Société
Musique

Lana Del Rey, la «plus grande artiste du 21e siècle» est de retour

SAO PAULO, BRAZIL - NOVEMBER 11: Lana Del Rey performs live on stage at the Planeta Terra Festival 2013 on November 11, 2013 in Sao Paulo, Brazil. (Photo by Mauricio Santana/Getty Images)
Lana del Rey, ou la starlette des années 50 projetée à l'ère d'H&M et Instagram.Getty Images South America

Lana Del Rey, la «putain» trop triste pour être vraie

Plus d'une décennie après avoir agité la toile, deux ans après s'être évaporée des réseaux sociaux, l'artiste «que les blogueurs adorent détester» est toujours là. Discrète, fragile, puissante. Et avec un tout nouvel album.
23.03.2023, 19:0024.03.2023, 09:03
Suivez-moi
Plus de «Société»

Au début de l'année 2023, dans son patio gorgé de soleil de Los Angeles, la «plus grande artiste du 21e siècle» (les mots sont de Rolling Stone, excusez du peu) susurre de sa voix haletante et old Hollywood à la journaliste Hannah Ewens le poids de cette décennie de carrière.

Un manque d'enthousiasme qui n'a apparemment pas empêché la reine du sadcore de 37 ans de pondre un neuvième album.

Prévu ce vendredi, Did You know that there’s a tunnel under Ocean Blvd («Savez-vous qu'il y a un tunnel sous l'Ocean Boulevard», en français) contient trop de mots dans le titre et une bonne dose de souvenirs. Comme dans un coffret à bijoux, Lana Del Rey y fourre pêle-mêle souvenirs familiaux, bribes de conversations avec ses copines, amour pour son père, sa sœur et son frère, pensées sur la maternité et la filiation.

Le titre de l'album fait référence à un endroit secret qui existe vraiment, aux carreaux blancs, sable et caramel, planqué quelque part dans le centre-ville de Long Beach.
Le titre de l'album fait référence à un endroit secret qui existe vraiment, aux carreaux blancs, sable et caramel, planqué quelque part dans le centre-ville de Long Beach.

Ce n'est pas pour rien que l'un des titres dévoilés en primeur, The Grants, est le nom de naissance de la chanteuse.

Gloire à l'alcool et à l'Amérique

Lana Del Rey est née Elizabeth Woodward Grant en 1986, à New York - juste avant que ses parents ne délaissent la Grosse Pomme et leurs jobs lucratifs dans la pub pour un bled de 2800 habitants, Lake Placid. «Le lieu le plus froid du pays, se souvient-elle. Très insulaire, très calme.»

Un bout de terre qui étanche difficilement la soif artistique de cette ado turbulente qui aime chanter, picoler et l'Amérique. Et, surtout, sa ville natale de New York.

«Je n'aime pas dire du mal de Lake Placid, parce que c'est chez moi, mais j'aime les villes. Vivre dans le Bronx, c'était le paradis»
Lana Del Rey au
Sydney Morning Herald, en 2014.

Une cure de désintox dans un pensionnat du Connecticut et une maîtrise en philo plus tard, Elizabeth embarque sa guitare, ses rêves de gloire et les 10 000 dollars de son premier contrat d'enregistrement, pour une caravane, direction le New Jersey. «Lizzy Grant and the Phenomena», parmi d'autres noms de scène, entame la tournée des bars ouverts de Williamsburg et des petites salles du Lower East Side.

Déjà fidèle à son mythe, cette émanation de Marilyn Monroe 2.0, qui passe ses nuits à hanter le métro, écrire ses textes et battre rêveusement le béton en quête d'inspiration mystique, tape dans l'oeil d'un producteur.

«Je la considérais comme une artiste "une fois tous les dix ans". J'étais excité. Elle était très originale»
Mike Nichtern, l'un des premiers producteurs
de Lana Del Rey, à MTV, en 2012.
Découle un premier album, Lana Del Ray aka Lizzy Grant, en 2010.
Découle un premier album, Lana Del Ray aka Lizzy Grant, en 2010.

L’album fait un flop, mais il a le mérite de planter le décor et le personnage. Lizzy Grant disparaît pour céder le devant de la scène à Lana Del Ray, avec un «a», hommage à la mythique Ford vintage Del Ray et à l'actrice tourmentée Lana Turner. C'est sous ce nom mélodieux (finalement orthographié avec un «e») qu'Internet découvre Video Games, en juin 2011.

Entre pute et madone

Curieux, médusé, fasciné, le monde plonge dans ce patchwork maladroit de séquences vidéos volées sur le web et bricolées par la chanteuse sur son MacBook.

