Sur les champs de bataille ukrainiens, 2023 n'aura servi à rien. Du moins, d'un point de vue purement territorial. Au cours de cette année qui va bientôt toucher à sa fin, aucun des deux belligérants n'est parvenu à réaliser une avancée substantielle. Entre fin janvier et fin novembre, l'Ukraine n'a repris aux Russes que quelque 360 km2 de territoire, soit 0,06% de la surface du pays, selon les données du collectif War Mapper. Malgré les combats et les lourdes pertes, rien n'a changé.
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Les dirigeants des deux pays l'ont pourtant dit et répété, il n'est pas question de baisser les armes. Dans une récente interview à l'AFP, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a réitéré les objectifs maximalistes du Kremlin: le contrôle total des quatre régions ukrainiennes illégalement annexées en septembre 2022, que Moscou n'occupe qu'en partie. De son côté, Kiev veut libérer ces territoires et reprendre également la Crimée, passée en mains russes en 2014.
Peut-on encore espérer en une résolution rapide du conflit? A quoi faut-il s'attendre en 2024? Voici les scénarios les plus (ou moins) probables pour l'année prochaine.
«D'un point de vue militaire, le scénario le plus probable pour 2024 est le même que cette année», avance Julien Grand, rédacteur en chef adjoint de la Revue militaire suisse:
L'Economist Intelligence Unit (EIU), entreprise spécialisée dans les prévisions, table également sur «un conflit prolongé avec des degrés d'intensité variables». «Nous nous attendons à ce que les combats se concentrent dans quelques zones autour de la région du Donbass», écrit l'EIU dans une analyse publiée fin novembre.
«L'Ukraine, on l'a vu au cours de cette année, n'a pas été capable de reconquérir les territoires occupés, malgré l'important afflux d'aide militaire occidentale», complète Julien Grand. «La Russie n'est pas non plus en mesure de fournir un effort capable de percer les lignes ukrainiennes».
Rien ne va changer, donc. Concrètement, il s'agira d'une «guerre longue et épuisante, avec de lourdes pertes humaines des deux côtés», prédit le centre de réflexion Globsec. Pour ce dernier également, un conflit de position est le scénario le plus vraisemblable. Incapables de lancer de nouvelles opérations offensives, les deux belligérants vont se limiter à «s'échanger des mètres carrés de territoire, affaiblissant leur potentiel militaire sans pouvoir réellement progresser», résume Julien Grand.
Les récentes déclarations de Zelensky, selon lequel l'Ukraine va développer davantage ses fortifications et ses capacités défensives sur l'ensemble du front, parlent en faveur d'un enlisement du conflit.
La plupart des experts s'accordent donc à dire qu'une grande percée n'est pas au rendez-vous. «Pour que cela se réalise, il faudrait former de nouvelles troupes fraîchement constituées et suffisamment équipées», analyse Julien Grand. «Actuellement, ni la Russie ni l'Ukraine ne sont en mesure de le faire.»
«Le flux logistique dont dispose actuellement la Russie lui permet de maintenir ses positions, sans pouvoir avancer davantage», détaille le spécialiste. Pour l'Ukraine, la situation serait encore plus compliquée. «Le pays, très dépendant de l'aide occidentale, aurait besoin de livraisons encore plus conséquentes», affirme Julien Grand. Et d'ajouter:
L'analyse de Globsec partage ce point de vue: ce n'est qu'en mettant en oeuvre «de nouveaux systèmes d'armes et modèles de guerre», que les Ukrainiens pourraient «compenser la supériorité de la Russie en termes de ressources humaines, d'aviation et de missiles».
Une chose est sûre: pour accélérer le rythme du conflit, des changements radicaux sont nécessaires. Une percée russe n'est possible que si le pays «augmente sa production nationale d'armes, en réussissant à échapper aux sanctions, et mobilise encore plus de personnel sur le front», estime l'EIU.
Une défaite de Moscou serait encore plus improbable. Toujours selon la même analyse, cela nécessiterait carrément un changement à la tête du pouvoir russe.
Reste l'option diplomatique. «Le tournant va arriver au niveau politique», estime Julien Grand. «Tant que les flux logistiques actuels sont maintenus, la situation ne va pas évoluer. Mais à partir du moment où l'un des deux camps n'aura plus accès à ses réserves militaires, les choses pourraient changer».
Un élément va jouer un rôle majeur dans ce domaine: le soutien militaire occidental à l'Ukraine, celui de Washington en particulier. Or, la poursuite de l'aide américaine est de plus en plus incertaine. Volodymyr Zelensky en a eu un aperçu il y a quelques jours, lorsque le Congrès américain s'est opposé au déblocage d'une grosse enveloppe destinée à l'Ukraine.
L'élection possible de Donald Trump à la Maison-Blanche, en automne prochain, pourrait limiter, voire définitivement mettre fin au soutien américain. Depuis le début de la guerre, les Etats-Unis ont fourni une aide militaire d'environ 44,2 milliards de dollars, soit plus que n'importe quel autre pays. Même si des Etats européens continuent à soutenir Kiev, leurs capacités de production sont «limitées», rappelle Julien Grand.
«Cette situation pourrait pousser Zelensky à s'asseoir à la table des négociations», avance le rédacteur en chef adjoint de la Revue militaire suisse. Pour l'EIU, les Etats-Unis seraient même en mesure de forcer l'Ukraine à le faire, au vu de sa «dépendance à l'égard de l'équipement américain».
Une victoire de Trump, doublée à la réélection de Poutine et à l'absence de percées ukrainiennes l'a prochain, pourrait pousser les alliés occidentaux à réexaminer leur stratégie, estime Globsec; ceux-ci pourraient décider de privilégier une solution négociée au lieu d'un soutien militaire inconditionné.
Dans tous les cas, il s'agit d'un choix très délicat pour Zelensky, indique Julien Grand: «Le président ukrainien a toujours affirmé vouloir chasser les Russes des régions occupées et de la Crimée. Or, si Poutine accepte de baisser les armes, c'est pour garder les territoires qu'il a conquis». Et l'expert d'ajouter:
La situation serait différente de l'autre côté. «Poutine semble plus près de s'asseoir à la table des négociations», estime Julien Grand. «Un accord de paix lui permettant de garder la Crimée et les territoires occupés pourrait même être présenté comme une victoire auprès de la population russe».
«Pour Moscou, il vaut mieux garder les territoires conquis plutôt que d'essayer d'obtenir quelques mètres carrés de plus au prix de lourdes pertes», ajoute encore l'expert. Lequel conclut: