Il ne s'agit pas d'un seul embouteillage, mais d'une succession de bouchons qui, selon les estimations, s'étendent sur plus de 20 kilomètres jusqu'à la frontière ukrainienne. La police slovaque veille à ce que les semi-remorques attendent, comme il faut, en rangs serrés sur le bord de la route.
Les camions ont presque tous des plaques d'immatriculation ukrainiennes et de nombreux chauffeurs attendent depuis une semaine, voire plus, qu'on leur permette de passer la douane. Comment les chauffeurs survivent-ils à l'incertitude et au froid dans l'est de la Slovaquie, beaucoup n'ayant ni toilettes, ni lavabos, ni repas chauds? La réponse leur appartient.
Selon les gardes-frontières ukrainiens, environ 1200 poids lourds sont bloqués côté slovaque, avant la capitale de la province d'Oujhorod, dans l'ouest de l'Ukraine. Cette situation ne doit rien au hasard. Elle est le fruit d'une volonté politique, celle des camionneurs slovaques de montrer leur mécontentement. Ils protestent en effet contre ce qu'ils considèrent comme une concurrence déloyale de la part d'entreprises de transport ukrainiennes moins chères. Parfois, ils bloquent la route vers Oujhorod, parfois ils laissent passer les transporteurs.
Les Slovaques ont copié la politique de leurs collègues polonais. Depuis début novembre, de petits groupes de chauffeurs polonais paralysent avec leurs tracteurs un total de quatre points de passage importants vers l'Ukraine. Résultat: rien qu'en Pologne, selon l'agence de presse publique Ukrinform, 2600 camions sont empêchés de poursuivre leur route, dont beaucoup depuis des semaines.
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A l'un de ces postes-frontières, la protestation a toutefois été interdite par les autorités locales et le trafic y reprend désormais son cours. Par ailleurs, les espoirs de Kiev reposent sur le nouveau gouvernement pro-ukrainien du premier ministre Donald Tusk. Au total, selon Ukrinform, environ 4300 camions sont bloqués en Pologne, en Slovaquie et en Hongrie.
Tout cela n'est probablement pas une coïncidence. L'une des têtes pensantes du mouvement de protestation polonais est un transporteur du nom de Rafal Mekler. L'entrepreneur est membre du parti pro-russe Confédération de la liberté et de l'indépendance et préside sa section locale à Lublin, dans l'est de la Pologne. En Slovaquie, le premier ministre Robert Fico, favorable à la Russie, est au pouvoir depuis peu, et en Hongrie, on ne présente plus le premier ministre Viktor Orban, favorable à Poutine.
Les voitures de tourisme et les transports humanitaires ne sont, en revanche, pas coincés à la frontière slovaque. Nous nous faisons toutefois arrêter à un poste volant de la police à quelques kilomètres de la douane. Nous avons de la chance: deux voitures de la police militaire slovaque escortent trois semi-remorques qui, bien que ressemblant à des véhicules civils, sont en réalité chargés de matériel pour l'armée ukrainienne.
Nous pouvons suivre ce petit convoi et nous rendre directement à la frontière. Les formalités des deux côtés durent en tout trois heures et demie. Pendant que nous attendons des coups de tampons, nous discutons avec les chauffeurs des trois semi-remorques devant nous. L'un d'entre eux transporte des lits pour un hôpital de campagne, tandis que l'autre se contente de dire malicieusement «bomba». En effet, à l'arrière du poids lourd, un gros autocollant met en garde contre les explosifs. Enfin, ce qui se trouve dans le troisième camion, nous l'ignorons.
Les temps d'attente ne sont pas seulement dus aux actions des chauffeurs en colère. Les Ukrainiens eux-mêmes en sont également responsables. Le gouvernement du président Zelensky a mis en place, début décembre, un nouveau système électronique pour les importations. Une bureaucratique numérique que les transporteurs ukrainiens et les représentants des organisations humanitaires ont en horreur.
En effet, les douanes ukrainiennes sont dépassées par le système. Personne ne sait vraiment comment cela fonctionne, les agents en uniforme doivent sans cesse appeler leurs supérieurs pour demander de l'aide. Malgré la numérisation, plusieurs fonctionnaires sont sans cesse occupés à tamponner des documents. La bureaucratie soviétique démodée associée à l'électronique moderne donne l'impression d'un affreux mélange étouffant.
Au front, on ne comprend pas de tels excès. La plupart des unités de l'armée ont un besoin urgent d'importer des véhicules civils d'occasion. Ces voitures sont généralement financées par des dons privés, mais Kiev entrave grandement leur importation. Si l'Ukraine devait perdre la guerre, ce ne sont pas seulement les hésitations de l'Occident à livrer des armes qui en seraient responsables, mais aussi l'incapacité de Zelensky à contrôler ses bureaucrates.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker