Pour clore notre série d'été sur la mort, quoi de mieux que de parler de... résurrection?
Et de la «résurrection» très scientifique, qui plus est. Ici, on ne parlera pas de prophète moyen-oriental crucifié et revenu à la vie. Ni de flash-back ésotérique d'existences antérieures dans la jungle alors qu'on méditait sur son balcon. On va parler de la vraie résurrection, celle où des choses biologiques qui sont mortes ne sont ensuite plus mortes.
Car oui, des scientifiques de l'université de Yale ont réussi à faire fonctionner des cellules d'organes de porcs, morts depuis au moins une heure.
Et ce, grâce à un liquide biologique novateur nommé OrganEx, un cocktail concentré composé notamment d'hémoglobine synthétique, de protéines et de médicaments. Celui-ci a permis de faire «revivre» les cellules de différents organes de porc — foie, rein, cœur — quatre heures après que ceux-ci soient morts.
Une expérience qui repousse les limites de la science et de la médecine et qui ouvre des portes qui semblent infinies: s'il est possible de faire revivre les cellules de tous les organes, pourrait-on... combattre la mort?
Attention, mollo sur les conclusions: pour l'heure, nous n'y sommes pas encore. La méthode utilisée...
Par contre, notent les auteurs, ce produit pourrait permettre de maintenir certains organes plus longtemps en vie lors du transport de ceux-ci dans le cadre de transplantations, ce qui pourrait être une avancée médicale d'importance.
Bref: repousser la mort, redéfinir la mort clinique, est-ce possible et est-ce souhaitable? Nous sommes allés poser la question à Samia Hurst, bioéthicienne en chef à l'université de Genève.
Car la définition philosophique de la mort diffère de sa définition médicale, dont l'utilisation est pratique. En actant et déclarant la mort sur des bases médicale et biologique, on statue sur l'état légal d'un individu: vivant ou mort.
Pour Samia Hurst, directrice de l'Institut d'éthique de l'Université de Genève, cette valeur est d'importance:
«Les uns et les autres ont des droits, mais ce qui leur est dû n’est pas identique», explique Samia Hurst. «Comme ces deux statuts ne sont pas compatibles et que nous n’avons socialement et légalement que ceux-ci, cela veut dire que nous avons besoin d’une définition qui permette d’identifier un moment précis comme celui de la mort»:
L'expérience des scientifiques de Yale a moins démontré que les cellules pouvaient «ressusciter», mais plutôt qu'elles n'étaient jamais mortes:
Mais, alors, c'est quoi la mort, et quand survient-elle? Au final, cela reste une notion d'éloignement, de ligne infranchissable:
Il est important de noter que la définition clinique de la mort n'est pas figée dans le temps et que celle-ci a déjà changé au fil du temps.
L'experte en bioéthique note ainsi qu'au début du 20e siècle, la mort était constatée après que le cœur ait arrêté de battre.
Car lorsque le cœur s'arrête de battre, le sang oxygéné n'est plus envoyé au cerveau et c'est celui-ci qui meurt. Le marqueur de l'arrêt cardiaque, utilisé depuis des siècles par les médecins pour constater un décès, a dû être modifié lors de l'arrivée des méthodes de respiration artificielle et de réanimation, dans les années 50. «Lorsque la réanimation cardio-respiratoire a été inventée, cet état est devenu réversible», note Samia Hurst.
La question se pose donc de cibler la partie du corps dont l'arrêt des fonctions entraîne une disparition irréversible de la vie. Actuellement, il s'agit du tronc cérébral.
Concernant le cerveau, l'expérience menée par les scientifiques de Yale risque d'être toutefois plus difficile à reproduire: «Ce qui rend la technologie OrganEx si prometteuse est que suffisamment de cellules étaient encore en vie pour permettre de la régénération tissulaire dans certains organes», relève Samia Hurst. Mais pas le cerveau, justement:
Les limites de la réanimation peuvent encore être poussées plus loin. «Il est entièrement possible que des progrès futurs nous conduisent à revoir la définition actuelle de la mort», admet volontiers Samia Hurst. Mais à une condition:
«Dans cet hypothétique état futur de la technologie», note l'experte, «la personne en question ne serait toutefois pas morte». En effet, la limite ayant été déplacée, «on serait devenus dans l’intervalle capables de prévenir ces morts-là aussi», ce qui relève du domaine de la réanimation. Autrement dit:
Si les limites de la réanimation peuvent, dans le futur, être poussées à des horizons qui dépassent encore notre entendement, la mort restera, quant à elle, philosophiquement comme cliniquement, l'expression d'une limite indépassable.