«Cigarette électronique», «e-cigarette», «vapoteuse», «vape», «puff». A chacun son vocable pour décrire la nouvelle tendance de ces derniers mois. Et dans les lieux publics, la mode du moment se concentre sur une marque: «LikeMe». Le gadget à l'arôme de fruit artificiel et fringué des doux tons pastel de l'arc-en-ciel s'affiche tant aux doigts des fumeurs en quête d'une version moins nocive de leur sèche que les non-fumeurs l'arborant, eux, comme un genre de chicha portable.
En Suisse, les cigarettes électroniques jetables suscitent pourtant la controverse depuis plusieurs mois. On leur impute un impact particulièrement néfaste sur la santé des jeunes. En France, le gadget agace pour les mêmes raisons, mais pas que. Depuis un peu plus d’un an, plusieurs organismes comme 60 Millions de consommateurs ou Génération sans tabac mettent en garde la population contre le «désastre environnemental» qu'elles représentent. Bien que chez nous, peu d'informations circulent à ce sujet, plusieurs experts contactés par watson ont affirmé avec sévérité que la Suisse se dirigeait droit vers une catastrophe tout aussi conséquente.
Face à l'inquiétude environnementale française, la star tout droit sortie de Chine est parvenue à se distinguer des autres vapoteuses en misant sur une démarche résolument écoresponsable. Sur son site français, LikeMe revendique des puffs «recyclables à 96%» équipées de saveurs «biologiques et non-polluantes». On y promet, par ailleurs, un bon d'achat d'une valeur de cinq euros à la réception de dix appareils usagés et renvoyés à l'entreprise. Aucune adresse de retour n’est cependant clairement indiquée.
La société chinoise réfléchirait à des alternatives spécifiques à la Suisse: «Nous sommes sur le point de mettre en place une solution écoresponsable et durable avec une société suisse de recyclage», annonce à watson Sophie Roux, assistante de direction chez Tooka – le fournisseur suisse des vapoteuses LikeMe.
Avec un tel plaidoyer – en plus d'un goût sucré, un effluve acidulé, un prix abordable et une consommation présumée sans danger – LikeMe convainc sans grande difficulté les acheteurs. Il n'a, d'ailleurs, jamais autant consumé les finances des Helvètes qu'au cours de ces derniers mois. Sophie Roux confirme, en effet, une croissance substantielle depuis le lancement de l’appareil électronique sur notre territoire, il y a un an:
Avec actuellement 200 points de vente dans le pays, les affaires tournent bien pour la société de puffs. Mais la faisabilité de certains arguments proécologiques promus par LikeMe est furieusement remise en doute.
Le constat de Zoé Cimatti, ingénieure au Service de géologie, sols et déchets de l’Office cantonal de l’environnement à Genève (OCEV), est sans appel: tout produit dit électronique et à usage unique est une «absurdité écologique». Car, comme l’indique la spécialiste, ils nécessitent d'importantes quantités d'énergie, de transport et de matériaux minéraux très spécifiques, «qui, une fois assemblés, se révèlent difficiles à séparer pour être revalorisés».
La difficulté qu'impose le recyclage d'un tel objet n'est pas le seul souci mis en évidence. Avant même que ce dernier soit récupéré, un autre problème s'appose. Depuis 1998, la Suisse impose à travers son ordonnance sur la restitution, la reprise et l'élimination des appareils électriques et électroniques (OREA) plusieurs obligations:
Or, d'après Ken Pillonel, consultant suisse en prototype matériel et fraîchement diplômé de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), ces invectives ne sont jamais respectées:
L'expert en électronique, qui avait déjà dénoncé le problème, en août, dans un entretien avec Le Temps, va ici encore plus loin. Il remet en question le principe global des puffs:
Une question se pose alors: le nombre grandissant de consommateurs de puffs parmi lesquels se comptent des fumeurs de tabac, des non-fumeurs de tabac et parfois même des mineurs, pourrait-il mener la Suisse à la même situation désastreuse que celle actuellement déplorée dans l'Hexagone?
En entretien avec watson, Isabelle Baudin, collaboratrice scientifique de la Section déchets urbains à l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), déclare que «jusqu'à présent, l'OFEV n'a pas observé ou reçu d'indications sur le fait que les cigarettes électroniques faisaient l'objet de littering (abandon de déchets sur la voie publique)». Mais Zoe Cimatti signale que:
L'émergence de ce type de déchets étant encore récente, l'experte de l'OCEV relève qu'à ce jour, aucune étude sur le littering des e-cigarettes n'a encore été réalisée en Suisse. «Mais à n'en pas douter, un tel produit qui finit dans l'eau est une catastrophe, en raison notamment des métaux qui s'y trouvent.»
Si des prédispositions pour éviter la pollution des vapoteuses existent sous l'égide de l'OREA, pour certains politiciens, celles-ci ne demeurent toutefois toujours pas assez efficaces. Le 17 mars 2022, la conseillère nationale Laurence Fehlmann Rielle (PS/GE) a déposé un texte au Conseil national. Ce dernier visait à interdire leur commercialisation pour des nécessités environnementales, entre autres raisons sanitaires.
En réponse, dans son avis rendu un peu plus de deux mois plus tard, le Conseil fédéral a reconnu le caractère «problématique» de la dégradation de ces appareils et des composants qu'ils contenaient. Il a, en revanche, mentionné qu'une telle interdiction se révélait «disproportionnée au vu de l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie qu'elle représenterait».
Dans l'attente des délibérations finales du conseil, Laurence Fehlmann Rielle, note, auprès de watson, que le problème n'est pas seulement environnemental. Il est avant tout social: «Il faut ringardiser les cigarettes électroniques», clame la conseillère nationale genevoise. Et de préciser que cela doit, en premier lieu, passer par les publicités. Elle rappelle alors que la nouvelle loi sur les produits du tabac et les cigarettes électroniques, qui doit notamment interdire leur promotion sur l’espace public suisse dès début 2024, pourrait avoir un impact substantiel sur la circulation des puffs. Aussi, afin d’en dissuader l’achat, la politicienne suggère d'augmenter les prix de ces appareils. A titre d'exemple, une vapoteuse LikeMe est actuellement vendue dans les kiosques suisses au montant de 10 francs.
Laurence Fehlmann Rielle appelle finalement les cantons à réaliser des statistiques plus précises sur le littering des e-cigarettes. Sans quoi aucune évolution ne sera possible sur le sol suisse.
Une volonté qui s'avère toutefois trop ambitieuse, à l'heure actuelle, selon Ken Pillonel: «il faudrait que des choses se passent en France ou dans un autre pays pour que l'on réalise qu'ils ont raison et que l'on pense peut-être à agir ici», observe le spécialiste ayant récemment mis à mal l'obsolescence programmée d'Apple.
Résolu à trouver une solution, le chercheur fribourgeois a annoncé débuter prochainement des recherches sur les vapoteuses et leur impact environnemental en Suisse.