaux. Cependant, après une irradiation accidentelle, on considère raisonnablement que les réactions de radiosensibilité et les cancers radioinduits constituent les effets cliniques radioinduits les plus graves.
En plus de cette dépendance vis-à-vis de la dose, il existe des individus plus radiosensibles et/ou radiosusceptibles que d'autres. Ils peuvent souffrir des mêmes effets mais plus précocement et pour des doses de radiation plus faibles.
Par exemple, les individus porteurs de mutations dans les gènes dédiés à la réparation de l'ADN montrent une morbidité/mortalité plus grande en cas d'exposition aux radiations. Les porteurs de mutations dans les gènes de prédisposition au cancer ont, eux, plus de risque de développer des cancers radioinduits.
Avec la connaissance de la dose, l'une des priorités après l'irradiation de plusieurs individus est donc l'identification des sujets potentiellement radiosensibles et radiosusceptibles. Contrairement à une idée fausse très répandue, le risque radioinduit ne dépend pas systématiquement de l'âge ou du sexe même si ces facteurs sont importants. On peut définir trois grands groupes d'individus:
Notons d'ailleurs que, si on omet le risque de cancers du sein, très spécifique aux femmes, hommes et femmes présentent environ le même risque de cancer spontané et radioinduit.
Enfin, insistons sur le fait que les enfants, hors maladies génétiques définies plus haut et cancers de la thyroïde, n'ont pas forcément plus de risque de cancer que les adultes. Cependant, avec le recul, on observe que les personnes irradiées en bas âge ont un risque plus élevé de développer un cancer que celles irradiées à l'âge adulte.
En effet, un cancer requiert plusieurs années pour se former. Un adulte exposé aux radiations n'a pas forcément «le temps» de développer un cancer radioinduit.
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original