La forme, comme le fond, ont quelque chose de tristement familier. Un journal intime rédigé par une adolescente, confrontée bien trop tôt à l'horreur de la guerre. Le descriptif, cru et sincère, de son quotidien, passé enfermée dans un abri. Dehors, la mort. Dedans... la mort.
C'est un témoignage comme il en existe désormais des milliers. Mais contrairement à beaucoup, celui-ci ne s'est pas noyé dans le flot d'informations venu du front. Il a interpellé la gymnaste ukrainienne Lilia Podkopayeva, connue pour avoir déjà lancé plusieurs appels à l'aide pour les enfants victimes de la guerre dans son pays.
L'ancienne médaillée olympique a publié quelques extraits poignants du journal intime sur son compte Instagram, attirant l'attention de la presse nationale, dont le site d'actualité nv.ua.
«Il fut un temps où des journaux similaires étaient écrits par des habitants de la ville assiégée de Leningrad. Qui aurait pensé qu'une telle chose se reproduirait ? Et qui aurait cru qu'une telle chose arriverait en Russie, qui s'est transformée en horde?» s'est indignée l'ancienne athlète le 2 avril dernier.
Ce récit, c'est celui de Kayta, une Ukrainienne de 16 ans.
Dans son journal intime, l'adolescente retrace ses journées passées avec sa famille, coincés tous ensemble dans un sous-sol de Marioupol.
Depuis un mois, la cité ukrainienne, située au bord de la mer d’Azov, est la proie d'une pluie d’obus. «Un enfer de feu, sans eau, ni électricité, ni gaz, ni téléphone», décrit sur place un envoyé spécial du Monde. Selon un colonel de l’armée ukrainienne, interrogé par ce même correspondant, 80% la ville serait actuellement occupé par les Russes.
160 000 personnes y seraient toujours bloquées, a précisé l'AFP le 1er avril dernier. Des milliers de civils privés de tout: vivres, matériel médical et produits de première nécessité. Et forcés de se terrer dans des abris et des souterrains, pour se protéger des bombes.
Du lieu et des circonstances précises dans lesquelles Katya se trouvait enfermée, on connait assez peu de détails. Dans les extraits de son journal publiés dans les médias, l'adolescente décrit: «Nous allions aux toilettes, dormions, mangions des restes dans le même sous-sol.»
Comme bon nombre d’habitants de Marioupol, la jeune fille et ses compagnons d'infortune se sont alimentés en brûlant ce qu’ils ont bien pu dénicher.
Katya revient sur le premier décès survenu au sein de la petite communauté. La première d'une liste macabre. «Notre voisine est morte, et nous ne pouvions pas la porter dehors, et elle a commencé à sentir mauvais.» Avec une implacable dureté, elle se poursuit: «Quand ça s'est calmé, oncle Kolya l'a portée dehors... et lui-même s'est tué sur un fil électrique».
«Maman a beaucoup pleuré. Après la mort de papa, oncle Kolya était la personne la plus proche.»
L'Ukrainienne de 16 ans poursuit son sinistre décompte. «Maman s'est accrochée jusqu'au bout, trois jours avant notre évacuation, elle est morte».
Il lui faut alors protéger tant que se peut son petit frère de ce drame.
Lapidaire, elle poursuit son récit: «Mon frère n'arrête pas de venir voir maman et de lui dire: "Maman, ne dors pas, tu vas geler"».
Finalement, les jeunes survivants parviennent à quitter la cave où ils étaient reclus depuis des semaines. Font-ils partie de ces quelque 3000 habitants de Marioupol, qui ont pu s'évader de la ville dans la nuit de vendredi à samedi dernier? Katya ne le précise pas.
Toutefois, les détails de sa fuite témoignent de l'horreur dans les rues.
«J'ai couvert les yeux de mon frère avec le foulard de ma mère pour qu'il ne voie pas cela. Pendant que nous courions, j'ai failli vomir plusieurs fois».
Les jeunes fugitifs sont contraints de laisser derrière eux le corps de leur maman.
Dans ses pages, Katya ne cache pas son désarroi. Son incompréhension. Sa colère.
«Je ne crois plus en votre Dieu. S'il avait existé, nous n'aurions pas tant souffert», s'indigne-t-elle.
Le récit trahit à la fois une jeunesse volée et une maturité trop vite acquise. «Tu connais cette sensation de douleur?» s'interroge la jeune fille de 16 ans auprès de son ami de papier. «Une fois, je suis tombée amoureuse d'un garçon», raconte-t-elle. «Mais il n'est pas tombé amoureux de moi. Je pensais que c'était ça, avoir mal».
L'adolescente détaille enfin cet appel passé à son oncle, en Russie. Espoir douché. «Tu sais ce qu'il m'a dit au téléphone aujourd'hui?» s'étrangle Katya auprès de son confident. «"Katya? Quelle Katya? Ma fille, je ne te connais pas. De quelle guerre, de quelle Katya tu parles?"».
Elle relate ensuite comme il lui écrit un peu plus tard, au moyen d'un téléphone jetable: «Katya, ne m'écris pas. C'est dangereux pour moi et ma famille.»
Trop, c'est trop. Sur le papier, elle explose: «Je les déteste! C'était sa soeur!? Comment est-ce possible?»
Sur les dernières pages de son journal, l'orpheline assène:
«Tu sais, je pense que je vais retourner à Marioupol. Et je vivrai au même endroit. Et chaque fois, le même jour, je descendrai au sous-sol d'une nouvelle maison pour déposer des fleurs.»
Katya achève son récit sur un dernier conseil: «Serre tes enfants dans tes bras. Sinon, tu risques de disparaître. Ils ne se souviendront pas de ton odeur. Si je survis et que j'ai des enfants plus tard, je les étreindrai tout le temps.»
L'histoire de Katya n'est évidemment pas sans rappeler celle d'une autre adolescente, dont le journal intime est resté mondialement célèbre. Daria Kalenkiuk, directrice exécutive pour le centre d'action Anti-Corruption en Ukraine, n'a pas hésité à faire le rapprochement.
Read this story till the end. During WWII some children were making diaries from concentration camps & occupied cities by nazis. History is repeating. This is a diary of Katya, a 16 years old girl from Mariupol, whose mother died in the basement👇😢
— Daria Kaleniuk (@dkaleniuk) April 2, 2022
«Pendant la Seconde Guerre mondiale, des enfants ont tenu des journaux intimes dans les camps de concentration et les villes occupées par les nazis. L'histoire se répète.» Inlassablement.