Une attaque de drones contre une base du groupe Wagner dans le désert libyen soulève une question: la milice peut-elle poursuivre ses missions au Proche-Orient et en Afrique, après la brouille entre son chef Evgueni Prigojine et le Kremlin?
Le gouvernement libyen a confirmé l'attaque contre la base d'Al Kadima dans l'est de la Libye, sans révéler l'identité de l'assaillant. Les soupçons se portent déjà sur les Etats-Unis, qui entendent profiter de la querelle autour de Wagner en Russie pour perturber les missions des mercenaires russes en Afrique et au Proche-Orient.
L'attaque de la fin de la semaine dernière contre la base d'Al-Kadima près de la ville de Kharouba, à environ 150 kilomètres au sud-est de la ville portuaire de Benghazi, n'a pas fait de victimes, a annoncé l'armée libyenne, citée par l'AFP.
#Breaking:
— Anas El Gomati (@AGomati) June 30, 2023
The Wagner Group have been struck by several drone strikes at Al Khadim airbase in #Libya at 22:30 local time.
This will have major repercussions for #Russia pic.twitter.com/adifHMieaQ
La base avait déjà été bombardée en janvier, détruisant au passage un avion russe, apparemment par les Américains, comme l'avait expliqué à l'époque le Washington Post en se référant à des rapports de renseignement américains.
Les Etats-Unis n'ont fait aucun commentaire sur cette nouvelle attaque. Il est toutefois clair que Washington voit dans le conflit entre Prigojine et les dirigeants russes une occasion d'augmenter la pression sur le groupe Wagner au Proche-Orient et en Syrie. Il y a quelques jours, le gouvernement américain a pris de nouvelles sanctions contre les sociétés aurifères qui, selon lui, financent en partie les opérations de Wagner au Proche-Orient. Washington a annoncé de nouvelles mesures visant à assécher les sources de revenus de Wagner.
Les mercenaires de Wagner sont exposés en Libye et dans d'autres pays parce qu'ils ne peuvent plus compter sur la protection de la Russie après la mutinerie de Prigojine. Dans certains endroits, la Russie fait elle-même pression sur les mercenaires.
Selon un article du New York Times, les troupes russes ont encerclé certaines bases de Wagner en Syrie après la révolte de Prigojine.
Quant à la chaîne de télévision saoudienne Al-Hadath, elle a annoncé que la police militaire russe et les services secrets syriens avaient arrêté des mercenaires de Wagner et perquisitionné les représentations du groupe à Damas et dans deux autres villes syriennes; Wagner a démenti les arrestations, mais pas les perquisitions. Selon le Wall Street Journal, Moscou avait demandé aux dirigeants syriens de ne pas laisser les mercenaires de Wagner quitter la Syrie sans l'autorisation de la Russie.
Plusieurs centaines de mercenaires de Wagner sont stationnés en Libye pour soutenir le général rebelle Khalifa Haftar dans sa lutte pour le pouvoir contre le gouvernement libyen. La Libye est divisée en deux depuis des années: le général Haftar, qui reçoit également l'aide de l'Egypte et des Emirats arabes unis (EAU), domine l'est de la Libye, tandis que le gouvernement de Tripoli, à l'ouest de la Libye, est soutenu par la Turquie.
D'après la plateforme d'informations Al-Monitor, l'Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar avait signalé aux Etats-Unis qu'elle était prête à se séparer de Wagner - sous certaines conditions.
Anas El Gomati, directeur du groupe de réflexion libyen Sadek-Institut, a rapporté, en citant des sources militaires, que la base de Wagner à Al-Kadima avait été attaquée par des drones de combat Akinci, de fabrication turque. Les drones auraient causé des dégâts matériels, affaiblissant ainsi le groupe Wagner en Libye.
L'année dernière, le gouvernement libyen avait acheté des drones Akinci à la Turquie. On peut toutefois se demander si le gouvernement de Tripoli est assez fort militairement pour chercher l'escalade dans le conflit contre Haftar et ses soutiens.
Pour Wagner, la Libye n'est pas seulement un terrain d'action, mais aussi une plaque tournante logistique pour les activités au Soudan voisin et en Afrique centrale. Le site Internet «All Eyes on Wagner», qui suit les interventions des mercenaires à l'aide de données aériennes et d'autres informations accessibles au public, a rapporté que le groupe Wagner avait livré des armes au général soudanais Mohamed Hamdan Dogolo depuis la Libye. Le général se bat depuis le printemps avec le chef de l'armée Abdel Fattah al-Burhan pour le pouvoir au Soudan.
Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, avait déclaré que les missions de Wagner en Afrique étaient censées se poursuivre. Selon le New York Times, le Kremlin a assuré à plusieurs gouvernements africains que les missions seraient désormais contrôlées par Moscou.
(Traduit et adapté par Noëline Flippe)