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Rave Party illégale à Bulle: «Tu joues au connard, t'es dégagé»

Vidéo: watson

Rave illégale du 31 à Bulle: «Si tu joues au connard, t'es vite dégagé»

Pour enterrer 2022, plusieurs centaines de «teufeurs» de toute l'Europe se sont massés devant les enceintes d'une free party, en pleine campagne fribougeoise. Une rave clandestine qui n'est pas passée inaperçue. Paquetage, transport, son, ambiance, clichés, drogues, interdits, flics: on a voulu tout comprendre de ces nuits à ciel ouvert. Morgane, une Lausannoise de 21 ans, y était. Coup de fil.
05.01.2023, 18:4010.01.2023, 18:22
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Est-ce que les «teufeurs» s'embrassent sous le gui? Ou plutôt: pense-t-on à se souhaiter la bonne année quand on est planté dans une rave illégale, entre deux bouses, une grappe de flics, 700 fêtards et 90 décibels? «Oui, bien sûr! On a hurlé le décompte en rythme, on s'est sautés dans les bras, on a fait des câlins à tout le monde!»

Morgane évoque même les feux d'artifices qui ont coiffé les convives à douze heures-zéro-zéro. Ajoutez encore Alain Souchon sur la grande scène et papa Paléo tenait là un sérieux concurrent. Les clichés ont la vie dure. Ceux du noceur clandestin, nuisible et menaçant. Mais son coeur peut parfois se montrer aussi moelleux qu'une crème double.

Les feux d'artifices en question:

Vidéo: watson

Morgane n'a pas archivé 2022 en compagnie de tonton Jean-Michel, dans un chalet cossu de Verbier. Elle n'a pas hésité une seconde avant de troquer les bulles de Moët contre une Bulle moite. L'espace de quelques heures, la campagne de cette pépère bourgade fribourgeoise s'est faite secouer par la techno extrême d'une free party. On est loin du ronronnement du Ranz des vaches.

«Il se trouve que la soirée s'est déroulée à Bulle. Mais ça aurait très bien pu avoir lieu au fin fond des Grisons»
Morgane, teufeuse lausannoise de 21 ans.

La grosse artillerie

On n'y était pas, mais, au bout du fil, Morgane est catégorique: elle n'avait jamais rien vu de tel, niveau infrastructure. Croyons-la sur parole puisqu'elle nous jure avoir déjà accroché une centaine de raves à son tableau de chasse. En deux petites années seulement.

Sans reprendre sa respiration, la jeune femme nous dessine à voix haute le campement, histoire qu'on comprenne bien le bazar. Deux scènes, des caissons de son «d'une hauteur de cinq à six mètres», une grange gavée de canapés confortables pour reposer les articulations et réchauffer les fesses, quelques stands de boissons, de boules quies ou de prévention. Les étoiles pour uniques chaperons.

Ou presque.

Car cette bamboche à ciel ouvert n'est pas passée inaperçue. La police veillait, non loin, dès 21h30 et des poussières. Sans pour autant intervenir. «Oui, les agents étaient là très tôt, mais personne n'est venu nous embêter. Ils font souvent en sorte que tout se passe le mieux possible.»

«Une fois les scènes montées et les premiers convois de fêtards sur place, la police n'a plus les ressources nécessaires pour virer tout le monde et bâcher la soirée»

Ce n'est qu'à midi (mais toujours pas en lendemain d'hier) que les policiers mettront fin au marathon sonique du réveillon. «L'organisateur a été identifié et sera dénoncé», précisera un sobre communiqué de la Police cantonale, le 1er janvier à 16h23. Et puis, ce rappel sec de la loi: «Ces fêtes sauvages ne sont pas tolérées sur notre territoire.»

Soif de liberté?

C'est donc ça qu'on recherche dans les free party? L'interdit? La transgression? Le défi de l'autorité? «Pas du tout. Je ne me sens pas plus folle ou cool dans une rave illégale. L'adrénaline monte une fois devant les enceintes.» Morgane n'a rien d'une petite frappe turbulente. On discute ici avec une étudiante ordinaire, sociable, sympa, le nez dans ses cours et son avenir. Simplement, la frenchcore à 170 BPM l'excite plus durablement qu'un escape game en famille.

«Oui, j'y vais d'abord pour la musique. Tu sais, je peux écouter de la tech' à fond dans mon casque, tôt le matin, sur le chemin de l'Uni»

S'en suit une bonne rafale de jargon technique, censée définir le style de sons offerts en free party. Mais sentant son vieil interlocuteur perdre le fil, elle se ravise: «En gros, c'est de l'électro, mais tu y rajoutes "core" à la fin. Hardcore, frenchcore, transecore, etc... ok?» Bien reçu.

De la bienveillance, mais aussi du grabuge

Papoter musique n'a d'ailleurs rien de futile. Les beats qui ont retourné la terre bulloise à Nouvel-An résonnent peu entre les murs permanents d'une boîte de nuit classique. «Et le volume, surtout!» En écoutant Morgane, on perçoit vite cette vaporeuse liberté qui semble parfois faire défaut au centre-ville. Cette envie d'emprunter le plancher des vaches, plutôt que de s'entasser comme des boeufs bien sapés dans la dernière discothèque à la mode.

