Ne pas vendre la peau de Poutine avant de l'avoir tué: voici, en substance, le message d'Eugene Rumer, fin connaisseur de la Russie pour avoir travaillé quatre ans en tant qu'officier du renseignement national. Dans un éditorial publié cette semaine dans le média américain Politico, cet expert prévient du danger de s'obstiner à voir dans la mutinerie avortée du chef de la milice Wagner, en juin dernier, un signe de faiblesse.
Face à une avalanche de commentaires et de spéculations sur le «début de la fin» du régime de Poutine, voire de la guerre en Ukraine, ce chef de programme à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, se montre prudent. Pour lui, il n'y a aucune preuve que le dirigeant russe est véritablement diminué.
Selon Eugene Rumer, en posant un ultimatum pour obtenir le licenciement du ministre de la Défense Sergueï Choïgou et du chef d'état-major général Valery Gerasimov, Evguéni Prigojine a franchi une ligne rouge.
Les chefs des services de la sécurité russes n'étaient dès lors plus tellement disposés à soutenir cet «outsider» effronté, considéré depuis longtemps comme une épine dans le pied, avec ses diatribes sur l'incompétence de l'armée, son casier judiciaire et son absence de liens avec l'ancien KGB.
Loin de défaillir, «le régime est resté stable et fidèle à Poutine», analyse l'ancien officier. Malgré la rébellion, la cote de popularité du président dans son pays reste inchangée à 82%, alors que celle de «son cuisinier» s'est réduite comme peau de chagrin, de 58 à 34%.
A ce stade, il existe peu ou pas d'indices que l'Etat russe serait sur le point de se fracturer.
Le président jouit pour l'instant d'une loyauté sans faille de Ramzan Kadyrov, le dirigeant de longue date de la Tchétchénie, qui est allé jusqu'à lui proposer les services de sa milice personnelle pour écraser le soulèvement. Quant aux autres gouverneurs de provinces, que Poutine utilise comme autant de pions qu'il peut déplacer à sa guise sur l'échiquier politique, ils ont trop peur de leur chef.
Pas un seul membre de l'élite - les services de sécurité, l'armée, les oligarques - ne s'est manifesté pour marquer son soutien de manière visible et tangible envers la mutinerie de Prijogine.
Sur le front ukrainien, il est également probable que cette crise n'apporte pas les changements espérés. L'intégration de la milice Wagner dans le ministère de la Défense n'aura peu ou pas d'effet négatif sur la force numérique de l'armée russe.
Si Poutine licencie Choïgou et Gerasimov, qui sait si une direction plus compétente ne viendrait pas les remplacer. Une bien sinistre perspective pour la contre-offensive ukrainienne. (mbr)