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Variole du singe

Variole du singe: «Criminaliser les malades est ridicule»

Variole du singe: «Criminaliser les malades est ridicule»

«C'est surtout une honte pour les singes!» Cette phrase émane de la bouche du député français LR Aurélien Pradié mercredi 3 août, à l'Assemblée nationale. Pourquoi tant de rejet face aux maladies?Image:shutterstock
Le nombre de cas flambe et l'OMS craint une poussée de décès en Europe. Mais le problème de la variole du singe est, pour l'heure, ailleurs: prendre les personnes infectées au sérieux, prévenir la stigmatisation et combattre un sournois sentiment de honte. D'ailleurs, pourquoi blâme-t-on autant les malades?
04.08.2022, 16:4704.08.2022, 17:53
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«Les premières lésions sont apparues sur mon cul, et c’était de loin les plus douloureuses. Je ne pouvais même plus m’asseoir», témoignait récemment un danseur londonien de 31 ans, au site Vice. Les douleurs sont l'un des désagréments majeurs de la variole du singe. Mais ce n'est pas le seul. Contrairement au Covid-19, les symptômes sont bien visibles et la maladie s'attaque (jusqu'à présent) plus volontiers aux jeunes hommes homosexuels ayant eu plusieurs partenaires. Suffisant pour démarrer la machine à harcèlement.

Avec elle, le sentiment de honte.

Pas plus tard que mercredi, cette vergogne s'est immiscée chez nos voisins, à l'Assemblée nationale. Alors que Sandrine Rousseau annonçait ne plus employer «le terme "variole du singe", puisqu'il contribue à la honte que peuvent ressentir les personnes infectées qui hésitent à se faire dépister», Aurélien Pradié a rétorqué (selon le compte rendu officiel):

«C'est surtout une honte pour les singes!»
Mais l'élu LR a démenti sur Twitter

Petit point en Suisse pour commencer:

La plupart du temps bénigne, la variole du singe a déjà commencé à tuer en Europe et l'OMS prédit une poussée de décès ces prochaines semaines. Outre le triolet classique «fièvre - maux de tête - grande fatigue», ses symptômes se distinguent par l'apparition de vésicules, puis de pustules et, enfin, des croûtes.

Oui, c'est pas joli et ça fait (très) mal.

Image
images: UK Health Security Agency

Mercredi 3 août, la Suisse venait tout juste d'enjamber la barre des 300 cas.

Si de nombreux Etats, comme la France et les Etats-Unis, se sont lancés dans une large campagne de vaccination, le sérum n'a toujours pas été homologué chez nous. L'association Dialogai a sommé la Confédération d'autoriser «sans délai» les vaccins et les traitements «qui ont déjà prouvé leur efficacité dans d'autres pays». Jeudi, Berne «réfléchissait» tout juste à des achats centralisés.

Le malade montré du doigt

L'autre jour, sur un ponton en bois du bord du Léman, un jeune homme fait son entrée dans l'eau. Son torse est couvert de petits boutons rouges. Deux barboteurs s'écartent discrètement, alors qu'un troisième brise le silence.

«Hé! Variole du singe?»

Montrer du doigt celui qui vacille. Un réflexe que l'on retrouve depuis toujours et dans chaque recoin de la société, mais qui contamine aussi la santé et complique la prise en charge des patients. Souffrir d'une maladie, c'est la honte. Surtout quand elle se voit. Encore plus quand elle semble toucher prioritairement une communauté précise. Et...

«... La stigmatisation peut être un terrain favorable à la maladie: certaines personnes infectées ne vont pas oser parler de leurs pratiques avec un médecin.»
Sur FranceInfo, le journaliste pour le magazine Têtu, Nicolas Scheffer

Même s'«il est irréaliste de croire que la maladie restera cloîtrée dans la communauté homosexuelle masculine», prévient la professeure de bioéthique médicale Samia Hurst, la cible privilégiée du virus ravive ces derniers jours le cauchemar de l'émergence du sida dans les années 80.

A l'époque, et bien avant la cruauté virtuelle, on se souvient par exemple de Jean-Marie Le Pen qui incriminait publiquement la sodomie et considérait que «le sidaïque est une espèce de lépreux».

C'est pour cette raison que...

«Les mesures prises par les autorités sanitaires et les gouvernements sont capitales. La reconnaissance politique et administrative d'une maladie atténue le sentiment de honte et freine la stigmatisation.»
Alain Ferrant, professeur de psychopathologie et de psychologie clinique à Lyon, au bout du fil avec watson.

En d'autres termes, une fois officiellement reconnu, le malade se sent (théoriquement) moins irrésistiblement contraint de se planquer pour guérir. En Suisse comme ailleurs, les associations LGBTQI+ se sont emparées très tôt de l'épidémie de variole du singe. Parfois bien avant les élus à qui elles réclament, partout en Europe, une plus grande disponibilité du vaccin. «Depuis le début des années sida, c'est une communauté particulièrement consciente des risques, avec un savoir-faire important, notamment au niveau de la prévention», rappelle Samia Hurst.

En France, aussi, la grogne est particulièrement féroce. «Si nous parvenons à enrayer l’épidémie, ce sera grâce aux communautés les plus exposées, hommes gays et bisexuels, travailleurs et travailleuses du sexe. Les autorités sanitaires, elles, ont mis trois mois à réagir: inacceptable», avait condamné la militante féministe Gwen Fauchois, ancienne d’Act Up, dans Libération.

«Qu'ai-je fait de faux?»

Entre information et prise en charge, se soigner, c'est d'abord lever un bout de voile sur ses habitudes intimes. Et s'exposer au blâme, à la moquerie ou à la condamnation sociale.

  • Le poumon, c'est la clope.
  • Le foie, c'est l'alcool.
  • Le cœur, c'est la malbouffe.
  • Aujourd'hui, la variole du singe, c'est le sexe entre hommes.

Pourtant, et même s'il est courant de faire peser sur des épaules l'augmentation du prix de la santé, personne n'a encore été jeté en prison pour avoir été en surpoids avant une crise cardiaque. «On a tendance à ignorer la loterie de l'existence. Attraper une maladie, c’est d'abord la faute à pas de chance.»

Le fameux «comportement à risque»

«L’être humain restera un être biologique fragile. Il y a en effet un moralisme crasse qui consiste à dire que ceux qui prennent des risques, ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes. Nous avons connu cela très fortement à l'arrivée du sida et c'est ce que les autorités doivent absolument prévenir pour la variole du singe. Si c'est toujours de notre faute, que dire alors des cancers qui touchent les enfants?»
Alain Ferrant, professeur de psychopathologie et de psychologie clinique à Lyon, à watson.

Pour étayer son propos, Alain Ferrant, grand spécialiste du sentiment de honte, nous offre quelques exemples de «comportements à risque» autrement moins incriminés que d'autres, comme la pratique de la course à pied à outrance ou la consommation excessive de médicaments. «Vous pouvez tomber sur des gens qui ne fument pas, ne boivent pas, ne se droguent pas, mais qui, la nuit tombée, se gavent discrètement d'anxiolytiques et de somnifères.»

Alain Ferrant l'affirme... sans vergogne:

«Tout le monde prend des risques, c'est ridicule de criminaliser les malades»

On le sait, tomber malade revient souvent à tomber tout court. Comme si le corps se retrouvait du jour au lendemain au chômage, éjecté honteusement des rouages intraitables de la performance. Seule la culpabilité demeure. «Considérer que notre existence n'est que le résultat de nos comportements, c'est un mythe tenace. On le constate d'ailleurs depuis très longtemps en cabinet ou à l'hôpital», renchérit Samia Hurst.

«Une fois le diagnostic établi, il est fréquent d'entendre le patient demander de lui-même au médecin ce qu'il a bien pu faire de faux»
Samia Hurst, professeure de bioéthique médicale à l'Université de Genève

Le drame du «pestiféré»

Du sida à la diarrhée en passant par la dépression, personne ne sera jamais fier d'être soudain heurté dans sa santé. Même si de timides tentatives de briser le tabou se font entendre ces dernières années, souvent à coup de témoignages et de hashtags, et par exemple en ce qui concerne le cancer. «Toute notre éducation va dans le sens du contrôle de soi, du maintien, d’une certaine tenue», écrivait Alain Ferrant dans son essai Honte, culpabilité et traumatisme (Dunot, 2015).

Et c'est souvent la maladie qui vient briser le fantasme de cette maîtrise totale de son existence. «Un fantasme boosté, car le mythe du «100% mérite» est le récit explicatif des inégalités dans nos sociétés, dont l'un des symptômes est le succès du développement personnel en librairie», décrypte Samia Hurst.

Avec la variole du singe, ce sont les boutons qui prouvent publiquement que l'être humain est faillible. Alain Ferrant s'inquiète: «Personne n'aime voir des boutons et des croûtes sur l'épiderme d'autrui. Nous risquons ces prochains temps de retrouver un sentiment de honte et de rejet qui rappelle, toute proportion gardée, l'époque de la peste bubonique.»

«Le cerveau nous raconte souvent des histoires fausses, mais rassurantes: nous aimons penser que nous sommes à l'abri. Durant la pandémie de Covid-19, certains se sont convaincus que c'était "tout le monde sauf moi, parce que je suis en bonne santé"»
Samia Hurst

La professeure de bioéthique tient à rappeler que «la crainte excessive c’est d’abord de l'ignorance». Devant un être humain qui affiche des croûtes sur son épiderme, dans le doute, on restera à distance.

Mais faut-il réellement craindre le retour du pestiféré?

«La prévention, l'information et les décisions des autorités sanitaires seront déterminantes. Rappelez-vous, à la fin des années 80, Diana avait serré la main d'un malade du sida devant les caméras du monde entier, pour illustrer dans une image qu'on ne l'attrapait pas simplement en respirant le même air ou par un contact ordinaire.»
Samia Hurst.
En 1987, Lady Di a inauguré le premier centre médical du Royaume-Uni dédié aux malades du sida.
En 1987, Lady Di a inauguré le premier centre médical du Royaume-Uni dédié aux malades du sida. keystone

Pourquoi est-on si surpris de l'émergence du virus?

Ces prochaines semaines, il faudra donc dénouer un maximum les ignorances afin d'éviter ce satané sentiment de honte, la stigmatisation, mais aussi le rejet. Depuis quelques mois pourtant, l'Occident semble sous-entendre qu'il a été pris de court par l'émergence du virus. Or, la maladie est endémique depuis de longues années, par exemple dans les forêts du centre de l'Afrique tropicale. «Oui, il y avait déjà de nombreux signaux d’alerte dans les pays africains. Si leurs scientifiques avaient été pris davantage au sérieux, nous serions un peu moins surpris aujourd'hui», regrette Samia Hurst.

«C'est l'une des leçons à retenir de notre époque. Les maladies dont on pensait pouvoir échapper en Occident ne nous épargnent plus nécessairement»
Samia Hurst, professeure de bioéthique médicale à l'Université de Genève
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