Si vous mourez en Suisse, vous n'avez pas beaucoup de choix. Vous serez enterré ou brûlé. Près de 90% des vivants penchent actuellement pour la deuxième option, selon les chiffres de l'Union suisse de crémation (USC). Et pourtant, une troisième voie devrait être possible. C'est ce que pense Sarah Joliat, qui se bat pour introduire la pratique de l'humusation en Suisse.
Pour faire simple, ce terme désigne un processus qui transforme le corps du défunt en compost. Concrètement, la dépouille est déposée sur un lit végétal composé de bois d'élagage et lignite broyés, eau de pluie et argile, et est ensuite ensevelie sous deux mètres cubes de ce même mélange. Les micro-organismes présents dans le sol, dits «humuseurs», font le reste: au bout d'une année, le corps se mue en «humus sain et fertile», assurent les adeptes de cette méthode.
Sarah Joliat co-dirige les Pompes funèbres du Léman, à Vevey (VD). Elle a découvert l'humusation en 2018, par le biais de la fondation belge Métamorphose, à l'origine de la pratique. «Je me suis dit que c'était farfelu et beaucoup trop compliqué», se souvient-elle.
Pourtant, l'idée l'intéresse. Après avoir pris contact avec les Belges, tout s'accélère: l'entrepreneuse devient d'abord ambassadrice pour la Suisse, puis crée l'association Humusation Suisse en 2021. Elle compte aujourd'hui une cinquantaine de membres, dont des Alémaniques. Leur but principal est de parler de cette pratique à la population, la sensibiliser.
Mais pourquoi, au juste? Sarah Joliat affirme n'avoir «jamais eu envie de se faire enterrer ou de se faire brûler», mais son action en faveur de l'humusation est bien plus qu'un combat personnel. Elle répond à un problème très concret: aujourd'hui, mourir, ça pollue.
Car la crémation est très gourmande en énergie: elle dure généralement une heure et nécessite une température qui monte jusqu'à 1000°C, rapporte l'USC. De plus, l'incinération rejette des substances toxiques dans l’atmosphère, comme du CO2, des dioxines et des métaux lourds.
L'inhumation, de son côté, provoque un gros problème de pollution des sols. Le processus de décomposition du corps et du cercueil libère des substances nocives qui peuvent contaminer les nappes phréatiques et persister dans l'environnement pendant des siècles.
Sans parler des aspects symboliques: «Dans la plupart des cimetières, les ossements sont laissés dans les secteurs désaffectés, on ne les sort pas», explique Sarah Joliat. «Il peut y avoir deux à trois couches de corps, les uns par-dessus les autres. Quand les employés creusent de nouvelles sépultures, ils retombent sur ces ossements. Ils les prennent et ils les remettent de côté: il est où est le respect, là?», s'interroge la croque-mort.
L'humusation est présentée comme une pratique totalement écologique, qui ne laisse aucune trace nocive. «Les micro-organismes du sol parviennent à décomposer les chaînes moléculaires chimiques. Toutes les substances toxiques présentes dans le corps, comme les médicaments, sont éliminées», assure Francis Busigny, président de la fondation belge Métamorphose et initiateur du concept, joint par watson.
Pour lui, contrairement aux deux autres pratiques en vigueur, l'humusation permet de «préserver le cercle vertueux de la vie sur terre».
Et les réactions, dans tout ça? «Très positives», se réjouit Sarah Joliat. Si l'argument écologique est très apprécié, un autre avantage revient régulièrement. «Beaucoup de personnes m'ont dit qu'avec l'humusation, elles auraient moins peur de mourir, parce qu'il n'y a pas de cercueil ni de crémation», détaille l'entrepreneuse. Qui explique:
Des réactions négatives, Sarah Joliat affirme ne jamais en avoir eu. «Plutôt des craintes», auxquelles elle a toujours pu répondre. Parmi celles-ci, il y a les mauvaises odeurs et la peur qu'un animal puisse venir chercher un bout du corps.
Mais il n'y a pas lieu de s'inquiéter, rien de tout ça ne devrait arriver: «Tout se déroule dans un périmètre sécurisé, on ne peut pas faire n'importe quoi et on n'a de toute manière pas droit à l'erreur», répond-elle. «Une fois que j'explique comment cela pourrait se passer, les réactions sont positives.»
L'enthousiasme des personnes qu'elle a rencontrées a motivé Sarah Joliat à continuer d’y croire. Côté politique aussi, on suit le projet avec intérêt. Via son association, la co-directrice des pompes funèbres du Léman a rencontré des communes. Genève, Fribourg et Vevey seraient par exemple intéressées par l'humusation.
Dans le canton de Vaud, le Conseil d'Etat s'est récemment exprimé sur la question, en réponse à une interpellation déposée par la députée Sabine Glauser Krug. L'élue verte demandait, entre autres, quelles étaient les marges de manœuvre de l'exécutif pour mettre en place cette pratique et quel était son point de vue sur le sujet.
Dans sa réponse, le gouvernement cantonal reconnaît que «le problème de la mauvaise décomposition des corps devient critique». Il dit souhaiter «développer les recherches scientifiques et mettre en place les conditions-cadres», à commencer par «l'obtention d'un terrain sur sol vaudois pour mener à bien cette première étape scientifique primordiale».
«Les choses bougent gentiment: on pose de petites graines, dans l'espoir que ça germe», résume Sarah Joliat. Avant de préciser:
L'entrepreneuse des pompes funèbres en est sûre, on finira par pouvoir se faire humuser. «Je pense que ça se fera. J'en suis convaincue, même si je ne sais pas quand, ni comment, ni où», affirme-t-elle, en précisant avoir quand même sa petite idée. «Ce que je peux imaginer, c'est que cela se fasse dans les cimetières des communes, parce que souvent il y a des parcelles vides. Pour moi, le meilleur scénario serait que les communes s'approprient cette pratique, un peu comme elles ont fait avec l'inhumation.»
«Surtout», souligne-t-elle, «l'humusation ne doit en aucun cas devenir quelque chose de privé. Quand ça arrive, ça fait souvent des histoires. Et puis personne n'aurait l'idée d'inhumer un corps dans un espace privé: pour l'humusation, ça devrait être la même chose.»
Avant d'en arriver là, il faudra procéder à des tests, comme suggéré par le Conseil d'Etat vaudois. «Cela permettra tout d'abord de savoir si ça fonctionne vraiment, combien de temps ça prend, comment imaginer l'infrastructure, etc.», explique Sarah Joliat.
Car non, l'humusation n'a encore jamais été testée sur de vrais corps humains. Ce qui peut paraître logique, étant donné que la pratique n'est autorisée dans aucun Etat. Une situation qui désole son inventeur, le Belge Francis Busigny. «On essaie d'utiliser toutes les voies pour pouvoir faire des tests sur des êtres humains consentants», affirme-t-il. Sans succès, pour l'heure.
Cet ingénieur à la retraite, qui accuse «le lobby des funérariums» de lui mettre des bâtons dans les roues, n'est pas découragé par l'absence d'un test grandeur nature. Sur les 40 dernières années, il a procédé avec son association à de nombreux essais avec des «animaux de rente et de compagnie», dont le premier était une poule, qui a atterri par hasard dans un puits de compostage.
Le résultat est plus qu'encourageant: «Ça se décompose très bien», assure-t-il. «Et avec les humains, ça va être encore plus facile, parce qu'on a la peu beaucoup moins épaisse que beaucoup d'animaux».
La preuve? Un test mené sur un âne, dont l'épiderme est «terriblement solide», s'est soldé par un succès.
Affaire à suivre, et qui mourra verra.