Cet été, la réforme du droit pénal suisse en matière sexuelle était sur la table des discussions au Conseil des Etats. Le but? Offrir une meilleure protection contre les violences sexuelles. Le 20 octobre, c'est la commission juridique du Conseil national qui discutait cette nouvelle définition du viol. Une révision de la loi qui rendra désormais l'absence de consentement punissable.
Mais comment manifester – ou non – le consentement? C'est là que le débat fait rage. La première proposition de révision, «Non c’est non», se base sur le refus de la victime. La seconde, «Seul un oui est un oui», se base sur le consentement de toutes les personnes impliquées. Le Conseil des Etats a voté en faveur de la première. Le Conseil national discutera des deux propositions lors de la session de cet hiver.
Cyrielle Huguenot, experte en droit des femmes chez Amnesty International, nous explique cette différence et surtout, pourquoi elle fait campagne pour la seconde.
Malgré les divergences d'opinions, punir l'absence de consentement est une avancée?
Cyrielle Huguenot: Oui, il y a un signal fort envoyé à la société: on reconnaît mieux ce qu'est une agression sexuelle. La volonté de la victime sera au centre, et non plus le degré de force utilisé par l'agresseur.
Amnesty International ne défend, toutefois, que la variante «Seul un oui est un oui»: pourquoi?
Si l'approche du «Non c'est non» est adoptée, la victime devra dire «non» explicitement. Elle devra manifester – verbalement ou non verbalement – son refus de la relation sexuelle (avec ou sans pénétration), par un «non» ou par des pleurs par exemple. Et, si elle décide de porter plainte après une agression sexuelle, il faudra justifier sa passivité et pourquoi elle n'a pas réussi à dire «non».
Un juge pourra décréter qu'il n'y a donc pas eu de violation de l'intégrité physique ou sexuelle. Le risque est que les victimes ne portent pas plainte parce qu'elles savent que c'est perdu d'avance. Et aujourd'hui déjà, sur quelque 1400 cas de viol et contraintes sexuelles reportés, environ 200 seulement aboutissent à une condamnation.
Dans votre texte de campagne, vous rappelez qu'il y a des situations dans lesquelles une victime ne peut pas dire «non»?
Exactement. Elle peut ressentir de la peur ou un sentiment de honte qui l'empêchent d’exprimer un refus par ses paroles ou son comportement, l'agression sexuelle peut avoir lieu par surprise, il peut y avoir tromperie sur le caractère sexuel d’un acte ou elle peut être en en état de choc ou de sidération. Selon une étude suédoise, ce dernier exemple est une réaction physiologique «normale» et très courante: les victimes sont paralysées. Si le «Non c'est non» l'emporte, il sera difficile de prendre en compte ces différentes situations.
Chez les opposants, il y a cette crainte que des accusations soient faites «à tout va», pour se venger d'un partenaire par exemple. Est-ce que c'est un risque?
Aucune base scientifique n'arrive à la conclusion que le nombre de fausses accusations est plus élevé pour des agressions sexuelles que pour d’autres délits, et qu’elles augmentent lorsque la loi réprime plus sévèrement. Il s'agit là d'un mythe basé sur des stéréotypes de genres.
En pensant de la sorte, on détourne l’attention de l’auteur vers la victime; on renverse les rôles et l’agresseur devient la victime. C’est lui qui est «accusé à tort». C'est, d'ailleurs, le mécanisme qui est à l'œuvre actuellement. On minimise l’agression et on essaie de chercher la culpabilité du côté des victimes.
Porter de fausses accusations envers une personne est un délit puni pénalement?
Tout à fait. Mais surtout, les procédures pour agression sexuelle ou viol sont longues et difficiles. Pourquoi quelqu'un se lancerait là-dedans, payerait des frais d'avocats, s'infligerait de répondre à des questions sur sa vie intime dans les moindres détails, le tout en sachant qu'il n'y a que très peu de plaintes qui aboutissent à une condamnation? Cela ne fait pas sens.
Selon vous, «Seul un oui est un oui» permettra donc de mieux considérer et protéger les victimes?
Oui. En Suisse, comme partout d'ailleurs, il y a une grande impunité face aux viols et agressions sexuelles. Une étude récemment menée par l'institut de sondage gfs.bern montre qu'en Suisse, sur 4500 femmes de plus de 16 ans, 22% ont été victimes d'un acte sexuel non consenti, 10% sont allées à la police et seulement 8% ont porté plainte.
Une situation qui pourrait changer?
Dans les quatorze pays européens qui ont adopté le «Seul un oui est un oui», les chiffres disponibles montrent que les plaintes déposées et les condamnations ont augmenté. La parole des victimes s'est libérée, elles se sentent plus légitimes à parler, elles ont moins honte et les violences sexuelles sont moins taboues dans la société en général. La population a plus conscience de ce qu'est une violence sexuelle, que ce n'est pas ok et surtout que c'est punissable.
Cette année, deux options de révision du Code pénal suisse s'offrent à nos élus. Mais contrairement à nos voisins européens, la tendance se dessine vers le «Non c'est non». Pourquoi?
En Suisse, en termes d'égalité des genres, les choses prennent du temps, comme par exemple le droit de vote des femmes, introduit en 1971, ou encore la reconnaissance du viol conjugal en 1992. Aujourd'hui encore, notre Parlement est masculin et conservateur. Il y a donc beaucoup de résistance et il faut un fort engagement pour convaincre les élus de voter des lois tournées vers le futur. En 2022, la révision du Code pénal est sur la table. Il faut saisir cette opportunité pour ne pas rester en décalage avec le reste de l'Europe. Et si le «Non c'est non» l'emporte, la Suisse sera vraiment à la traîne.