«Si j'avais su qu'autant de personnes allaient voir la vidéo, j'aurais fait des choix différents. Me voir à l'écran me fait grincer des dents. Je comprends que je suis comme ça, boudeuse. [Lana pince les lèvres]»
Lana Del Rey à GQ, en 2011.

Le public tombe amoureux de cette voix ronronnante, à la soumission résignée, qui coule comme du miel entre les lèvres pulpeuses d'une Lolita aux yeux de cocker.

Image
image: youtube

A mi-chemin entre le propre de Jackie Kennedy et le sale d'Amy Winehouse, quelque part entre l'amoureuse naïve, la femme fatale, la putain glamour et la madone immaculée, Lana Del Rey trouve son style et porte sa tristesse comme une petite robe en dentelle. Telle une sirène éplorée, elle chante ses amours perdus et livre ses névroses, sous la douceur d'un filtre Instagram.

La lolita controversée

Comme tout ovni fraîchement débarqué et inclassable, Lana del Rey dérange. Ni tout à fait commerciale, ni tout à fait en marge, cette pépite aux lèvres trop pleines pour être vraies menace de marcher sur les plates-bandes des «vrais» artistes indépendants devient automatiquement suspecte.

HOLLYWOOD, CA - FEBRUARY 07: Lana Del Rey performs at Amoeba Music Hollywood to celebrate her debut album "Born To Die" on February 7, 2012 in Hollywood, California. (Photo by Jason LaVeris/ ...
La bouille et le succès de cette charmante ingénue ont tout pour agacer. Image: FilmMagic

Erigée en nouveau joujou des trolls d’Internet, qui font feu numérique de toutes les rumeurs, la réputation de la baby doll souffre davantage encore de la suspicion acide des blogueurs et chroniqueurs musicaux.

Au fond, cette mini-vamp', qui porte des couronnes de fleurs, ne serait-elle pas aussi fausse que ses extensions de cil? Une fraude, une production marketing sirupeuse sous un vernis rose pâle? Une gamine pourrie gâtée qui chante sa vie dans une caravane, tout en bâtissant sa carrière sur le fric à papa?

«Je n'ai jamais compris cette polémique sur le fait de savoir si [Del Rey] est vraie ou fausse. Tous les artistes ont un personnage. Elle n'est pas poussée par une entreprise. Ce sont ses chansons, ses mélodies, son chant - elle a toujours eu cette esthétique des années 60»
Princess Superstar, rappeuse
et amie de Lana Del Rey, à GQ, en 2012.

Sans oublier que la pin-up admet que le féminisme n'est pas sa tasse de thé. Elle chante à tue-tête son obsession pour les relations destructrices avec des hommes plus âgés et glorifie les relations abusives. C’est pourtant dans cette troublante contradiction que réside aussi son charme.

«Je ne suis pas provocatrice. Pendant des années, je me suis concentrée sur la construction d'un beau monde visuel et d'un beau monde sonore et, ouais, récolter une réaction aussi forte était... surprenant? Je ne sais pas»
Lana Del Rey au
Sydney Morning Herald, en 2014.

Maladroite en interview, mal à l'aise sur scène, ses débuts dans l'univers impitoyable du showbiz sont aussi délicats que sa voix trop aiguë et ses manières de vampire.

La critique atteint son apogée en janvier 2012, après sa performance tristement mémorable au Saturday Night Live. Son expression de biche effarouchée prise dans les phares d'une voiture et son chant de crécelle offrent un instantané de ridicule à la nation.

SATURDAY NIGHT LIVE -- "Daniel Radcliffe" Episode 1610 -- Pictured: Lana Del Rey -- Photo by: Dana Edelson/NBC/NBCU Photo Bank
La performance entérine sa réputation de fraudeuse.Image: NBCUniversal

Un an plus tard, jouer en direct reste une épreuve - un handicap sérieux pour quiconque aspire à devenir une pop star. Après avoir vu un hologramme performer sur la scène de Coachella, Lana glissera à son manager: «Voilà l'avenir de mes tournées». Elle ne plaisante qu'à moitié.

«'Lana' et 'Lizzy' sont la même personne. J'aimerais pouvoir m'échapper dans un alter ego, juste pour me sentir plus à l'aise sur scène, mais je ressens la même chose que Lana et Lizzy»
Lana Del Rey, The Quietus, 2011.

L'année de la sortie de son premier album, Born to Die («Né pour mourir»), Lana del Rey finit par quitter sa ville natale de New York, «déprimée», exsangue.

«Je suis née là-bas, c'était ma ville. J'allais y mourir»
Lana del Rey, GQ, 2012.