«En rave, tu danses comme tu veux, tu te lookes comme tu veux, tu te poses où tu veux, tu bois ce que tu veux. Et y a pas un videur baraqué à l'entrée, qui te juge de haut en bas avec ce sentiment de surpuissance agaçant.»

Morgane, avec sa grosse centaine de guinches dans les mollets, n'est jamais tombée sur un os. «En boîte, t'as toujours un gars lourd qui vient se frotter contre toi et tu paies 10 balles ta bière pression.» Dans la foulée, la jeune femme martèle bienveillance, esprit de communauté, respect de son prochain. On imagine soudain une secte de «teufeurs», planqués comme des gamins de chœur dans une forêt magique. «Non, il peut aussi y avoir du grabuge, des agressions sexuelles, des problèmes de drogue, comme dans la société en général. Mais c'est bien plus bon enfant que le portrait que certains riverains nous dressent souvent.»

Montrer patte blanche avant de faire nuit blanche

Cette sécurité que Morgane ressent, une fois ses Doc Martens dans la boue, a aussi un prix. En free party, le videur, c'est le réseau, qui ne se construit pas en deux-deux. Les potes des potes, les chuchoteurs bien renseignés, jusqu'aux les organisateurs eux-mêmes. Et surtout quelques bons groupes Whatsapp ou Telegram. «Les organisateurs doivent savoir que tu prends les choses au sérieux, que tu viens pour t'amuser et que tu ne vas pas créer de problèmes.»

«Si tu te comportes comme un connard, t'es dégagé illico et c'est compliqué de revenir comme si de rien»

Avant de faire nuit blanche, il faut donc montrer patte blanche. Et ce fameux réseau est indispensable, ne serait-ce que pour connaître le jour et le lieu du bastringue. Car si la rave de Bulle ne s'est pas déployée «au fin fond des Grisons», Morgane l'a appris à vingt heures le soir même. Il s'agit donc d'être agile dans les starting-blocks.

La clairière de la Grande Cithard, le lieu de la rave, dans la campagne bulloise.
La clairière de la Grande Cithard, le lieu de la rave, dans la campagne bulloise.

Bien sûr, au fil de la journée, des bruissements, des indices, quelques fausses pistes, mais rien de bien tangible. En milieu d'après-midi, les «teufeurs» comprennent que l'organisateur a donné rendez-vous aux Français à Genève et à Zurich aux Italiens. Déduction? «Ça devait forcément se dérouler au centre du pays.»

Quand soudain, le Graal déboule sur l'écran des smartphones:

Image

Une fois les coordonnées GPS dans le téléphone, Morgane comprend qu'il faudra se manger près de trois heures de marche depuis la gare de Bulle. Résultat? «On a pris un taxi!» Mais avant, il s'agit de préparer et embarquer le paquetage. Qui dit campagne, dit aussi absence de piste de danse lustrée et de chauffage au sol. «Il faut enfiler des couches de vêtements. Moi j'ai toujours un pantalon quasi de ski, une grosse veste, un vêtement thermique et une petite réserve d'alcool.»

Drogue et «sac Chanel»

Et la drogue dans tout ça? Morgane marque une pause. «Non. De l'alcool, simplement.» On insiste. Comment tient-on jusqu'à la mi-journée suivante, sans un petit coup de pouce? «Disons plutôt que j'ai arrêté.»

«Au début, je prenais un peu de MDMA pour le kif, mais une fois que l'effet s'estompe, tu dois rentrer, t’es mort. Et j'ai une vie à tenir, des cours le lundi matin. La musique me suffit»

Morgane évoque certains de ses congénères qui n'ont pas forcément eu cette prise de conscience. Ceux pour qui tenir le coup était soudain devenu «plus important que tout». Une chose est sûre, depuis la pandémie de Covid-19, le nombre d'événements a littéralement décuplé. Avant le virus, «il y avait une fête toutes les deux semaines environ». Au moment des lockdowns, «ça a explosé». Aujourd'hui? «On peut facilement trouver deux raves importantes par week-end en Suisse.»

Un boum qui a notamment rendu la police beaucoup plus attentive et entraînée. Au point de craindre l'arrestation à chaque changement de morceau dans les baffles? «Non. Si tu vends pas de drogue, t'es juste un jeune qui fait la fête. On risque rien.»

«Durant le confinement, je me suis déjà retrouvée à quatre pattes dans la forêt pour semer les chiens policiers»

Quand les raves se succèdent, les curieux se font aussi plus nombreux. Mais à quoi ressemble le «teufeur» type? «Disons qu'on y croise rarement de sac Chanel ou de quadra bien installé dans sa petite vie.» On prend la balle perdue avec résilience. Elle éclate de rire.

A 21 ans, et après une centaine de raves, Morgane est déjà une passionnée expérimentée. Jusqu'à quand? «Oh, on verra. Au début, c'était rigolo cette chasse au trésor. Je commence à fatiguer de sortir tout l'attirail à chaque fois et de devoir traverser la Suisse à l'aveugle pour danser.»

Avant de raccrocher, on demande à Morgane si elle accepterait, une nuit, de chapeauter notre baptême du feu. «Ah, ah! Ouais. Mais tu ne tiendrais pas deux heures.»

Message reçu. (Elle a raison.)

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