«L'été est la saison de la guerre», nous rappelle d'emblée au téléphone Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la Revue militaire suisse, stratège et historien, contacté pour évoquer l'hiver qui approche dans le conflit ukrainien.
Car d'ici à quelques semaines, le mercure pourrait déjà passer en dessous de zéro l'hiver. La fin de la belle saison imposera aux deux armées des enjeux supplémentaires.
Les choses vont-elles devenir difficiles pour les belligérants ukrainiens et russes? Cinq points pour comprendre:
On est tenté de briser le suspense tout de suite: aucune des armées ne disposera d'un avantage décisif lors de l'hiver à venir.
Face au froid et à la neige, Russes comme Ukrainiens vont devoir adapter leurs manœuvres et tactiques en fonction des véhicules, troupes et matériel à disposition.
«Les deux armées sont équipées d’engins chenillés, très bien adaptés aux conditions et au terrain», explique Alexandre Vautravers. Les unités de combat pourront progresser sur les sols froids ou boueux sans trop de problèmes.
Les armées essaient toutefois d'avancer au maximum avant le début de l'hiver, à l'image de la récente contre-offensive ukrainienne sur Kherson:
«Les conditions topographiques et météorologiques sont très différentes d’un endroit à l’autre du front, qui s’étend sur près de 900 kilomètres», rappelle Alexandre Vautravers. Il poursuit:
Le talon d'Achille que les camps pourront exploiter se situe ailleurs: la logistique. Un aspect stratégique dont les Russes avaient déjà souffert dans les premiers mois de la guerre.
«Le nombre de camions de ravitaillement est insuffisant et les routes en mauvaise condition sont déjà un problème par beau temps», estime l'expert.
Car les munitions et l'essence doivent continuer à arriver, hiver comme été. «Il faut 30 tonnes de fuel et 10 tonnes de munitions par bataillon mécanisé pour un jour de combat», indique Alexandre Vautravers. La Russie, par exemple, en compte environ 60 actifs au front. Faites le calcul.
Quid du fleuve Dniepr, qui forme une barrière naturelle de démarcation sur certaines parties de la ligne de front et a l'habitude de geler en hiver: une opportunité pour l'une ou l'autre armée d'y faire passer des véhicules blindés?
L'expert est sceptique, car pour faire traverser les véhicules, il faut aménager les berges du fleuve et effectuer d'importants travaux de terrassement. «Cela peut prendre des heures, le tout à découvert», explique-t-il, sous le feu ennemi.
Le Dniepr est donc destiné à rester une ligne de démarcation naturelle pour les deux armées dans les prochains mois.
En marge des zones de guerre, c'est aussi la population civile présente autour des zones de guerre qui va souffrir du froid. Des problèmes en approvisionnement, en chauffage et en combustible sont à prévoir.
Pour Alexandre Vautravers, qui fait ici parler son expérience dans l'humanitaire, «la différence est nette entre les milieux ruraux et urbains».
En raison de la densité de la population en zone urbaine, «la situation devient très rapidement critique». «Dans les campagnes, il est toujours possible d'aller couper du bois pour se chauffer et trouver des solutions, compléter son assiette par l’élevage ou la culture.»
Si aucune trêve n'est en vue et la paix encore moins, l'intensité des combats pourrait diminuer pendant l'hiver... pour mieux repartir au printemps prochain:
«Les uns et les autres sont en train de réparer, remettre en état, mobiliser des engins de réserve afin de compléter les unités», explique le rédacteur en chef de la Revue militaire suisse.
Car les pertes matérielles ont été lourdes. Du côté russe, on a perdu entre 30 et 40% des véhicules de combat (chars, artillerie, etc.). Chez les Ukrainiens, le chiffre montre même de 50 à 60%, explique Alexandre Vautravers.