L'exilée de la Cité des Anges

L'artiste incomprise aurait pu respecter sa formule consacrée, naître pour disparaître aussi vite qu'elle fut révélée. Se replier sur elle-même, avec la satisfaction d'un rêve accompli, dans l'anonymat ensoleillé de Los Angeles. Pourtant. Lana Del Rey persévère, dure et prospère. A raison: ses albums suivants sont des succès critiques et commerciaux.

LOS ANGELES, CA - FEBRUARY 09: (EDITORS NOTE: Image has been converted to black and white.) Lana Del Rey attends her "Freak" music video premiere event presented by Vevo at The Wiltern on Fe ...
En 2020, Lana Del Rey a vendu plus de 20 millions d'albums dans le monde et plus de 13 millions de singles.Getty Images North America

Avec une délicieuse ironie, c'est précisément tout ce qu'on lui a reproché - ce personnage artificiel de diva éplorée des 60's - qui continue de faire son succès. L'authenticité, la question qui obsède ses détracteurs, «n'est pas un concept intéressant», affirme Lana en 2014.

C'est vrai qu'au fond, on ne serait pas tellement surpris d'apprendre un jour que l’artiste n'a jamais vraiment existé - ou tout juste sous forme d'hologramme sépia au sex-appeal granuleux.

«Partout où elle passe, des mecs tentent de la toucher, comme si elle n’était pas réelle»
Son manager aux Inrocks, en 2012.

Douze ans après avoir secoué la scène musicale américaine, on ne sait toujours pas grand-chose d'Elizabeth Grant. Ceux qui l'ont rencontrée écrivent qu’elle est conforme aux photos des paparazzi. Une beauté aux cheveux auburn en cascade, lèvres soufflées et faux cils épais, trempés dans du khôl, qui préfère les t-shirts col en V blanc aux robes à volants.

NEW YORK, NY - DECEMBER 04: Lana Del Rey at the "Big Eyes" Press Conference at the Mandarin Oriental Hotel on December 4, 2014 in New York City. (Photo by Vera Anderson/WireImage)
Cils ourlés, peau de pêche, sourire d'enfant: les journalistes qui la rencontrent sont sous le charme. WireImage

La reconnaissance

Il y a deux ans, après avoir annoncé quitter Instagram pour se consacrer à ses projets créatifs, Lana Del Rey a purement et simplement disparu. Déjà rares, ses apparitions publiques se sont réduites au minimum vital. Juste ce qu'il faut pour que les langues de vipère se gaussent de sa prise de poids.

Lana Del Rey accepts the Visionary Award onstage at Billboard Women In Music held at YouTube Theater on March 1, 2023 in Los Angeles, California. (Photo by Rich Polk/Billboard via Getty Images)
En mars dernier, le magazine Billboard écrit que «la dernière décennie n'aurait pas été la même musicalement sans Lana Del Rey.»Image: Billboard

Lana vogue sur le venin et les louanges avec la même indifférence. Toujours en périphérie du grand public. Peu lui importe si sa musique a servi de phare à une nouvelle génération de la pop toute pétrie de talent, avec des bijoux tels que Billie Eilish, Lorde ou Hailey.

«Aller chasser la radio? Ce serait tellement stupide. Aller chasser les tendances? Tellement stupide. Elle a créé toutes les tendances»
Son producteur, Jack Antonoff, à Rolling Stone.

A ce stade de sa carrière, Lana Del Rey, «le génie le plus normal que vous ayez jamais vu», coule des jours paisibles, de manière aussi calme et californienne que possible - entre séances d'écriture dans son camion, garé sur une station-service de LA, et rendez-vous hebdomadaires chez sa voyante, Tessa, chaque jeudi.

A l'image du personnage, sa musique devient toujours plus feutrée, impénétrable. Son neuvième album est son disque le plus silencieux. Preuve, peut-être, que le personnage de Lana Del Rey n'est pas si éloigné de son alter ego Elizabeth Grant. Ou l'inverse. On ne sait plus, et on s’en fout.

Nnavy interprêtant "Come and Get It" (2023)
Video: youtube
2 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
2
Manor vend des gourdes à l'arrière-goût de scandale
Les Américains se sont arrachés la Stanley Cup. Ces gourdes isothermes sont désormais en train de déferler en Suisse. Mais la marque fait face à un scandale aux Etats-Unis.

A l'origine, la société Stanley fabriquait des thermos pour les ouvriers. Avec les années, son offre s'est étendue aux équipements outdoor comme des mugs et des glacières. En 2016, la marque tente un coup de poker et se tourne vers la femme citadine, en lançant leur produit phare, la Stanley Quencher, une énorme gourde de 1,2 litre avec une poignée, vendue entre 35 et 55 dollars.

L’article